1 Henri Poincaré : Ce que disent les astres… par Christian Gérini Maître de con

1 Henri Poincaré : Ce que disent les astres… par Christian Gérini Maître de conférences à l’IUT de Toulon (laboratoire I3M), agrégé de mathématiques, historien des sciences à l’Université Paris 11 – Orsay (laboratoire GHDSO) D’ABORD UN PROJET ÉDITORIAL CHEZ HACHETTE En 1911, l’éditeur Hachette publie un petit ouvrage illustré à destination des enfants, ou plutôt des adolescents puisqu’il vise a priori les élèves des écoles primaires supérieures : ancêtres de nos collèges, celles-ci étaient offertes aux élèves de douze à quinze ans qui, n’ayant pas accès au lycée à la fin du primaire, pouvaient en trois ans poursuivre leur scolarité dans des « cours complémentaires » (au sein des écoles existantes) ou « écoles primaires supérieures » (créées spécifiquement pour cette population d’élèves) pour viser un brevet élémentaire ou un brevet supérieur. L’ouvrage est intitulé Ce que disent les choses et il y est question de science mais aussi de savoirs technologiques et industriels. Trois personnages de premier plan dans l’histoire des sciences y signent dix-neuf chapitres : Edmond Perrier, Paul Painlevé et Henri Poincaré. Chacun y parle des sujets qui lui sont chers et 2 qui sont évidemment proches de sa science ou de ses expériences professionnelles. Mais ce livre est en fait l’émanation d’un projet plus ambitieux, celui d’une revue hebdomadaire lancée par l’éditeur en 1910 pour vingt numéros, intitulée Au seuil de la vie, projet auquel ces trois grands hommes avaient adhéré dès le départ. L’idée de l’éditeur d’extraire de son périodique les articles écrits par Poincaré, Perrier et Painlevé pour en faire les chapitres d’un ouvrage à part entière n’est ni anodine, ni désintéressée. Les textes sont pour la plupart de grande qualité, et Hachette comprit dès le départ, lors de la signature du contrat avec ses auteurs, le bénéfice que l’on pouvait trouver à publier sous la signature de ces trois scientifiques de renom un livre de vulgarisation scientifique destiné aux enfants et à leurs parents. En outre, et on le verra pour le cas d’Henri Poincaré, ce genre d’exercice n’était à l’époque pas courant dans l’œuvre des grands noms de la science, et l’exception méritait d’être soulignée. Il nous a paru intéressant de faire pour BibNum l’analyse de l’un des cinq textes qu’Henri Poincaré écrivit pour cette revue puis pour le livre qui en émana. La participation de cet immense scientifique à cet effort de vulgarisation et de pédagogie est en effet un exemple représentatif de l’investissement des savants dans de telles voies et nous paraît être, si ce n’est un commencement, du moins un exemple à suivre (et qui a d’ailleurs été suivi). En ce sens, sans être novateur en matière scientifique, cet écrit l’est en matière de vulgarisation car, si l’on accepte comme l’a fait il n’y a pas si longtemps le regretté Georges Charpak de reconsidérer le rapport nécessaire des scientifiques de haut rang à la transmission du savoir et plus particulièrement à la pédagogie, il a alors presque valeur d’exemple paradigmatique. « CE QUE DISENT LES CHOSES » OU « LEÇONS DE CHOSES » ? On ne peut évidemment manquer de faire le rapprochement entre le titre Ce que disent les choses et les « leçons de choses » de nos classes primaires. La référence est explicite et le titre de l’ouvrage est le meilleur résumé que l’on pouvait faire en peu de mots du principe même des leçons de choses : on peut donc penser que l’intention de faire ce parallèle était bien réelle chez l’éditeur, conscient de la vogue que connaissaient à l’époque les « leçons de choses ». Le 3 domaine était porteur depuis la loi de 1882 et un décret de la même année, pris par Jules Ferry, qui imposait les premières leçons de choses. Figure 1: Leçons de choses, V. Boulet, A. & C. Chabanas, Cours moyen, Hachette 1936. Est-ce à dire que les cinq chapitres écrits par Poincaré font « parler les choses » au sens de ce principe de la « leçon de choses »? L’art est difficile, d’autant qu’un livre n’est pas une leçon en présence des enfants. Et Poincaré pratique cet art dans au moins deux des chapitres qu’il rédige pour la revue Au seuil de la vie. Ses cinq textes s’intéressent à l’astronomie (« Les astres »), à la gravitation (« En regardant tomber une pomme »), aux différentes formes d’énergies (« La chaleur et l’énergie »), à l’industrie minière (« Les mines »), et enfin à la production d’électricité (« L’industrie électrique »). Les deux premiers chapitres sont ceux qui nous rappellent effectivement les ouvrages de « leçons de choses » : les enfants semblent y être associés en qualité d’observateurs, de découvreurs, et Poincaré les conduit peu à peu vers la découverte de phénomènes et de lois que nos sens ne peuvent percevoir sans une certaine imagination, et sans l’aide d’un guide, ici lui-même. En ce sens, il se place tout à fait dans la lignée d’Alexander Bain (1818-1903) et de sa définition des leçons de choses dans son ouvrage de référence, Education as a science, que l’on traduisit en France en 1879 par l’expression aujourd’hui bien connue de « sciences de l’éducation » : Les leçons de choses doivent s’étendre à tout ce qui sert à la vie et à tous les phénomènes de la nature. Elles portent d’abord sur les objets familiers aux élèves, et complètent les idées qu’ils en ont en y ajoutant les qualités qu’ils n’avaient pas tout d’abord remarquées. Elles passent ensuite à des objets que les élèves ne peuvent apprendre à connaître que par des descriptions ou des figures, et finissent par l’étude des actions les plus cachées des forces naturelles. 4 @@@@@@@ C’est pourquoi il nous a paru intéressant de retenir l’un de ces deux textes de Poincaré qui se rapprochent le plus de ce concept de « leçons de choses », et de laisser aux lecteurs le plaisir de découvrir dans la littérature ses autres chapitres ainsi que ceux de Perrier et Painlevé, récemment réédités. Pourquoi avons-nous gardé « Les astres » plutôt que « En regardant tomber une pomme » ? Ce dernier texte est pourtant fort intéressant par le fait même de la méthode employée par l’auteur pour faire apercevoir aux enfants les lois de la gravitation : il y met en effet en scène un instituteur et deux de ses élèves et nous livre une petite pièce de théâtre en un acte où chacun des trois acteurs joue un rôle important. Mais nous allons voir que le chapitre sur l’astronomie, qui part de l’émerveillement que provoque en chacun de nous un ciel étoilé, contient des notions bien plus ardues que celles qu’on s’attend à voir exposer à des enfants de treize ans et nous renseigne en outre sur l’histoire de Poincaré lui-même et d’un épisode délicat de sa carrière : l’incompréhension qu’avaient suscitée des années auparavant des propos tenus par lui dans une conférence de philosophie. « LES ASTRES » Henri Poincaré s’attache en premier lieu ici à expliquer à des enfants la nature de ce qui compose notre univers (étoiles, constellations, planètes, voie lactée, nébuleuses, météores, comètes, etc.). Mais il veut aussi leur faire saisir les dimensions relatives entre ces astres et les distances qui les séparent, et il utilise pour ce faire divers artifices faisant appel à leur imaginaire. L’exercice est délicat, d’autant que ces astres sont animés de mouvements qu’il n’est pas aisé de décrire. Il ne peut pas en outre s’appuyer sur un savoir supposé connu des enfants des écoles primaires élémentaires ni même des écoles primaires supérieures. Dans l’édition de 1911 de son dictionnaire de pédagogie et d’instruction publique, Fernand Buisson rappelle que, dès 1878, Camille Flammarion avait émis le vœu que la cosmographie (« description de l’univers ») fût enseignée dans ces écoles, et avait esquissé dans la première édition de ce dictionnaire, dès 1887, …les traits principaux de ce petit cours populaire d‘astronomie, tels qu’il eût voulu le voir introduit dans les écoles normales, dans les écoles 5 primaires supérieures, et peu à peu, sous forme de causeries, de lectures et de dictées, dans les écoles primaires elles-mêmes. Si le vœu de Camille Flammarion ne fut pas exaucé dans les écoles, il le fut en revanche dans les écoles normales puisque, en ce qui concerne la formation des maîtres de 1911 (nous citons toujours F. Buisson) : « On trouve, au programme du cours de mathématiques, une section ainsi conçue : II. – Cosmographie (10 leçons). 1° Les étoiles et l’univers sidéral. – Principales constellations ; mesure pratique des coordonnées d’une étoile ; étoiles doubles et multiples ; étoiles colorées ; étoiles temporaires. – Nébuleuses. – Voie lactée. 2°. La terre. –Ses mouvements ; le jour et la nuit ; les heures ; heure moyenne et heure légale ; les méridiens ; leur mesure ; l’année et le calendrier. 3°. La lune. – Sa grandeur apparente ; sa distance ; comment on mesure les distances célestes ; les phases de la lune, les semaines, les mouvements de la lune, uploads/Litterature/ poincare-astres-analyse 1 .pdf

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