1 Le Psaume 1 et l’« encadrement » du livre des louanges André Wénin Le Psaume
1 Le Psaume 1 et l’« encadrement » du livre des louanges André Wénin Le Psaume 1 doit sans doute sa fortune au fait qu’il ouvre le « livre des louanges ». Cette place ne tient probablement pas au hasard1, car ce poème, en opposant le juste aux méchants, campe d’emblée les personnages que les autres psaumes mettront en scène. De plus, en situant leur opposition sur le terrain de l’affrontement au mal, il plante le décor de tout le livre. Mais le Psaume 2 prend le relais, comme si l’on avait voulu dédoubler et, du coup, enrichir la grille de lecture. D’autres personnages y apparaissent, en effet, et viennent se superposer aux premiers tout en s’inscrivant dans le cadre d’une lutte où se précise l’affrontement dont il était question. C’est cette grille de lecture que je voudrais tenter d’étayer et de développer à travers la lecture attentive du Psaume 1 et un examen des rapports complexes que le Psaume 2 entretient avec lui. Mais, selon l’expression de Paul Beauchamp, pour être utile, une corde à linge doit être accrochée aux deux bouts… Cela m’a donné l’idée d’aller lire aussi la fin du livre pour voir si ne s’y trouverait pas évoquée l’issue de ce combat que le début amorce et dont tant de psaumes portent la trace douloureuse ou triomphante. Bref, ne pourrait-on déceler, aux deux extrémités du psautier, des traces d’une sorte de narration dont les deux premiers poèmes présentent les acteurs et le cadre, et les trois 1 Pour S. MOWINCKEL, Psalmenstudien. VI. Die Psalmendichter, Kristiania 1924, p. 33, E.P. ARBEZ, « A Study of Psalm 1 », CBQ 7 (1945), p. 389-404 (voir p. 402), et L. JACQUET, Les Psaumes et le cœur de l’homme. Étude textuelle, littéraire et doctrinale I. Psaumes 1–50, Gembloux 1975, p. 203, le Ps 1 aurait même été composé ou retouché pour servir de prologue au psautier. Pour d’autres, il constitue une bonne introduction thématique au livre entier : en ce sens, p. ex., P. AUVRAY, « Le Psaume 1. Notes de grammaire et d’exégèse », RB 53 (1946), p. 362-371 (voir p. 371), et J. ENCISO, « Los Salmos-prólogos », Estudios Ecclesiasticos 34 (1960), p. 621-631 (voir p. 622 et 629). G.H. WILSON, The Editing of the Hebrew Psalter (SBLDS 76), Chico 1985, p. 204-207, y voit une introduction herméneutique plus que thématique (p. 207). 2 derniers le dénouement ? Peut-être trouvera-t-on là une raison supplémentaire d’appeler ce livre le « livre des louanges » ? I. L’ouverture du psautier : Ps 1 1. L’homme et les méchants : les termes d’une opposition L’unité du poème est soulignée par des inclusions2. Les mots « chemin » (derek) et « méchants » (resa‘îm) avec son parallèle « pécheurs » (hatta’îm) se retrouvent en effet aux versets 1 et [5]-63. De plus, le verset 6 oppose deux chemins, le chemin des justes et celui des méchants. Il rejoint en cela le verset 1 où, précisément, un homme ne marche pas dans le chemin des méchants, empruntant du même coup un autre chemin. Les deux mots extrêmes, « heureux » et « se perd », contribuent à renforcer l’antithèse entre les parties en présence. De manière plus lâche, l’opposition entre le « conseil » des méchants au verset 1 et l’« assemblée » des justes à la fin du verset 5 est soulignée par l’assonance entre ba‘asat et ba‘adat4. Tous ces éléments inclusifs contribuent à la description d’une même antithèse entre justes et méchants. La césure principale du psaume semble se situer au début du verset 4 où les mots lo’- ken (« non pas ainsi ») nient en bloc tout ce qui est dit auparavant5. Une telle coupure se recommande en ce qu’elle reprend, pour la renforcer, l’opposition dessinée par l’inclusion. D’ailleurs, isolées, les extrémités de ces deux parties résument 2 Je reprends au début de ce paragraphe les quelques éléments de l’étude structurelle du Ps 1 qui me semblent importants pour décrire l’opposition fondamentale dans ce poème. À propos de la structure littéraire du Ps, voir N.D. LUND, « Chiasmus in the Psalms », AJSL 49 (1932/33), p. 281-312 (Ps 1, p. 294-295) ; N.H. RIDDERBOS, Die Psalmen. Stilistische Verfahren und Aufbau. Mit besonderer Berücksichtigung von Ps 1–41 (BZAW 117), Berlin 1972, p. 56-57.120 ; P. AUFFRET, « Essai sur la structure littéraire du psaume 1 », BZ 22 (1978), p. 26-45 ; W. VOGELS, « A Structural Analysis of Ps 1 », Bib 60 (1979), p. 410-416 ; M. GIRARD, Les psaumes 1—50. Analyse structurelle et interprétation (Recherches, Nouvelle série 2), Paris-Montréal, 1984 (Ps 1, p. 52-57). 3 Voir p. ex., RIDDERBOS, Die Psalmen, p. 36 ; J.T. WILLIS, « Psalm 1 – An Entity », ZAW 91 (1979), p. 381-401, fait remarquer que les termes resa‘îm et derek se suivent aux versets 1 et 6, mais le verset 6 inverse l’ordre. 4 Le rapprochement est souligné par GIRARD, Les psaumes 1—50, p. 55. Noter que la LXX emploie deux fois le même mot boulè. 5 Souvent remarqué. Voir en particulier AUFFRET, « Essai sur la structure littéraire du psaume 1 », p. 32-33, et M. CONTI, « La via della beatitudine e della rovina secondo il Salmo I », Antonianum 61 (1986), p. 3-39 (voir p. 23). La LXX renforce en répétant deux fois ouch houtôs, suivie par certains traducteurs (voir ARBEZ, « A Study of Psalm 1 », p. 403, ou encore JACQUET, Les Psaumes et le cœur de l’homme I, p. 206). 3 magnifiquement l’antithèse : « heureux l’homme… ce qu’il fera réussira » (versets 1-3) et « non pas ainsi les méchants… leur chemin se perdra » (versets 4-6)6. D’une manière plus précise, on peut observer que par trois fois est répétée une même séquence lo’… kî (« ne pas… mais » : versets 1-2, 4 et 5-6). Les deux premières fois, la construction est même plus complexe : lo’… kî-’im… k- (« ne pas… mais plutôt… comme… » : versets 1-3 et 4). Cette structure permet d’opposer la longue description de l’homme qui a refusé le mal (trois fois « ne pas »), murmure la Loi (« mais plutôt ») et réussira (« comme ») à la négation sans appel de cette même description à propos des méchants (verset 4). La fin du poème (versets 5-6) commence par ‘al-ken (« c’est ainsi que ») et a l’allure d’une conclusion. Elle reprend l’antithèse avec un dernier « ne pas… mais » qui oppose à présent « justes » et « méchants » (une occurrence à chaque verset pour ces deux mots) ; mais cette fois, c’est pour décrire clairement le sort contrasté qui les attend au terme de leur chemin, ce qu’ébauchaient déjà les images des versets 3 et 47. L’antithèse que la structure dessine confronte donc méchant et juste. Le premier, c’est le sans-loi : en révolte contre Dieu — d’où « impie » selon la traduction classique depuis la LXX et la Vulgate —, le rasa‘ ignore tout des exigences de la justice et de la vérité, et il s’en prend aux pauvres désarmés. S’il passe en procès, il est déclaré coupable8. En face de lui, et souvent victime de sa violence, le saddîq parle vrai, agit avec droiture et se montre fidèle à l’alliance avec son Dieu. C’est pourquoi on lui rend justice en le déclarant innocent9. Voilà ce que disent les lexiques. Mais le poème élabore l’antagonisme de ces deux types d’une manière qui lui est propre et qu’il convient d’explorer méthodiquement. Cette manière a quelque chose de paradoxal. Tout d’abord, le mot « juste » n’apparaît pas au début du psaume, mais seulement à la fin (versets 5-6). Dans la première partie, on parle seulement d’un « homme » (ha’îs). Ensuite, si l’on reprend la tension créée entre les versets 1-3 et le verset 4 par le brutal lo’-ken (« non pas ainsi »), on constate que la structure syntaxique richement développée dans la première partie (« ne pas… ne pas… ne pas…, mais plutôt…, comme… ») reste vide au verset 4, à 6 Comme le note justement R. LACK, « Le psaume 1 – Une analyse structurale », Bib 57 (1976), p. 154-167 (voir p. 161), les mots ha’îs et haresa‘îm des versets 1 et 4 sont les seuls dans le Ps 1 à porter un article non syncopé. 7 Sur le caractère récapitulatif des versets 5-6 et leur rapport avec le début du poème, voir AUFFRET, « Essai sur la structure littéraire du psaume 1 », p. 36-41, avec tableau. 8 Voir p. ex. C. VAN LEEUWEN, « rs‘ frevelhaft/schuldig sein », THAT II (1979), col. 813-818, ou encore J.-P. PRÉVOST, Petit dictionnaire des psaumes (Cahiers Évangile 71), Paris 1990, p. 38. 9 Voir p. ex. PRÉVOST, Petit dictionnaire des psaumes, p. 30. 4 l’exception de la brève comparaison de la bale10. Tout se passe donc comme si, pour décrire les méchants, il suffisait de nier ce qui est affirmé de « l’homme ». De là à dire qu’il uploads/Litterature/ ps-1-fs-beauchamp.pdf
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- Publié le Nov 21, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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