1 La poétique du sujet lacanien Conférence de Charles Melman, psychiatre et psy
1 La poétique du sujet lacanien Conférence de Charles Melman, psychiatre et psychanalyste et présentation générale de Camille Dumoulié (Le texte de ces interventions a été établi à partir de la transcription réalisée par Corinne Godmer. Qu’elle en soit remerciée) Camille Dumoulié Je vous rappelle ce propos de Lacan : « Le prolétaire est serf non pas du maître mais de sa jouissance. » Cette phrase est d’une richesse considérable. Eh bien, ce que nous voyons aujourd’hui, c’est précisément cela : il n’y a plus de maître, dans nos cultures, le patron, c’est la jouissance. De telle sorte qu’on assiste, si vous me permettez ce commentaire ironique, à une étonnante victoire prolétarienne que Marx n’avait pas prévue : la prolétarisation de l’ensemble de la société. Tous prolétaires ! Tous serviteurs ! Tous captifs, obéissants vis-à-vis de la jouissance ! Le grand événement, comme on l’a déjà montré, c’est qu’il n’y a plus de jouissance phallique. Il n’y a plus de jouissance aujourd’hui que de cet objet « construit » à partir des objets partiels, cet objet que Lacan a nommé l’objet petit a. Nous vivons, en Occident, dans le culte du déshonneur. L’honneur n’est plus une valeur, ne vaut plus rien sur le marché, paraît désuet, voire réactionnaire. Rien d’étonnant puisqu’on assiste au triomphe de l’objet petit a, c'est-à-dire du déchet. Il n’y a qu’à voir à quoi ressemble le style de nos rapports… Mais, pour s’en sortir, y a-t-il une autre voie ? Je dirai qu’à mon idée, ce qui vous paraîtra pessimiste, il n’y en a pas. Ne serait-ce que parce que le vœu profond de l’humanité, c’est de mourir, de disparaître. 2 J’ai tenu, pour commencer et pour présenter les choses de façon catégorique, à lire cette page du livre de Charles Melman, L’homme sans gravité, dont la seconde édition vient de paraître en livre de poche (Folio, Essais, 2005, p. 147 ; 1ère éd., Denoël, 2002). Il se présente sous la forme d’un dialogue avec un autre psychiatre et psychanalyste, Jean-Pierre Lebrun. A travers cette page, vous voyez que nous avons affaire, évidemment, à un spécialiste de l’œuvre de Lacan, mais aussi à quelqu'un qui n’est pas seulement psychiatre, psychanalyste ou clinicien, qui est un penseur de la société, de l’histoire contemporaine et, doit-on même dire, comme en témoigne le ton de ses propos, un moraliste dans le sens le plus classique du terme. Charles Melman a été un des dirigeants de l’Ecole Freudienne de Psychanalyse, créée par Lacan et dissoute en 1980, un an avant sa mort. Par la suite, il a fondé l’Association lacanienne internationale. Son œuvre, considérable, porte sur les divers aspects de la clinique psychanalytique, depuis les Nouvelles études sur l’hystérie (Denoël, 1984) jusqu’à Retour à Schreber (Publication de l’Association freudienne internationale, 1999). Fondateur de la revue Passage, il a aussi publié des articles essentiels dans certains grands quotidiens. La conférence d’aujourd’hui, « Poétique du sujet lacanien », inaugure une série de séminaires qui vont porter sur cette question de la poétique du sujet. Mais en continuité avec ce thème, M. Melman nous parlera de cette nouvelle configuration psychique qui est la problématique centrale de son livre où il établit le diagnostic de la décomposition du sujet dans le monde néocapitaliste. Néanmoins, avant de lui donner la parole, je voudrais revenir sur la thématique générale de ce séminaire. Les directeurs d’équipes du centre de recherches ont décidé de consacrer le premier séminaire et le dernier de l’année à un thème commun consacré à la poétique du sujet. Il faut rappeler que la question du « sujet » est un des grands axes de recherche de l’Université de 3 Nanterre. Par ailleurs, l’approche poétique est une perspective majeure de ce centre de recherche qui n’est pas simplement de littérature comparée au sens strict, puisqu’il associe des chercheurs, et un directeur d’équipe comme Jean- Michel Maulpoix, qui travaillent sur la poésie et la poétique. Si on peut parler de poétique du sujet, c’est d’abord que le sujet est une création historique, déterminée, bien sûr, par les propriétés générales du langage, mais qu’il est aussi le produit d’une culture donnée et qu’il se transforme avec les mutations socio-économiques. Le sujet, tel que nous l’entendons (encore s’agit-il, pour le moment, d’un sous-entendu que les séminaires à venir auront pour objet d’expliciter), a trouvé une expression essentielle dans le Cogito cartésien qui l’a promu véritablement à l’existence. Le sujet est le fruit d’une histoire occidentale qui commence avec les Grecs. Et donc, s’il y a une poétique du sujet, elle ne peut être qu’une poétique comparée, et même une poétique littéraire comparée dans la mesure où les grands textes de la littérature occidentale sont autant de moments d’expression poétique du sujet : du sujet lyrique — dont parlera Jean-Michel Maulpoix dans la dernière séance de cette année universitaire, du sujet philosophique, du sujet du pouvoir, du sujet du droit, etc. De ces divers visages du sujet, on trouve donc une espèce de reflet dans les grands textes littéraires. Mais peut-être n’en sont-ils pas simplement le reflet, comme le suggèrent ces lignes de Lacan, retranscrites du séminaire qu’il a consacré à Hamlet, intitulé Le désir et son interprétation, partiellement publié dans la revue Ornicar (1983) : « Que sont donc les grands thèmes mythiques sur lesquels s’essaient au cours des âges les créations des poètes, sinon de longues approximations par quoi ils finissent par entrer dans la subjectivité, dans la psychologie. Je soutiens sans ambiguïté que les créations poétiques engendrent plus qu’elles ne reflètent les créations psychologiques. » Voilà qui rend légitime que des « littéraires » parlent du sujet, puisque le sujet est autant engendré par ces grands textes que ceux-ci sont le reflet de son histoire. Mais alors, dans une perspective comparatiste, on devra se poser la 4 question : qu’en est-il du sujet hors de l’Occident ? Comment le sujet se mondialise-t-il ? Comment cette création culturelle se transforme-t-elle en un modèle existentiel pour la planète ? Comment devient-on un sujet chinois, un sujet africain, sur le modèle occidental ? Mais aussi, comment le sujet fait-il les frais de cette mondialisation ? Cela nous oriente, évidemment, vers des questions de politique : qu’est-ce que les sujets occidentaux désirent, dans cette mondialisation néo-capitaliste après avoir si ardemment désiré le fascisme ? J’évoque cela pour simplement rappeler quelque chose qui est presque devenu un lieu commun, à savoir que la poétique s’entend et s’écrit souvent, de nos jours, « poéthique », jeu de mots signifiant que la poésie engage à la fois des questions éthiques et des questions esthétiques. Dans son sens premier, étymologique, la poétique, renvoie à la poiésis, au faire, à la fabrique. Or, le sujet est le fruit d’une construction symbolique et imaginaire. En tant que théorie, la poétique a d’abord été comprise comme l’étude des règles propres au discours et à la création littéraire, à l’instar de la Poétique d’Aristote. Etre de parole qui émet des signes relevant d’une sémiotique, qui obéit à toute une grammaire, une syntaxe plus ou moins implicite, le sujet est un effet de langage. Il en va ainsi de l’œuvre littéraire, et tout comme une œuvre s’inscrit dans un genre, une forme donnée, le sujet, aussi, existe par son inscription dans un discours. Mais comme toute l’œuvre littéraire, encore, il n’existe qu’à faire émerger la singularité de sa parole. Historiquement, la poétique a été confondue, de façon plus ou moins légitime, avec le poétique, avec l’analyse de la poésie. Et, de même, le sujet relève du poétique autant que de la poésie. Le sujet est quelque chose qui émerge sous la forme d’un événement du sens, à la faveur d’effets qu’on peut dire poétiques et avec ce caractère de coup de force, de coup de surprise, qu’ont toujours la poésie et la création poétique. Comme l’a montré Lacan, après Freud, le sujet de l’inconscient fonctionne selon certaines lois qui révèlent de la 5 métaphore et de la métonymie ; c'est dire pourquoi son émergence a ce caractère poétique. Dans un sens plus moderne, la poétique désigne la théorie des genres, et elle peut consister aussi à dégager une conception de la littérature propre à un ensemble culturel. Elle englobe, ainsi, les cultural studies, les études culturelles qui envisagent une œuvre par rapport au contexte psychologique ou social dans lesquels se situe son auteur, prenant en compte son appartenance ethnique ou à son identité sexuelle. De la même manière, il y a des genres de sujets, selon les époques, les pays, les situations sociales, les individus, le sexe. D’ailleurs, voilà une question que je voudrais vous poser à M. Melman : le sujet a-t-il un sexe ? Enfin, dans son acception structurale, la poétique étudie moins le contenu que les modes d’expression des œuvres. Elle cherche à établir les structures à partir de quoi une œuvre est possible et à dégager les principes d’engendrement de nouvelles structures et de nouvelles œuvres. Eh bien, de même, on peut étudier à quel type de sujet on a affaire, selon les déplacements uploads/Litterature/ psicanalise.pdf
Documents similaires
-
13
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1101MB