L’ENQUÊTE 64 SEPTEMBRE 2017 Q uand Mira Clairefond a appris qu’une école altern
L’ENQUÊTE 64 SEPTEMBRE 2017 Q uand Mira Clairefond a appris qu’une école alternative ouvrait ses portes à quelques kilomètres de son domicile, dans la campagne d’ Arles, elle n’a pas hésité une se- conde. « Je suis finlandaise et j’ai connu un système scolaire différent. En France, j’avais le sentiment qu’on mettait une pression aux enfants dès l’âge de 3 ans », explique-t-elle. Depuis deux ans, Kirakuu et Shaïna fréquen- tent l’école du Domaine du Possible, créée en 2015 par les dirigeants des éditions Actes Sud, Françoise Nyssen, l’actuelle ministre de la Culture, et son mari. « Ici, on respecte chaque enfant comme il est, il y a une forte connexion avec l’agriculture, l’école est située dans une ferme ! » se réjouit Mira Clairefond. Une for- mule qui suscite l’engouement des parents puisque la liste d’attente compte plusieurs di- zaines de noms. En France, 30 000 enfants suivent leur scolarité dans des écoles alterna- tives. Celles-ci se réclament de différentes pé- dagogies, comme Montessori (169 établisse- ments), Steiner-Waldorf (22 écoles) ou Freinet, sans oublier les écoles démocratiques, passées de 0 à 15 en trois ans, et les établissements sans étiquette ! Chacune a ses spécificités. Mais « ces écoles travaillent toutes à partir des ques- tionnements des élèves et respectent le rythme de l’enfant », précise la spécialiste de l’éduca- tion Marie-Laure Viaud (lire encadré). Moins cadrée que la pédagogie traditionnelle (qui s’appuie sur des programmes à suivre), la pé- dagogie active compte sur la curiosité natu- relle de l’enfant pour apprendre. 1 DES ÉLÈVES PLUS CRÉATIFS ET AUTONOMES Qu’ont en commun Larry Page et Sergey Brin, les fondateurs de Google, Jeff Bezos, créateur d’ Amazon, ou encore George Clooney ? Ces célébrités sont allées dans une école Montes- sori (cette pédagogie donne une place primor- diale à la liberté et l’autodiscipline, lire notre « Complément d’enquête », p. 68). Au-delà de ces stars qui attribuent une partie de leur suc- cès à la formation suivie, difficile de savoir si les enfants Montessori, Steiner ou Freinet s’en tirent mieux que les autres. Il n’existe, en effet, aucune enquête globale. Toutefois, Marie- Laure Viaud relève « qu’en ce qui concerne les acquis scolaires, les études montrent que les élèves réussissent au moins aussi bien que dans les écoles standard ». Par exemple, en 2006, l’école Vitruve, à Paris (une structure publique Texte Maylis Jean-Préau QUE VALENT LES ÉCOLES ALTERNATIVES ? Alors qu’une réforme de l’Éducation nationale est en cours… MONTESSORI, FREINET, STEINER… LES STRUCTURES SCOLAIRES DIFFÉRENTES SUSCITENT DE PLUS EN PLUS L’ENGOUEMENT DES PARENTS, MALGRÉ UN PRIX SOUVENT ÉLEVÉ. EFFET DE MODE OU CHANCE POUR LES ENFANTS ? Marie-Laure Viaud Agrégée d’histoire, docteur en sciences de l’éducation et maître de conférences à l’université d’Artois, elle s’intéresse à l’innovation à tous les niveaux de l’enseignement. Elle a ainsi enquêté dans de nombreux établissements – écoles, collèges et lycées – de France, afin de comprendre les avantages et les limites des pédagogies alternatives. Montessori, Freinet, Steiner… Une école différente pour mon enfant ?, éd. Nathan. LES FAITS Avec 98 000 non diplômés (décrocheurs), l’école ne remplit pas toujours sa mission. Pour 52 % des parents, l’école n’est pas adaptée à la géné ration actuelle. Et 92 % estiment qu’il faut tenir compte du talent de tous. (OpinionWay/APEL) En 2016, 93 nouveaux établis sements hors contrat ont ouvert, soit trois fois plus qu’en 2011. 72 % se reven di quent Montessori et autres péda gogies alternatives. (Fondation pour l’école) NOTRE EXPERT 65 65 SEPTEMBRE 2017 expérimentale qui lutte contre l’échec scolaire en valorisant l’autonomie), affi chait un taux de réussite aux évaluations en CE2 de 76,1 % en mathématiques et de 75,6 % en français, contre 68,4 % et 70 % au niveau national. Côté Montessori, une enquê te d’Angeline Lillard, professeur de psychologie à l’Université de Virginie (États-Unis), conclut que les élèves sortant de maternelle sont « nettement mieux préparés à l’école élémentaire en lecture et en mathématiques » et qu’ils sont « signifi ca tive- ment plus créatifs » que ceux du système tradi- tionnel. Même enthousiasme de Céline Al- varez, qui a appliqué cette pédagogie pendant trois ans dans une maternelle publique de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Résultat, se- lon l’équipe du CNRS l’ayant suivie, 90 % des élèves de moyenne section et 100 % de ceux de grande section savaient lire, soit douze à dix-huit mois avant les autres. À l’inverse, dans les écoles Steiner – du nom du philosophe au- tri chien Rudolf Steiner –, les élèves n’appren- nent à lire qu’à partir de 7 ans et se consacrent d’abord aux activités manuelles et à l’art. À tel point qu’en France 23 % des anciens élèves Steiner s’orientent vers un métier de l’art. En revanche, dans un mémoire universitaire, une étudiante en psychologie a relevé des lacunes en orthographe et en sciences à l’issue de leur scolarité, chez 40 % des ex-Steiner. La réussite dans ces établissements est par- fois attribuée à leurs moyens plus élevés, leurs plus faibles effectifs (entre 15 et 20 chez Mon- tessori, contre 28 dans une classe standard) ou au milieu plus favorisé des élèves. Mais en 2001, des enseignants formés à la pédagogie Freinet ont prouvé le contraire dans le groupe scolaire Concorde de Mons-en-Barœul (Nord), touché par la violence et l’échec scolaire. Ce mouvement créé par l’instituteur Célestin Frei- net dans les années 1930, pour transformer l’école publique en s’adressant aux enfants des milieux populaires, privilégie le travail entre pairs et l’apprentissage via des expériences concrètes comme la tenue d’un journal. Alors qu’ils obtenaient des notes inférieures de 10 % à la moyenne nationale, aux évaluations de français à l’entrée en sixième, les élèves ont rattrapé le niveau en cinq ans, en s’illustrant notamment à l’oral. « J’ai été très surpris par les résultats, tous positifs, tant en terme d’ap- prentissage que de construction des valeurs », souligne Yves Reuter, directeur de Théodile- Cirel, un laboratoire de l’université de Lille-III, qui a suivi l’expérience. Aujour d’hui, le groupe scolaire Concorde refuse des élèves ! Autre critique sur ces écoles : il serait diffi - cile de réintégrer le cursus classique. Car si la France compte 300 écoles primaires alterna- tives, il n’existe qu’une dizaine de collèges Sources : ministère de l’Éducation - Fondation pour l’école Un remède à l’échec L’école du Domaine du Possible, près d’Arles, accueille une centaine d’enfants, de la maternelle au lycée, dont un tiers était en échec scolaire dans le système standard. Outre les matières classiques, on y aborde le chant, les langues, le jardinage ou l’expression corporelle. 62000 élèves fréquentent un établissement privé hors contrat DE 42 À 700 € c’est le tarif par mois des écoles privées hors contrat. 0,26 % des élèves est scolarisé dans une école alterna- tive. Parmi les 11,4 mil- lions d’élèves français (école, collège, lycée hors professionnel), 83 % sont dans le public, 17 % dans le privé, dont 0,4 % dans des écoles hors contrat. Écoles non confes- sionnelles Écoles catholiques/ protestantes Autres Écoles musulmanes Écoles juives 58 % 27 % 7 % 4 4 Répartition des écoles hors contrat L’ENQUÊTE 66 SEPTEMBRE 2017 et aussi peu de lycées. Selon l’étude de Re- becca Shankland, maître de conférences en psychologie à l’université de Grenoble, me- née auprès d’adolescents passés par ce type d’écoles, 40 % d’entre eux ont rencontré des difficultés à l’entrée au collège, contre 28 % des écoliers du système classique. « Mais c’est le plus souvent transitoire, indique la cher- cheuse. Par exemple, en sixième, après un pre- mier trimestre difficile, les anciens élèves de l’école primaire Freinet de Nantes devan- çaient de 1 à 2 points leurs camarades au troi- sième trimestre. À long terme, les sujets issus de ces éta blissements s’adaptent mieux à l’en- seignement supérieur », poursuit-elle. À l’is- sue de leur premier semestre à l’université, toutes disciplines confondues, les anciens élèves obtenaient une moyenne de 12/20 contre 10/20 pour les autres étudiants. 2 DES ENFANTS PLUS ÉPANOUIS Ennui, peur de l’échec, compétition entre élèves… L’école standard cristallise des cri- tiques voire suscite le rejet. Selon une enquête de l’OMS, un tiers des 11-15 ans n’aiment pas y aller. Réconcilier l’élève et l’école est donc l’un des objectifs des structures alternatives. Antonella Verdiani, auteur de Ces écoles qui rendent nos enfants heureux (éd. Actes Sud), parle même de « pédagogies qui éduquent à la joie ». Avec, au centre, le bien-être de l’en- fant. Pour y parvenir, les établissements s’ef- forcent de mettre chaque écolier en valeur et de s’adapter à son rythme. D’après l’enquête de Rebecca Shankland, 40 % des élèves ayant passé une partie de leur scolarité dans une école de ce type ont gagné en confiance en eux, contre 13 % de ceux des écoles classiques, et ils sont deux fois moins sujets au stress et à la dépression. L’absence de notes, la coopé- ration entre les élèves d’âges parfois très dif- férents dans une même classe (de 5 à 17 ans uploads/Litterature/ que-valent-les-ecoles-alternatives.pdf
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- Publié le Dec 20, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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