115 Revue des Études Amazighes, 1, 2017, p. 115-135 Quelques motifs de l’identi
115 Revue des Études Amazighes, 1, 2017, p. 115-135 Quelques motifs de l’identité amazighe dans la poésie de Sidqi Azaykou Lhassane ANDAM Université Ibn Zohr, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines - Agadir Aujourd’hui, une production assez importante dont la poésie se taille la part du lion agrémente les annales de la littérature amazighe. Cette poésie moderne, qui se distingue de la poésie traditionnelle, se définit en quelque sorte comme une quête. L’acte de composer chez un bon nombre de poètes constitue une bataille livrée en faveur de l’amazighité. C’est le cas du pionnier de la poétique amazighe moderne Ali Sidqi Azaykou. Sa poésie a résonné dans les milieux amazighes comme un cri ou encore comme un verbe de protestation et d’affirmation venu renverser sur son passage tous les préjugés établis. Azaykou a clamé haut et fort l’éminente dignité de l’Amazighe. C’est dans le cadre d’un mouvement pour la revalorisation de la culture amazighe que s’inscrit son œuvre poétique représentée essentiellement par ses deux recueils Timitar « Signes » et Izmuln « Cicatrices ». Cette contribution n’ambitionne pas exposer tous les signes et toutes les cicatrices, ni les traces des blessures timitar n izmuln, mais portera essentiellement sur les motifs de l’amazighité que célèbre Azaykou à travers son œuvre poétique. Nous mettrons en évidence que le propos du poète se situe au cœur de la féminité allant de la mère génitrice, à la langue, à la culture, à la terre, bref à l’amazighité. 116 Le texte s’organisera en deux sections. La première portera sur la présentation de l’homme et son œuvre poétique. Quant à la seconde, elle sera dédiée à la célébration de l’identité amazighe sous ses multiples facettes, à savoir la mère, la terre, l’histoire, la langue, etc. 1. Ali Sidqi Azaykou : de la vie à l’œuvre poétique 1.1. Quelques repères biographiques L’intellectuel engagé, l’historien-poète et le militant amazighe Ali Sidqi Azaykou150 a vu le jour en 1942, au pied du versant ouest de la montagne majestueuse du Haut Atlas151, à une soixantaine de kilomètres de Taroudant, précisément à Igran n twinkht, village relevant du Caïdat de Tafingoult. C’est là qu’il fait son entrée à l’école avant de poursuivre ses études primaires et secondaires à Marrakech. Au Centre de Formation des Instituteurs de la ville ocre, il bénéficie d’une formation au terme de laquelle il est affecté au collège d’Imi n tanout. Tout en exerçant dans l’enseignement, il s’inscrit à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat où il décroche une Licence d’Histoire en 1968, ce qui lui permet de s’établir dans la capitale après être promu professeur d’Histoire de l’enseignement secondaire. En 1972, il intègre l’enseignement supérieur en tant qu’enseignant- chercheur à la faculté précitée où il soutient six ans plus tard une thèse en Histoire en vue de l’obtention du Diplôme d’Études Supérieures. Ali Sidqi Azaykou est connu comme un défenseur fervent de la culture amazighe. Très tôt, il fonde avec un groupe d’étudiants amazighophones l’Association Marocaine pour la Recherche et l’Échange Culturel (AMREC)152, qu’il quittera plus tard pour créer153 l’Association Culturelle Amazighe (1979). 150 À Igran n twinkht, la famille de Sidqi Azaykou est plutôt appelée Ayt Taleb. Cette précision, nous l’avons recueillie des proches du poète et des habitants de cette localité. 151 Cette montagne a inspiré au poète la fierté, la grandeur et l’attachement à la vie, lesquelles qualités sont célébrées dans plusieurs poèmes, notamment dans iÇnÇam « Les Muets » qui sera évoqué dans ce texte. 152 Les membres fondateurs de cette association comptent parmi d’autres Ali Sidqi Azaykou, Brahim Akhiat, Ahmed Boukous, Abd El Fadel El Ghouali, Abdellah Bounfour, Ahmed Akouaou, Omar El Khalfaoui, Ali El Jaoui. Parmi les objectifs que l’AMREC s’est assignés, nous retenons la revalorisation de l'héritage culturel, 117 Feu Azaykou est considéré dans les milieux amazighes comme un arugi « rebelle ». Sa lutte pour la reconnaissance de la dimension amazighe au Maroc lui a valu en 1982 plus d’une année d’incarcération, qui survient au lendemain de la publication, dans le premier numéro de la revue Amazigh, d’un article incendiaire intitulé « Pour une véritable conception de notre culture nationale ». L’appel à la révision de l’histoire du pays a fait de lui le premier militant amazighe à payer cher l’absence de la liberté d’expression dans le Maroc de l’époque. Il sort de la prison certes meurtri, mais sans que la dignité de l’homme libre ne soit atteinte. Azaykou est reconnu également comme étant un grand historien fidèle à la mémoire collective. Ce « déterreur de la Vérité » (Boukous, 2007 : 23) a légué des articles et des ouvrages incontournables pour quiconque voudrait comprendre l’histoire de notre pays. Nous nous contentons de citer ici « La montagne marocaine et le pouvoir central : un conflit séculaire mal élucidé » (1990)154, L’Islam et les Amazighes (2002) et L’histoire du Maroc ou les interprétations possibles (2003). Pour clore ce point, notons que Sidqi Azaykou restera l’un des pionniers du mouvement amazighe, le premier détenu de la cause amazighe, un historien chevronné, mais aussi un poète émérite. Il décède le dix septembre 2004, une année après l’introduction de la langue amazighe dans le système éducatif marocain et trois ans après la création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) auquel est dévolue la mission d’aménager et de standardiser la langue amazighe. L’ex-membre du Conseil d’Administration de l’IRCAM et l’ex-chercheur au Centre des Études Historiques et Environnementales (CÉHE) relevant de ladite institution peut reposer en paix dans la mesure où ce pourquoi il a sacrifié sa vie commence à porter ses de la littérature et des arts populaires par le biais des travaux collectifs et individuels, la lutte pour la reconnaissance des diversités culturelles et linguistiques, et la promotion de la langue et de la culture amazighes par tous les moyens possibles. 153 C’est grâce à Azaykou, à Chafik et à Zemmouri, entre autres, que cette association a vu le jour. 154 Vu que le volet qui nous intéresse ici est la production poétique de Sidqi Azaykou, nous nous dispensons de mentionner tous ses écrits relatifs à l’Histoire. Pour une présentation détaillée des ouvrages et articles produits par ce chercheur, nous invitons le lecteur à consulter Hamam et al. (2005). 118 premiers fruits. Nous partageons avec Boukous (Ibid. : 24) le fait que ce grand homme reste : Un mort-vivant Qui instille le souffle de la vie, Qui ranime la flamme de l’espérance Parmi les vivants morts. Dans ce qui suit, nous nous pencherons sur un autre aspect de la personnalité de Sidqi Azaykou. Il sera question de Dda oli155amdyaz « Dda Ali, le poète ». 1.2. L’œuvre poétique Ali Sidqi Azaykou est d’abord poète avant d’être historien, chose qu’il doit au berceau naturel et familial où il a passé sa tendre enfance. Là, la poésie tient une place fondamentale. Elle rythme tous les événements et activités de la vie quotidienne, ce qui a un grand impact sur la formation de sa personnalité, notamment sa sensibilité et son penchant pour l’art et le beau. Outre ses recherches sur l’Histoire, Azaykou nous a légué des chefs- d’œuvre de la poésie amazighe. On s’accorde à le considérer comme étant l’un des pionniers de la poésie amazighe moderne. Les deux recueils qu’il a publiés, en l’occurrence Timitar « Signes » (1988) et Izmuln « Cicatrices » (1995), constituent un repère témoignant du passage de la poésie orale, représentée par l’amarg156 « la poésie chantée », à la poésie écrite. 155 C’est l’étiquette qu’on se plaît d’utiliser pour appeler poliment Ali sidqi Azaykou. 156Le mot peut signifier également : « chagrin d’amour, regret, nostalgie, … ». Il revient souvent dans des expressions comme yav iyi umarg n tmazirt « J’ai le mal du pays » ou yav iyi umarg nnk « Ton absence me fait souffrir = tu me manques ». Dans la poésie des rways, il peut renvoyer : (i) à l’amour, mais généralement à un amour insatisfait et douloureux ; (ii) à un chant lyrique empli de regret et de chagrin, sentiments dus souvent à l’éloignement de l’être aimé ou à la vie loin du pays natal. Ces poètes itinérants sont en perpétuelle errance et souffrent de ce fait de la solitude, ce qui se traduit par la présence d’une émotion mélancolique dans leur poésie, amarg. Bref, les différents sens « poésie, chagrin d’amour, regret, nostalgie, etc. » donnés au terme amarg se révèlent en quelque sorte liés (El Mountassir, 2004). 119 En effet, Sidqi Azaykou s’institue comme novateur. Comme le souligne à juste titre Bounfour (2007 : 27), sa poétique se veut, moderne, en ce sens que : « (i) elle est en rupture avec l’esthétique de l’attendu, du connu, voire du lieu commun ; (ii) elle tourne vers une thématique tournée vers la revendication berbère ou ‘amazighisme’». Grâce à lui, la poésie écrite amazighe affiche désormais le souci de se libérer des règles et rompre avec les contraintes observées dans la poésie chantée. La poésie tazaykut puise sa force non seulement dans le terroir et uploads/Litterature/ quelques-motifs-de-l-x27-identite-amazighe-dans-la-poesie-de-sidqi-azaykou-lhassane-andam.pdf
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- Publié le Apv 02, 2022
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