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Tous droits réservés © Spirale magazine culturel inc., 2010 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 16 juil. 2022 06:30 Spirale arts • lettres • sciences humaines Essai Lire l’espace La géocritique. Réel, fiction, espace de Bertrand Westphal. Minuit, 304 p. Guillaume Asselin Numéro 230, janvier–février 2010 L’éthique à l’ère de la mondialisation URI : https://id.erudit.org/iderudit/61793ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Spirale magazine culturel inc. ISSN 0225-9044 (imprimé) 1923-3213 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu Asselin, G. (2010). Compte rendu de [Lire l’espace / La géocritique. Réel, fiction, espace de Bertrand Westphal. Minuit, 304 p.] Spirale, (230), 47–49. L ’espace a décidément la cote, ces derniers temps : on ne compte plus le nombre de publications qui lui sont consacrées, et ce en de multiples domaines. Je pense à l’engouement suscité par la « géopoétique » de Kenneth White ou la « géophilosophie » de Deleuze et Guattari, aux réflexions d’Augustin Berque sur « l’écoumène » et les « milieux humains », aux travaux de Marc Augé, de Didi-Hubermann ou de Paul Audi sur le « non-lieu », qu’il soit envisagé sous l’angle de l’anthro- pologie, de l’histoire de l’art ou de la philosophie, aux méditations consa- crées à l’espace urbain et à l’architec- ture. Foucault n’observait-il pas, en 1984, dans « Des espaces autres », que si le XIXe siècle avait été obsédé par l’Histoire, l’époque contemporaine serait essentiellement une ère de spa- tialisation ? On en vient même à parler de « spatial turn » ou de « tournant géographique », comme jadis on par- lait de « linguistic turn » afin de carac- tériser la révolution structuraliste. L’ouvrage de Bertrand Westphal se distingue cependant par le caractère Lire l’espace PAR GUILLAUME ASSELIN LA GÉOCRITIQUE. RÉEL, FICTION, ESPACE de Bertrand Westphal Minuit, 304 p. SPIRALE 230 | JANVIER | FÉVRIER | 2010 47 est souple, a souvent la vivacité de l’essai, hormis dans le chapitre d’introduction, où le lecteur sent bien qu’un désir de théorisation sur les rapports complexes de l’histoire, de la fiction et de la biogra- phie n’a pu être ni abandonné ni satisfait totalement, en sorte qu’il y en a trop ou trop peu. Dans le reste de l’ouvrage, la mesure est bonne. Au fil des pages on apprend une kyrielle de choses sur des gens, des textes, des débats, sur le logo de la compagnie Apple comme sur les marottes de Darwin, sur le vélo de Marie Curie ou sur le chapeau d’Oppenheimer, sur les réparties coupantes des uns et des autres et sur les bons ou derniers mots presque toujours apocryphes comme il se doit. Le ton de l’ensemble est heureux. Chassay propose à son lecteur un pacte de complicité, dans lequel l’impératif de la première personne du pluriel — « Passons à… », « Prenons l’exemple de… », « Commençons par… » — joue un rôle important et subtil, à la fois d’invitation à la promenade intellectuelle et de reprise en mode léger de l’énonciation scienti- fique. Les lectures des textes passés en revue sont à la fois précises et synthé- tiques, ce qui a dû demander un travail de Romain, car ces textes sont nombreux, variés, assez souvent sournois. Il reste par- fois deçà delà un doute sur les jugements portés sur ces textes. Non qu’ils soient malvenus, au contraire : l’esprit critique est au cœur d’un essai de ce genre, et l’au- teur retrouve fréquemment au détour d’un paragraphe l’escrime qu’il pratiqua autrefois ici même quand il tenait une chronique littéraire sur le roman. Mais c’est leur fondement qui pose ici et là question : quelquefois, rien d’autre ne soutient le jugement porté sur telle ou telle représentation du savant qu’un noyau biographique donné pour « authentique » (« Après ces œuvres diver- sifiées qui permettent de rencontrer l’au- thentique Oppenheimer […] ») ou simple- ment posé comme allant de soi. Si je lis bien, dans l’esprit de l’auteur, les fictions intéressantes sont celles qui élaborent ou extrapolent des versions plausibles de la personnalité des sept savants ou de leurs actes à partir de ce noyau dur. Soit, mais qui a décidé de la vérité ou de l’authenti- cité de ce dernier ? comment et pourquoi ? relève-t-il d’une conviction intime? d’une légitimité accordée à cer- tains témoins et, si oui, lesquels et pour- quoi eux? d’une confrontation de docu- ments de première main? Il y a là un point de critique historique ou un a priori qu’il aurait fallu justifier, même dans un essai. J’aurais trouvé bon également que l’une au moins des figures retenues soit extérieure à l’Occident (voir par exemple les mathématiciens arabes ou persans dans les romans de Denis Guedj, dont les héros véritables sont les concepts scienti- fiques eux-mêmes). Mais ces éléments de critique n’enlèvent rien à un excellent livre qui gagne hautement le pari qui a gouverné son projet : démontrer que la science et la littérature sont culturelle- ment échangistes, au nom du Verbe, du Chiffre et du Vif-Esprit. ESSAI 48 SPIRALE 230 | JANVIER | FÉVRIER | 2010 résolument synthétique de sa démarche. Il ne s’agit pas seulement d’analyser les modalités suivant lesquelles l’es- pace se voit représenté dans les uni- vers de fiction, comme c’est souvent le cas, mais de déterminer la nature du lien que ces espaces fictifs entretien- nent avec l’espace « réel » et, partant, avec l’ensemble des sciences qui ont l’espace pour objet. RÉEL, LITTÉRATURE, ESPACE La révolution einsteinienne a, comme on sait, profondément bouleversé notre perception de l’espace-temps et, consé- quemment, l’idée que l’on se faisait du « réel ». Le mythe scientifique d’un réel purement objectif et déterministe s’est vu débouté au profit d’une conception relativiste — la réalité, ainsi que le fait valoir Bertrand Westphal, n’existant plus que dans « la géométrie (non-eucli- dienne) de ses multiples représenta- tions ». Dans ce contexte postmoderne, anomique, où l’incertitude s’érige en principe, où la virtualisation croissante de nos existences et la multiplication des simulacres rendent désormais poreuse la frontière entre le réel et la fiction, la littérature, autrefois reléguée du côté de l’irréel et de l’imaginaire, « devient une clé de lecture raisonnable du monde », écrit Westphal. Véhicule emblématique d’une « pensée faible », au sens que G. Vattimo confère à ce mot, elle est peut-être même plus apte que les sciences « dures » ou « fortes » à cerner le régime ontologique extrême- ment problématique dans lequel nous entrons. S’il n’y a de réalité que médiée ou médiatisée, si l’espace-temps n’est jamais perçu qu’à travers le prisme des représentations qu’on s’en fait et qu’on en donne, il vaut certainement la peine de se questionner sur les modalités de celles-ci. Or quel discours est mieux placé que la littérature pour étudier ces modalités, elle qui est intrinsèquement liée à la mímèsis ? C’est un véritable laboratoire, qui permet d’observer les multiples façons dont l’espace-temps est perçu et reconfiguré. Car il n’y a pas d’espace pur, mais toujours des expé- riences singulières de l’espace. Écrire permet non seulement d’expérimenter l’espace, mais de faire des expériences sur lui, avec lui — ce que n’autorise pas la méthode scientifique classique, contrainte par son postulat, illusoire, d’objectivité. Si l’espace littéraire est fondamentalement transgressif, ainsi que le fait valoir l’auteur, c’est précisé- ment qu’il s’inscrit en faux contre toute homogénéisation du réel, réduisant à une part extrêmement restreinte le spectre des possibles que la fiction, au contraire, fait se déployer dans toute son amplitude. Le texte, à ce titre, fonc- tionne comme un détecteur et un révé- lateur des plis cachés du réel, un « champ d’expérimentation de réalités alternatives », ainsi que l’illustre la théorie des mondes possibles (T. Pavel, U. Eco, N. Goodman). En permettant de se libérer des conditionnements per- ceptifs et des contraintes du référent, la littérature apparaît ainsi comme une « voie d’accès à un réel décanonisé, (r)ouvert sur le narratif ». Passant outre l’opposition entre un réa- lisme naïf, qui ne conçoit le lien de la représentation à son référent qu’en termes de copie ou de reflet, et la « tex- tolâtrie » structuraliste, affirmant le caractère absolument autonome du texte, la géocritique propose une vision plus nuancée. Plutôt que de parler de reproduction du monde réel par le monde fictif, qui se situerait ainsi dans une fonction ancillaire ou dérivée par rapport au premier, il vaut mieux par- ler, avec Brian McHale, d’interpénétra- tion entre le réel et sa représentation (« hétérocosme ») ou encore d’« effet oscillatoire » (flickering effect). Nous avons affaire à des « espaces ontolo- giques mixtes flottant entre plusieurs niveaux de conception et de uploads/Litterature/lire-l-x27-espace-la-geocritique-reel-fiction-espace-de-bertrand-westphal 1 .pdf

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