- 1 – Olivier Artus Textes et Théologie de la Torah 2010-2011 LES TEXTES ET LA

- 1 – Olivier Artus Textes et Théologie de la Torah 2010-2011 LES TEXTES ET LA THEOLOGIE DE LA TORAH Olivier Artus 0. OUVERTURE 1° La Torah est un monument, et au début d’un cours portant sur ce corpus, peut se poser la question de savoir comment l’aborder. Quelles portes d’entrée se donner pour comprendre de manière juste ce texte biblique ? Pour le dire autrement, comment faire cours d’exégèse aujourd’hui ? Il y a une trentaine d’années, un cours d’exégèse du Pentateuque s’attachait surtout à faire comprendre l’histoire de la composition du texte : quels auteurs ? Quel milieu de production ? Quelles époques ? Quel contexte socio- historique ? Et c’est sans doute la perspective légitime qui était celle de mes prédécesseurs dans ce cours, le Pr Henri Cazelles, et le Pr Jacques Briend. En adoptant cette perspective, ils mettaient en œuvre les présupposés théologiques de la constitution dogmatique « Dei Verbum » qui, au n° 12 décrit ainsi le travail propre, spécifique de l’exégèse biblique : « Pour vraiment découvrir ce que l’auteur sacré a voulu affirmer par écrit, on doit tenir un compte exact soit des manières natives de sentir, de parler ou de raconter courantes au temps de l’hagiographe (auteur saint), soit de celles qu’on utilisait çà et là à cette époque dans les rapports humains. » Ainsi, il faut que « l’interprète cherche le sens que l’hagiographe, en des circonstances déterminées, dans les conditions de son temps et l’état de sa culture, employant les genres littéraires alors en usage, entendrait exprimer et a, de fait exprimé. » Autrement dit, la compréhension d’un texte présuppose la mise au jour de ses conditions historiques de production. Une telle affirmation semble d’une certaine manière homogène avec la réflexion philosophique de Schleiermacher qui, au début du 19ème siècle, insiste sur la nécessité pour le lecteur, de s’identifier à l’auteur pour comprendre un texte : « Interpréter,, écrit Schleiermacher, est un art, dont les règles ne peuvent être élaborées qu’à partir d’une formule positive. Celle- ci consiste en une reconstruction historique et intuitive, objective et subjective du discours étudié. »1 Cependant, l’exégèse catholique, et l’exégèse biblique en général, ont beaucoup évolué dans les trente dernières années, semblant prendre leurs distances avec une perspective purement généalogique et historique, et semblant intégrer progressivement des questions 1 Cf . sur ces questions A.M PELLETIER, D’âge en âge les Écritures, Bruxelles, Lessius 2004 - 2 – Olivier Artus Textes et Théologie de la Torah 2010-2011 synchroniques à l’analyse et l’interprétation des textes bibliques : quelle est la logique narrative d’un texte, quelle est l’histoire racontée, et surtout, quelle place revient au lecteur dans l’interprétation d’un texte biblique ? Le lecteur isolé, comme le lecteur membre d’une communauté de lecture normée par la foi. 2° À vrai dire le texte de « Dei Verbum » pose déjà la question du lecteur de deux manières complémentaires : - D’une part, l’interprétation de l’exégète se trouve soumise au jugement de l’Église « qui exerce le ministère et le mandat divinement reçus de garder la parole de Dieu et de l’interpréter ». Autrement dit, il existe une régulation magistérielle, une régulation par le « lecteur magistère » de l’interprétation dite « scientifique » ou « technique » des textes bibliques. - D’autre part, « Dei Verbum » suggère une autre piste, qui est celle de la lecture canonique : « Puisque la Sainte Ecriture doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit qui la fait rédiger, il ne faut pas, pour découvrir exactement le sens des textes sacrés, porter une moindre attention au contenu et à l’unité de toute l’Écriture ». Ici, Dei Verbum suggère, que l’Écriture interprète elle-même l’Écriture, et que l’exégèse d’un texte biblique doit se rendre attentive aux réinterprétations dont il est l’objet à l’intérieur même du Canon. Une simple enquête de vocabulaire sur le mot hrwt (tôrah) peut mettre au jour de multiples enjeux de l’étude. Ce sera notre porte d’entrée dans ce cours : 3° Que signifie le terme « Torah » ? • " Pentateuque " est la désignation grecque du corpus de livres rassemblés dans la Bible hébraïque sous le nom de Torah. Le mot grec πεντατευχη signifie, 5 étuis, ou 5 rouleaux rangés dans des étuis. Si l'on consulte un dictionnaire hébraïque - je prends par exemple le dictionnaire Hébreu-Français de Philippe Reymond - au mot Torah, on trouve les premiers sens suivants : enseignement, directive, loi. Mais, la simple considération du contenu littéraire des 5 livres désignés dans la Bible hébraïque par le terme Torah pose question : on y trouve en effet des textes extrêmement divers — corpus législatifs (code de l'alliance : Ex 20,22- 23,19 : loi de Sainteté : Lv 17-26 ; code deutéronomique : Dt 12-26 ; et ensembles narratifs - 3 – Olivier Artus Textes et Théologie de la Torah 2010-2011 considérables. Récits et lois sont donc regroupés sous la désignation commune de "Torah". Une enquête concernant l'étymologie du mot « Torah » donne peu de résultats : - dérivation du substantif de la racine verbale yârâh : jeter, lancer (au qal), d’où le sens dérivé montrer le chemin. - dérivation du substantif de yârâh non pas au qal, mais au hiphil : "jeter (jeter les sorts, pour connaître les intentions de la divinité (Ex 28,30 dérivation du substantif de l'akkadien "tertu" qui dérive de la racine verbale "waru" : donner des ordres, des instructions, envoyer un message. • En Ex 18,16.20 , comme dans la littérature prophétique, en Is 1,10 ; 8,16 le substantif tôrâh est utilisé dans le contexte d'oracles ou de jugements ponctuels provenant de Dieu et transmis par un intermédiaire humain (lire Ex 18,16 ; Is 1,10 ) Selon ces textes, Torah désigne une instruction particulière, limitée, bien que des interpétations plus récentes y voient des allusions à la torâh dans son ensemble. = Dans les textes sacerdotaux du Lévitique, le terme tôrâh - que l'on trouve dans des sections législatives - désigne des prescriptions cultuelles : une prescription cultuelle particulière, comme c'est le cas en Lv 11,46 ; 12,7 ; 13,59, (en lire un), etc..., ou un ensemble plus complexe de prescriptions cultuelles (Lv 26,46). On voit donc ici le mot Torah utilisé pour désigner un corpus de lois. = La compréhension deutéronomique du substantif tôrâh est plus élaborée : en effet, l'ensemble du livre se présente comme une collection de discours de Moïse dont le premier est introduit par Dt 1,5 (qs). Or, le premier discours de Moïse n'est pas législatif : il constitue une présentation narrative de l'histoire d'Israël et de l'intervention dans l'histoire de Dieu en sa faveur. La Torah, selon le Deutéronome, serait donc non seulement un ensemble de lois, mais un enseignement - enseignement de ce que Dieu a fait pour le peuple, enseignement de l'histoire du peuple avec Dieu. Les initiatives divines en faveur d'Israël appellent ainsi en réponse l'observation de la loi. En définitive, la Torah serait la mise en rapport des initiatives divines survenues en faveur du peuple dans son histoire, et de la réponse que ces initiatives appellent • Les occurrences du terme tôrâh dans la Bible hébraïque : 220 occurrences, dont 44 dans le corpus prophétique, 22 dans le Deutéronome, 44 dans l'ensemble formé par Chroniques, Esdras et Néhémie. Ces chiffres sont des multiples de 22, ce qui pourrait traduire une intention rédactionnelle délibérée : en effet, le chiffre 22 correspond au nombre de lettres de l'alphabet hébraïque, et le chiffre 10 en est un multiple évident. - 4 – Olivier Artus Textes et Théologie de la Torah 2010-2011 • Les références à la Torah dans la bible hébraïque : les compositeurs de la Bible hébraïque ont mis en place un signal littéraire pour que l'ensemble de cette Bible soit considérée en référence à la Torah. Ces références à la Torah sont présentes en effet en des sites tout à fait symboliques du corpus biblique : - au début comme au terme du corpus prophétique (nebî’îm), en Jos 1,7 et Ma 3,22, on njote une référence explicite à la Torah de Moïse. De même au début (Ps 1,2) et au terme des ketûbîm- cf Ne 13,1 ; Esd 6,18 ; 2 Ch 25,4 La Torah apparaît donc comme une clef herméneutique à laquelle se rapportent l'ensemble des autres textes de la Bible hébraïque. 4° Cette dernière remarque ouvre à la nécessaire dimension canonique de la lecture. Déjà la lecture de Dt 1,5 montrait que seule la mise en perspective de l’ensemble du texte du Deutéronome permettait de comprendre de manière juste l’usage qui y est fait du mot tôrâh. Plus largement, la tôrâh apparaît comme une clef d’interprétation de la Bible hébraïque et ce corpus inaugural de la BH, « réagit » avec les textes qui lui font suite. Ce jeu canonique ne se limite pas à la BH : les écrits néotestamentaires sont remplis de multiles allusions à la Torah, invitant sans cesse le lecteur à aller de l’un à l’autre Testament. Prenons ici uploads/Litterature/ torah-cours-o-artus.pdf

  • 30
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager