Godard : Bande à Part. Esthétique de la digression Philippe Beauregard Universi

Godard : Bande à Part. Esthétique de la digression Philippe Beauregard Université de Montréal 18 avril 2008 Le cinéma des années 60, à l’échelle internationale mais principalement dans les pays européens, est caractérisé par un désir de rompre avec les conventions narratives et esthétiques du cinéma classique. Les jeunes cinéastes émergents se lassent de ces productions de consommation courante et souhaitent donner au cinéma un souffle nouveau. Pour cette raison, les films de cette ère, époque que l’on à désigné en France sous le terme de « nouvelle vague », sont largement construits autour de l’idée de rupture. En effet, cette nouvelle vague – d’où le terme – de jeunes cinéaste souhaitent rompre avec les conventions établies de la structure narrative, du montage, de la bande sonore, voire même des thèmes et des dialogues. Un des cinéastes pionniers de ce courant en France est Jean-Luc Godard. En prenant pour exemple l’un des films phares de sa carrière, Bande à Part (1964), cette analyse souhaite dégager les éléments de ce film qui se posent en rupture avec les conventions classiques et font de ce film un bon exemple de l’esprit de la Nouvelle Vague. Y seront abordés les éléments de rupture relatifs à la bande sonore et au montage. Synopsis Il serait approprié de débuter cette analyse par un résumé du film. Bande à Part raconte une histoire – effectivement, le cinéma de la nouvelle vague est tout de même largement narratif et ne romps pas avec les conventions du cinéma classique au point de tomber dans le purement abstrait et le non-figuratif – raconte une histoire donc qui se déploie sur trois journées et implique, grosso modo, trois personnages. Le premier jour, Frantz et Arthur, deux malfrats parisiens, débutent l’élaboration d’un plan pour voler une somme importante d’argent mal gardé dans la villa de la tante d’Odile. Cette dernière est une jolie jeune femme avec qui ils font les cours d’anglais. Odile leur avait naïvement révélé l’existence de cet argent volé au fisc par un certain monsieur Stolz. Ils prévoient voler cet argent le surlendemain. Le deuxième jour cependant, l’oncle d’Arthur qui eut ouïe du complot, souhaite en prendre part. Pour éviter que cela se produise ainsi, Frantz et Arthur décident d’agir le soir même. Il se retrouvent toutefois devant une porte fermée à clef. Arthur use de manipulation et de violence pour forcer Odile à trouver la clef pour le lendemain. Le troisième jour, ils reviennent à la villa et parviennent à avoir la clef mais l’argent à disparu. Arthur trouve l’argent dans la niche du chien au moment où son oncle arrive, les deux se fusillent et meurent. Stolz récupère le magot et Frantz s’enfuit au Brésil avec Odile. Élément de rupture ; le montage Dans toute sa longue carrière, mais principalement dans sa cinématographie des années 60 et 70, on dira de Godard qu’il cherche à briser l’illusion de la réalité pour emmener le spectateur à réfléchir au cinéma et à sa propre position de spectateur. Pour y arriver, Godard doit trouver des nouvelles formules langagières dans son cinéma. Comme l’avance H-Paul Chevrier [1998, p.73] dans son ouvrage sur le cinéma contemporain : « ce qui caractérise le mieux Godard reste la recherche d’un nouveau langage cinématographique ». Et bien sûr, qui dit langage cinématographique dit inévitablement ; montage. Dès A bout de souffle (1959) et toute sa carrière durant, le montage fut l’un des principaux soucis de Godard. Son rapport au montage est très révélateur de son idée du récit et des structures qui sous tendent la narration. Freddy Buache [1987, p.133] explique d’ailleurs « l’importance qu’il (Godard) accorde à la digression comme sûr moyen d’exprimer, en le contournant, l’inexprimable ». De cette façon, les films de Godard, et Bande à Part n’y fait pas exception, font preuve d’une forme narrative souvent qualifiée d’impertinente, opérant des changement de tons et de rythme et foncièrement indifférente aux conventions admises de la dramaturgie classique. D’ailleurs, Godard à souvent revendiqué que selon lui il n’existe pas de découpage classique, mais plutôt une mise en scène qui devrait être propre à chaque cinéaste et se réactualiser à chaque film, selon chaque thème abordé, de telle façon que ce soit « le contenu qui fait la forme, et non pas une forme grammaticale qui cadre et délivre le contenu », comme le précise Jacques Aumont [2005, p. 44]. Finalement, monter est pour Godard l’art d’appliquer le langage cinématographique sur le temps, alors que la mise en scène est de l’appliquer sur l’espace. « Si mettre en scène est un regard, monter est un battement de cœur » reste l’une de ses affirmation les plus célèbres, écrite en 1956 dans les cahiers. Qu’en est-il maintenant, du montage dans Bande à part et comment s’y appliquent les observations relatées ci-dessus. Si À bout de souffle revendiquait une vision du montage beaucoup plus découpée, ciselée, voire hyperactive, Bande à part se trouve plutôt au pôle opposé. Ce qui fait l’intérêt du montage dans Bande à part n’est pas tant l’excès de découpage, mais plutôt son absence. En effet, plutôt que d’opter pour les figures de découpage classique admises dans le cinéma de consommation courante, Godard choisit plutôt dans ce film une esthétique du plan séquence. Comme le mentionne H-Paul Chevrier [1998, p.74] « il refuse la logique narrative par le collage et la fragmentation ». Évidemment, une telle absence de découpage sous-tend une plus large part du travail laissé à la mise en scène. Ce sont plutôt les mouvements de caméra, les recadrages et les mouvements dans le plan qui créeront une sorte d’effet montage. Dans cette optique, on s’attendrait généralement à voir des scènes plus théâtrales et bien préparées, ce qui est étonnant, compte tenu de la réussite de ce film, quand on sait que Godard dans ces années laissait toujours une place importante à l’improvisation dans le jeu des acteurs. C’est bien sûr une preuve de savoir faire de la part du réalisateur ainsi que des acteurs. Examinons la scène du cours d’anglais, qui commence à 12min09 et dure quelques minutes, pendant lesquelles l’enseignante donne la dictée et Arthur change de pupitre pour mieux voir Odile avec qui il communiquera quelques lettres. Les seuls inserts dans cette scène sont les deux fois où le spectateur peut voir ce que Arthur écrit. Le reste de la scène est filmé en un seul plan séquence qui suit l’action en passant d’un sujet à un autre. Godard brise ainsi les règles de découpage classique auxquelles on se serait généralement attendu ; plan du professeur, plan des élèves, plan de Arthur, de Frantz puis de Odile, différents plans pour découper l’action etc. Autant le refus de découpage donne à cette scène un aspect plus réaliste, puisqu’il s’agit d’un plan séquence, la scène se déroule donc en « temps réel », autant Godard refuse ainsi le montage dit transparent préconisé par le cinéma courant, et rend visible la présence de la caméra par le choix du plan séquence, emmenant de cette façon les spectateurs à être plus conscients des mécanismes de la mise en scène. Même chose à 19min00, lorsque Arthur et Odile bavardent dans le couloir. En cinéma classique, le spectateur se serait attendu à un traditionnel champ/contre champ. Godard opte plutôt pour un balayage de la caméra allant d’un personnage à l’autre, suivant le rythme de la conversation plutôt que d’imposer ce rythme via le découpage. De même à la 40ème minute, lorsque les trois protagonistes sont assis au bar pour discuter autour d’un verre, la caméra capte toute la scène d’un trait, en temps réel, et ce sont plutôt les personnage qui vont jouer à la chaise musicale, changeant tour à tour de place pour se révéler à la caméra lors des dialogues importants. Le découpage s’effectue alors plus par le mouvement des personnages que par des coupures réelles. Dans cette scène, Godard se refuse même à utiliser des inserts pour montrer certains détails dans l’action, comme lorsque Arthur verse son verre d’alcool dans le coca d’Odile. Ce genre de détails auraient automatiquement été inscrits dans une scène découpée de manière plus traditionnelle. En contrepoint, il est aussi des scènes dans le film ou le montage est plus volontairement affiché, pensons à la scène où Odile se rend chez Arthur en métro, en lui chantant une chanson sur le mariage, à 56min20. Cette scène est entrecoupée d’une série de plans qui ont une valeur plus esthétique que réellement signifiante dans le contexte du film. Il s’agit d’une séquence de montage plus poétique que pertinente et qui ne serait généralement pas admise dans un film de consommation courante. De plus, Odile regarde la caméra dans cette scène, ce qui est très impliquant pour le spectateur, qui s’en trouve directement interpellé. Ce genre d’intervention n’est pas non plus admise dans le cinéma de facture classique qui privilégie plutôt l’écoute passive et la complète adhérence du spectateur à la fiction. Finalement, Godard parsème aussi son film de petites cassures anodines qui aident aussi à rompre avec les uploads/Litterature/ godard-bande-a-part-esthetique-de-la-digression.pdf

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