1 Hassan Rachik Extrait d’un livre en cours de rédaction : Devenir anthropologu
1 Hassan Rachik Extrait d’un livre en cours de rédaction : Devenir anthropologue. C’est un draft, je vous prie de ne pas le faire circuler. Envoyé le 2017-08-13 Chapitre I. Cursus et formation [...] 1.1 L’air du temps Dans mon cas, je dois dire que ma formation dépendait aussi de ce que j’appellerai l’air du temps que j’essaierai de décrire en remontant un peu plus loin. De 1970 à 1974, l’ambiance de mon lycée (Moulay Abdellah) avait peu de choses à voir avec les études. Durant ces années, notamment 1971 et 1972, nous étions davantage dans la cour du lycée, entrain de chanter et de scander des slogans hostiles au gouvernement et au régime, qu’en classe. Maintenir l’ordre au lycée relevait du miracle. Dans la cour, on assistait aux attroupements des marxistes-léninistes et aux conflits qui les opposaient aux « Frères musulmans » qui commençaient à se faire connaître. Les lycéens ne se contentaient pas seulement d’être en grève dans leurs propres lycées. Ils devaient aussi faire le tour, à pas de course, des lycées et collèges calmes, pour y semer la panique. De l’excitation. Rien de plus. Mes souvenirs d’alors sont pleins de scènes où on courait, on sautait les murs du lycée fuyant les militaires, qui nous pourchassaient à mort, munis de leurs bâtons si longs qu’on les baptisa « maxi ». Je n’ai jamais été membre d’une organisation clandestine, quoique j’avais plusieurs copains et amis qui en faisaient partie. J’ai eu quelques expériences éphémères, au sens propre du mot. Deux réunions dans le cadre du Syndicat national des lycéens (SNL) et une manifestation (6 février 1973), dite dans le jargon des organisateurs « les noces » (l‘ars). 2 Est-ce que j’étais en train de faire de la politique? Est-ce que j’étais en train de jouer... au feu ? Peut-être les deux. Pour un jeune, toute mise en scène de la colère, de la révolte, serait un jeu excitant. Je le savais sans vraiment le savoir. Je n’ai pas une idée précise, et je doute qu’on puisse en avoir, des raisons qui me poussaient à participer au mécontentement estudiantin. D’autant plus que je n’étais pas un militant régulier. Il y avait peut être ce sentiment proche de la virilité (rajla), l’honneur (nafs), cette chose qui manquait à un élève casseur de grève, traité de lâche, de peureux, et d’autres mots obscènes. Participer à des réunions clandestines serait, pour le jeune que j’étais, une manière de goûter à la virilité. Très vite, j’abandonnai spontanément cet aspect grégaire du militantisme. Peut être simplement parce que j’étais en marge des réseaux politiques clandestins. Peut-être parce que, j’étais par tempérament solitaire. En 1973, j’ai voyagé seul, en Espagne, en France et en Angleterre où je suis resté trois mois. Les deux années suivantes, j’ai encore voyagé seul en Espagne (3 semaines) puis en Algérie et en Tunisie (un mois). Parallèlement à mes études au lycée, je fréquentais une Maison de jeunes dans un quartier populaire (Bouchentouf), qui n’était pas loin du lycée et de chez moi, une vingtaine de minutes de marche. J’y appris différentes choses comme les échecs, le ping-pong, et le théâtre. C’est un espace où tout est mélangé, la culture du quartier, l’amusement, et une ambiance intellectuelle, militante encore, qui me poussait à améliorer mes connaissances. Une petite bibliothèque, des conférences, et de temps à autre des discussions à bâton rompu sur la politique nationale et internationale. Le théâtre amateur fut une expérience courte mais enrichissante. En plus de môn rôle d’acteur (quatre pièces), je retiens surtout ma velléité d’écrire un texte en darija, le soleil. La pièce traitait de façon très naïve du sous-développement et du refus des dirigeants et des gens à adopter les choses modernes. Les événements de la pièce se passaient dans un cadre tribal primitif opposant un chef aux membres de la tribu. Le metteur en scène avait accentué cet aspect en faisant porter 3 aux acteurs, tous torse-nus, des peaux de mouton, et en mettant au fond de la scène un totem (inspiré de ses cours de philosophie). Nous avons joué la pièce deux fois le samedi 13 janvier 1973 à la Maison de jeunes et le samedi 3 février de la même année dans un théâtre célèbre au centre de la ville (Abd Samad al-Kenfaoui). Lors de la seconde représentation, la salle était comble. Et comme pour concrétiser l’effet critique de notre performance, une bonne partie du public saisit l’occasion pour transformer la sortie en manifestation lançant des slogans hostiles au régime. Que lire ? Pour ma génération, l’air du temps était plus perceptible à travers le genre de livre que nous devrions lire. Depuis l’âge de 17 ans, je flirtais avec la littérature marxiste et engagée en vogue à l’époque. Fini la lecture des milles et une nuit, des magazines comme le mensuel kowetien « al-Arabi » que mon père et moi achetions régulièrement. Fini la lecture cursive et la conception de la culture générale que véhiculait ce genre de magazines. Je savais vaguement ce qu’il fallait lire, des livres sérieux et critiques1. Le passage à cette nouvelle littérature n’était pas du tout facile. Il me fallait en plus commencer à lire en français. C’était dur, je terminais très rarement un livre. Durant ma période universitaire, la lecture de la littérature marxiste devenait progressivement régulière. Il faut mentionner un changement de taille, j’avais droit, depuis octobre 1974, à une bourse de 4000 dirhams par an. J’étais certes obligé d’aider mon père qui venait de sortir en retraite, ironie du sort, juste après avoir touché ma première bourse. Mais j’avais la possibilité d’acheter des journaux, des magazines, des livres. En tant qu’étudiant en sciences politiques, je me devais d’acheter le Monde diplomatique, le Times, et autres médias similaires. 1 Parmi les auteurs et les livres qui circulaient et que j’ai parcourus, je me souviens de George Politzer (Principes élémentaire de la philosophie), Sadiq Jalal al-Azm, (en arabe, Autocritique après la défaite), Bouali Yassine (en arabe, Le trio interdit : La religion, le sexe et la politique), Nawal Sa’dawi (en arabe, La femme et le sexe), Ernest Fisher, Le socialisme et l’art (traduit en arabe). 4 Au centre ville, plusieurs librairies étaient connues pour la vente de livres respirant l’air du temps, livres associés généralement aux Editions du Progrès de Moscou, Editions Sociales et Maspero. De ma première bourse, je me rappelle avoir acheté un livre d’économie politique de Raymond Barre. C’était trop cher, 45 dirhams. Alors que je parlai du livre à un copain qui avait mon âge, il me réprimanda pour avoir choisi le livre d’un économiste libéral. Moi je ne savais même pas qui était Raymond Barre. Je voulais simplement avoir un manuel sur lequel je pouvais m’appuyer pour suivre mon cours d’économie politique. C’était encore le début de l’année universitaire, j’avais une idée vague du cours d’économie politique et du professeur qui l’assurait, Aziz Belal. Mon copain, qui passait pour la science marxiste infuse, arriva à me perturber et à m’influencer. Je suis vite retourné à la librairie et troquer le livre du libéral (un pavé de quelques centaines de pages) contre une dizaine de petits livres, parmi lesquels deux de Marx et d’Engels, Le manifeste du parti communiste, Socialisme utopique et socialisme scientifique et un livre de Pierre Jalée, L’exploitation capitaliste. Pendant trois ou quatre ans, le choix des livres était simple. Il fallait se confier à la suggestion d’un connaisseur et à la garantie de la maison d’édition. Maspero était au top. Il faut dire que j’ai commencé à lire par obligation morale. Etre marxiste, même de façon molle comme je l’étais, supposait quelques lectures. Je garde encore beaucoup de notes de lecture, (en français et en arabe) de cette époque (1975-1979). En relisant mes notes, je remarque que, la première année, il était rare que je terminasse un livre. Malheureusement, je ne notais guère mes réactions, ce que je ressentais ou pensais du texte… Mes notes de lectures partielles n’étaient que des résumés, souvent très proches du texte. Pour avoir une idée plus détaillée sur l’air du temps dans lequel je naviguais, je dirai un mot sur le contenu de mes lectures et à quoi elles servaient. En novice, j’ai parcouru plusieurs manuels d’introduction à l’économie politique (Ernest Mandel, Pierre Salama, Jacques Valier). Je me trouvais aussi obligé de lire quelques œuvres qui passaient pour 5 fondatrices du marxisme-léninisme. Que faire de Lénine fut le premier livre à qui j’ai consacré le plus de temps et le plus de notes (15 pages). J’étais, en 1976, furtivement intéressé par la question relative à la spontanéité des masses. J’ai retenu, par exemple, que pour Lénine l’élément spontané n’est que la forme embryonnaire du conscient. Les grèves en Russie de 1890 étaient un mouvement spontané, elles marquaient l’éveil de l’antagonisme entre les ouvriers et les patrons, mais « les ouvriers ne pouvaient pas avoir conscience de l’opposition irréductible de leur intérêts avec tout l’ordre social existant... Cette conscience ne peut venir aux ouvriers que du dehors ». J’ai dû uploads/Litterature/ rachik-al-azaim-2017 1 .pdf
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- Publié le Apv 28, 2021
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- Langue French
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