RÉCEPTION (Art et littérature) Article écrit par Elsa MARPEAU, François-René MA

RÉCEPTION (Art et littérature) Article écrit par Elsa MARPEAU, François-René MARTIN Prise de vue En histoire de l'art comme en littérature, la notion de « réception » recouvre des objets et des méthodes variés, relevant de traditions intellectuelles distinctes. Le terme lui-même renvoie à l'« esthétique de la réception », développée dans le domaine de la littérature à partir des années 1960, au sein de l'école de Constance, par l'universitaire allemand Hans Robert Jauss. Selon lui, une œuvre littéraire ne se constitue qu'au moment où elle devient l'objet de l'expérience littéraire des contemporains ou de la postérité (Pour une esthétique de la réception, 1966). Dans cette conception profondément historiciste, l'œuvre a nécessairement un caractère polysémique, du fait de la pluralité des lecteurs et surtout des époques ou des contextes qui sont les leurs. La tâche de l'interprète consiste alors à reconstituer l'« horizon d'attente » du premier public – c'est-à-dire l'ensemble des conventions et des références partagées par celui-ci – et à mesurer l'écart esthétique que porte l'œuvre nouvelle qu'il considère, en se servant des réactions du public et des jugements de la critique. Mais cette esthétique de la réception ne vise pas uniquement le moment de la création des œuvres et leur pouvoir de subversion face aux attentes des contemporains. La succession des interprétations dans le temps figure également à son programme. Ainsi cette théorie ne conçoit-elle pas la signification des œuvres comme univoque et stable, mais, tout à l'inverse, comme historiquement construite et dialogique, puisque produite dans le champ séparant les propositions de l'œuvre et les multiples réponses des lecteurs. I-Histoire de l'art En histoire de l'art, l'esthétique de la réception a été adaptée par Wolfgang Kemp, qui, dans Le Spectateur est dans le tableau. Science de l'art et esthétique de la réception (1985), l'envisage comme l'étude des signaux et appels au spectateur présents dans chaque œuvre. Profondément influencée par la critique de Diderot, et surtout par les travaux du grand historien de l'art viennois Aloïs Riegl (en particulier par ses derniers ouvrages, tel celui consacré au Portrait de groupe hollandais, 1902), cette conception de la réception resserre le champ d'analyse en privilégiant l'œuvre et son spectateur. Ici, l'agent le plus actif de la réception est en réalité l'œuvre d'art, dans la mesure où elle détermine de manière quasi structurale sa relation au spectateur. Ce spectateur est une construction de l'artiste : il n'entre pas dans l'intention de Kemp de briser ce type abstrait, de le détacher de l'œuvre pour le situer dans son historicité, en s'interrogeant sur son équipement culturel spécifique, bref, de le transformer en un public admettant des modulations dans la perception des œuvres. À ce titre, Kemp distingue clairement l'« esthétique de la réception » (Rezeptionsästhetik), dont relève précisément l'étude de la présence implicite du spectateur dans les œuvres, des différentes formes d'une « histoire de la réception », qui comprend l'étude de l'évolution des formules artistiques, et que l'on peut également désigner comme l'histoire de l'« effet » produit (Wirkungsästhetik), ou l'histoire de la réception littéraire, la psychologie de la réception et enfin l'« histoire du goût ». Or certaines de ces dernières catégories, que Kemp a soin de distinguer, correspondent à des domaines de recherche infiniment féconds, qui n'ont guère eu besoin des attendus théoriques de l'esthétique de la réception pour se constituer. Il existait déjà un genre essentiel en histoire de l'art, qui assumait la collecte de certaines catégories de réactions devant les œuvres : la « fortune critique ». Théorisée en Italie dans le sillage des conceptions esthétiques du philosophe Benedetto Croce (1866-1952), la fortuna critica est la recherche des variations que la critique fait subir aux œuvres. Postulant une identité entre histoire et critique d'art, la fortune critique, telle que la conçoit un historien de l'art aussi essentiel que Roberto Longhi (1890-1970), devait aboutir à une « anthologie de la critique d'art immédiate », où les poètes pouvaient avoir autant d'importance que les critiques ou les érudits attitrés, dès lors qu'ils avaient, mieux que les autres, qualifié l'univers personnel d'un peintre ou révélé son importance. Le long développement sur la fortune critique de l'artiste, en appendice de son Piero della Francesca (1963), illustre cette conception du genre, entièrement sous-tendue par la recherche des catégories formelles les plus à même de faire ressortir la personnalité stylistique d'un artiste. Les prémisses de l'histoire du goût sont bien différentes. L'expression elle-même n'est pas neuve. Dès 1926, Lionello Venturi avait rassemblé ses recherches sur la découverte des artistes des Trecento et Quattrocento sous l'intitulé Le Goût des primitifs (1972). Mais, face à la concentration presque exclusive sur les documents écrits qui avait longtemps caractérisé la fortune critique réunie autour de l'œuvre de certains artistes, l'histoire du goût, telle que l'historien de l'art anglais Francis Haskell a pu la pratiquer, opère une extension typologique considérable des indicateurs de la réception des artistes à une époque donnée. Dans son ouvrage majeur La Norme et le Caprice. Redécouvertes en art (1976), Haskell considère les critiques, les collectionneurs, les marchands, les artistes eux-mêmes, les institutions que sont l'École des beaux-arts, le Salon ou les expositions, comme les agents des mutations du goût pour les artistes du passé, en France et en Angleterre au XIXe siècle. La réhabilitation et le déclassement de certains maîtres anciens est alors le phénomène qui permet de mettre en évidence les fluctuations du goût, lesquelles dépendent de contextes et de catégories sociales en constante évolution. Un autre aspect de la réception des œuvres d'art réside dans le vaste champ des réactions extrêmes ou aberrantes qu'elles suscitent. Ainsi, la question de l'iconoclasme à travers les époques, et, plus généralement, ce que David Freedberg appelle les « réactions intenses » devant les images (Le Pouvoir des images, 1989), est au cœur de nombreux travaux qui en appellent aux catégories de l'anthropologie. Il s'agit alors d'une multitude de réactions, attitudes ou pratiques quasi immémoriales, qui intéressent de plus en plus certains historiens de l'art, et qui vont de l'activation à la destruction des images, de la faveur demandée à une icône à la grâce rendue à celui qui l'implore, de l'excitation devant un nu à la censure des représentations indécentes. Loin du jugement exercé des connaisseurs enregistrant, tel un sismographe, les plus subtiles variations du goût à une époque donnée, ces réactions plus ordinaires reflètent l'extraordinaire récurrence des attitudes de l'homme, non pas vis-à-vis de l'art et de son histoire, mais face aux images. François-René MARTIN II- Littérature Les études sur la réception s'intéressent au rôle structurant, dans l'œuvre, du destinataire. Qu'il soit lecteur ou spectateur, celui-ci permet d'actualiser ce qui, sans lui, ne pourrait exister qu'à l'état latent. Seule la réception permet à l'œuvre de s'inscrire dans l'histoire. Qu'il la rejette, l'oublie, la réhabilite ou l'encense, le destinataire détermine donc sa postérité. Mais il détermine également le sens même de l'œuvre, dans la mesure où il peut être celui qui reçoit et actualise un roman ou une pièce de théâtre, et parfois celui qui produit. Car tout auteur est avant tout un lecteur, et chaque œuvre peut être considérée comme une réponse à une œuvre antérieure. C'est le sens, notamment, de la répartition canonique en « genres littéraires ». Le genre suppose en effet l'inscription de l'auteur dans une lignée qui le précède, dont il peut respecter les règles ou s'écarter. La trame, les thèmes, le style d'un roman s'inscrivent nécessairement dans une histoire littéraire, où les œuvres conversent. Le roman Ulysse (1922) de James Joyce fait ainsi écho à L'Odyssée d'Homère (VIIIe siècle av. J.-C.). De façon générale, l'existence de parodies, d'imitations, de transpositions d'œuvres d'un genre à un autre témoignent de ce que l'auteur est d'abord un lecteur. Gérard Genette parle à propos de ces œuvres dérivées d'œuvres antérieures, d'une « littérature au second degré, qui s'écrit en lisant » (Palimpsestes, 1982). De façon plus générale, toute littérature dérive d'une littérature antérieure. La tragédie Médée (1635) de Pierre Corneille répond à celles du Grec Euripide et du Romain Sénèque. L'actualisation de l'œuvre se réalise donc à travers sa réception, que celle-ci produise une autre œuvre ou qu'elle reste singulière. Mais comment, dans ce dernier cas, décrire l'action solitaire du lecteur de roman ? D'abord, il arrive que la figure du lecteur soit explicitement inscrite dans l'œuvre. L'auteur peut ainsi lui suggérer d'adopter une posture de réception, s'adresser à lui. Paul Scarron, dans Le Roman comique (1651-1657), use de ce procédé pour inciter le lecteur à la patience, ou pour s'excuser ironiquement de quelque maladresse. Au théâtre, il arrive également qu'un personnage s'adresse en aparté au public. Cette pratique est fréquente dans les prologues de comédies. On la retrouve par exemple dans Amphitryon ou La Marmite de Plaute (254-184 av. J.-C.). Le théâtre en général rend d'ailleurs plus aisée la détermination de l'attitude du destinataire. Par ses rires, ses applaudissements ou ses huées, le public se manifeste ici directement. Pour prendre en compte l'effet de l'art sur son destinataire, au-delà de ces manifestations explicites, Hans Robert Jauss propose d'élaborer une « esthétique de la uploads/Litterature/ reception-art-et-litterature.pdf

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