Berque par RB · Publication 25/02/2014 · Mis à jour 03/03/2014 Extrait de Le Co

Berque par RB · Publication 25/02/2014 · Mis à jour 03/03/2014 Extrait de Le Coran, essai de traduction, par Jacques Berque, éditions revue et corrigée, Albin Michel, 1995 (Sindbad, 1990), reparu sous le titre Relire le Coran, Albin Michel, 1993. Membre de l’Académie de langue arabe du Caire, professeur honoraire au Collège de France, sociologue et orientaliste, Jacques Berque (1910-1995), parfois dénommé « le passeur entre les deux rives », avait donné à l’Institut du monde arabe des conférences où, après la publication de son Essai de traduction du Coran, il présentait à un large public le livre fondateur de l’Islam. Seize années de travail, et une vie tout entière consacrée à l’étude de l’Islam, avaient été nécessaires au professeur Jacques Berque pour proposer son « essai de traduction » du Coran. À la fois savante et littéraire, cette oeuvre monumentale, témoignant d’une intime familiarité avec le monde arabe et la tradition de l’Islam, fut saluée comme un événement pour l’approche de cette culture par le public francophone. Après quatre ans de travail supplémentaires, Jacques Berque, qui fut l’infatigable explorateur des mille subtilités de la langue coranique, améliora son texte en y apportant des centaines de retouches d’après les remarques de lecteurs érudits, et particulièrement celles de cheikhs de l’Islam. Cette seconde édition, entièrement révisée, nous fait redécouvrir le Coran dans le souffle de ses origines, ouvrant les perspectives d’un Islam éclairé où foi et raison auraient toutes deux leur place. À une apparente incohérence, Jacques Berque oppose de saisissantes régularités qui laissent entrevoir une composition en entrelacs. Le message conjugue la transmission de l’absolu et le traitement de données conjoncturelles : Ainsi les valeurs permanentes qu’il édicte s’inscriront-elles dans le temps des hommes. À l’ heure où certains prônent l’extension d’une « sharî’a » figée, ou seulement déduite, Jacques Berque souligne l’appel du texte à la raison, ses ouvertures à l’innovation. Enfin, la langue, qualifiée traditionnellement d’inimitable, illustre la transfiguration de parlers arabes réels en un système linguistique aux propriétés singulières. Relire le Coran se veut moins une introduction érudite qu’un guide pour aborder par l’intelligence et le coeur l’une des pièces de ce patrimoine universel où Jules Michelet voyait la « Bible de l’humanité ». Table des matières: 1. Un assemblage [ Une discordance significative / Approches thématiques / Répétition et dissimilation / Structures en entrelacs / Vers une analyse logique / Des coordonnées coraniques ? ] 2. Un langage [ Interrogations préjudicielles / Simplicité des mots et complexité du flux verbal / Singularités grammaticales / Une parole multiangulaire / Des parallélismes ? / Aventures du schème verbal ] 3. Un sens [ Glose sur quelques notions de base / La promesse et la menace / L’appel à la raison / En deçà ou au-delà du rationnel / La normativité coranique / Dynamiques présentes de l’idée de shari’a / Le faux débat de la sécularité ] 4. Projections [ La vérité avant toute chose / Le Vrai s’affirme en tant qu’affirmation / L’éternel dans sa rencontre avec le temps / Une hypothèse: langue et parole / Démythologisation et ontologie / L’absolu et le temps / Essai de mise à jour de l’articulation intercatégorielle ] 5. Vue d’ensemble EN RELISANT LE CORAN Commencer l’étude du Coran par celle de sa composi- tion, c’est l’aborder sous sa face la plus ardue. C’est en effet chercher des rapports entre l’ensemble qu’il affirme, ses sous-ensembles ou sourates, et leurs divisions ou versets ; c’est peut-être aller plus loin encore : analyser la distribution des versets en sentences et de celles-ci en groupes de mots ; qui sait ? parvenir au niveau ultime où la phonologie relaierait une grammaire, une logique, une rhétorique, étant bien entendu qu’on s’acquitterait de ces tâches sans cesser de prêter l’oreille aux rythmes larges ou brefs qui font vibrer d’une seule vibration ce texte immense; et pour finir, prendre le chemin inverse, et reconstruire un tout à partir de ses démembrements… Si nulle enquête, que l’on sache, ne s’est jusqu’ici fixé un programme aussi ambitieux, du moins plusieurs des problèmes partiels qu’il embrasse n’ont-ils cessé d’agiter la recherche tant islamique qu’orientaliste, non sans une insistance marquée de la première pour dégager un sens préférentiel de l’expression ; et de la seconde pour déceler sous cette dernière des décalages de la formulation dans le temps. Nous pensons, quant à nous, que le champ de l’étude étant par définition unitaire, et vécu comme tel, tel que la tradition l’a transmis, c’est le système de cette unité et de cette conformité qu’il importe avant tout de saisir, pour autant que ce soit accessible à nos moyens… Il ne faut pas attendre d’une telle recherche, menée indi- viduellement par surcroît, de conclusions tranchées en des matières qui, aux yeux du croyant, se dérobent d’entrée de jeu. Cependant, pour dérobées qu’elles soient, puisqu’elles se donnent comme procédant du ghayb, le « mystère » ou l’« inconnaissable », elles ne s’en proposent pas moins à l’engagement de l’homme, et le font en invoquant sa raison. Ne jamais perdre de vue cette idée, et non plus cette autre, à savoir qu’en vertu même de la «mobilisation du mémorable» ou dhikr, que le message proclame et par quoi il se définit, l’une de ses fins ne soit de viser notre temps et d’authentifier par l’originel un traitement du présent et un projet d’avenir. De quoi le renouvellement de l’approche, s’il se pouvait, ne constituerait qu’un préalable. 1. Un assemblage À en croire les sources traditionnelles, la notation du Coran sur des matériaux de fortune a commencé dès les débuts de la révélation. Assez tôt même, elle donna lieu à des regroupements. Ces archives restaient toutefois fragmentaires et potentiellement divergentes. On tenait pour plus sûre la mémoire des récitants, en vertu du privilège que ces sociétés accordaient et accordent encore à la voix, messagère du souffle vital. Un corpus écrit ne s’établit définitivement, à partir de ces diverses sources, que du temps du calife ‘Uthmân (m. 656), temps où se produisirent les mutations sociales considérables dont Taha Hussein a eu l’intuition. L’ouvrage qui reçut alors la sanction officielle respectait un ordre assigné pour l’essentiel à l’initiative du Prophète, divinement inspiré. « Nous étions chez l’Envoyé de Dieu à colliger le Coran à partir de fragments » : ce propos, rapporté par le compagnon Zayd b. Thâbit[1], postule un agencement complexe, mais qui se référait à une organisation éminente. Il est vrai qu’à en croire l’exégète andalou Ibn ‘Atiya, la mise en place n’aurait intéressé d’abord que les sept plus longues sourates, les hawâmîm et le mufaççal[2], le reste ne devant se distribuer qu’au cours de la recension. Mais l’on n’entrera pas là-dessus dans un débat impossible à trancher, car justiciable de hadîth lacunaires et qui n’offrent pas tous le même degré de créance. L’important pour notre propos se trouve ailleurs, puisque aussi bien nous ne visons pas, à la différence de la critique orientaliste, une reconstitution archéologique, mais l’analyse dynamique d’un objet bien vivant. Une discordance significative De ce point de vue, un premier constat s’impose. Le classement des sourates dans l’édition première et définitive, le muçhaf, ne suit pas l’ordre chronologique de la révélation, ou « descente ». Il y a plus : on trouve assez souvent, à l’intérieur de la même sourate, des séquences ou même des versets reçus à des moments séparés. De quoi ni la croyance ni la science de l’Islam n’éprouve la moindre inquiétude[3]. Comme devait plus tard l’écrire Averroès, relatant la condamnation dont Mâlik frappait tout recueil partiel : « Le Coran descendit au Prophète par fragments successifs, jusqu’à ce qu’il fût complet. Il fut rassemblé en un ensemble unique, lequel s’impose à la mémoire en cela même qu’il est rassemblé ». Ainsi la sourate II, la Vache, qui vient en tête du Livre, fut- elle révélée lors de l’arrivée à Médine (en partie, disent d’autres, durant le trajet entre les deux villes) ; et elle contient l’un des derniers versets descendus. La Table pourvue est à peu près l’ultime sourate révélée (112 e selon la tradition, 114 e selon Noldeke) : elle se classe Ve dans le recueil. La discordance entre l’ordre de descente et celui de la recension s’élargit parfois jusqu’au paradoxe. VIII, le Butin et IX, le Repentir ou la Dénonciation, s’accolent dans l’édition au point que la seconde ne porte pas l’incipit habituel et soit considérée par certains comme faisant suite à la précédente : or celle-ci, la vin’ dans le recueil, est tenue par la tradition pour 88e dans la descente (95e selon Noldeke), alors qu’elle-même, numérotée ixe, est donnée chronologiquement comme 113e. Et si l’une et l’autre présentent quelque analogie de sujet, une sorte de règlement de la république prophétique, l’une fait état de l’événement de Badr, l’autre de l’expédition de Tabûk : or entre l’une et l’autre de ces expéditions s’encadre tout un essor politique. Cependant, cette discordance habituelle n’est pas constante. S’il y a bien rupture entre l’ordre chronologique et l’ordre de collection, l’un et l’autre peuvent coïncider. On trouve ainsi des sourates uploads/Litterature/ relire-le-coran 1 .pdf

  • 22
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager