RENÉ CREVEL DÉTOURS RENÉ CREVEL DÉTOURS 1924 Un texte du domaine public. Une éd
RENÉ CREVEL DÉTOURS RENÉ CREVEL DÉTOURS 1924 Un texte du domaine public. Une édition libre. ISBN—978-2-8247-1580-3 BIBEBOOK www.bibebook.com À propos de Bibebook : Vous avez la certitude, en téléchargeant un livre sur Bibebook.com de lire un livre de qualité : Nous apportons un soin particulier à la qualité des textes, à la mise en page, à la typographie, à la navigation à l’intérieur du livre, et à la cohérence à travers toute la collection. Les ebooks distribués par Bibebook sont réalisés par des bénévoles de l’Association de Promotion de l’Ecriture et de la Lecture, qui a comme objectif : la promotion de l’écriture et de la lecture, la diffusion, la protection, la conservation et la restauration de l’écrit. Aidez nous : Vous pouvez nous rejoindre et nous aider, sur le site de Bibebook. http ://www.bibebook.com/joinus Votre aide est la bienvenue. 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CHAPITRE I PRÉLUDES M de celles qui gardent la tradition des housses sur les fauteuils et de l’ennui, méprisent les jolies femmes et les hommes gais, détestent les bijoux, les oiseaux de paradis et les dentelles. Brune et sans grâce, elle incarnait, dans le genre maigre, la bourgeoise dite de tête. Elle m’aimait beaucoup, voulut faire de moi un homme rangé comme une armoire à glace, m’apprit l’arithmétique, les principes de la civilité puérile et honnête, le catéchisme. « Deux fois deux quatre – on ne met pas ses coudes sur la table – Dieu est un pur esprit créateur du ciel et de la terre. – On embrasse sa mère le soir avant de se coucher. » Même la tendresse lui semblait réglementaire et moi, je préférais aux siennes les joues de la femme de chambre qui avait la peau douce et se parfumait à l’œillet. Mon père était dans l’armée. Ses amis disaient de lui : « Quel vieux rigolo ! » Moi, je lui en voulais de ne pas faire plus grand cas de ma petite 1 Détours Chapitre I personne. J’avais encore une sœur. Elle était mon aînée de treize ans. J’étais fort jeune lorsqu’elle se maria. Donc, enfant sans gaieté, je pris l’habitude lâche de l’espoir. Dès que j’eus notion de la semaine, le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le ven- dredi, le samedi me furent attente. Six jours sur sept pour penser au di- manche où l’ennui s’affinait jusqu’à la déception parce qu’on déjeunait en ville. J’avais bien, pour me distraire, la compagnie du fauteuil qui, déplié, servait de lit à la bonne lorsque ma famille allait au théâtre ; ce fauteuil, parce qu’il s’étendait parallèle au sommeil d’une femme, me semblait le symbole même de la virilité ; le jour, ratatiné, en dépit de son hypocrisie cubique de vieux mendiant chinois, il gardait encore son prestige. Un soir, par le trou de la serrure, j’eus la chance de voir la femme de chambre les seins nus. Lui, le lendemain, me confia qu’il ne serait plus fauteuil, ni lit, ni mendiant, mais fruit de velours jaune. Un corps dont, en dépit de ma coupable indiscrétion, je fixais mal certains détails, formerait son amande essentielle et je serais, moi, une autre amande pliée contre la première : bonjour, Philippine. Plus tard, je fus confié aux soins d’une institutrice qui avait une chambre à l’appartement, avec un vrai lit, banal et en cuivre. La bonne ne descendit plus jamais de son sixième ; or, une année, ayant, aux étrennes, reçu la traduction de L’Énéide, je trouvai une ressemblance entre mon fau- teuil et le vieillard de Pergame, pour qui, du temps qu’il était un robuste guerrier, maintes fois descendit de l’Olympe la plus belle des déesses ; Vé- nus n’avait pas pris la peine de prolonger un peu la jeunesse du Troyen ; mon fauteuil était fané, son velours chauve : je le baptisai Anchise. Pour ne pas avoir à le porter sur mon dos si nous devions quitter nos pénates, je ne me comparai point à Énée ; tout de même, à défaut de cette piété fi- liale (pius Æneas), je lui conservai une bonne amitié, de la reconnaissance pour m’avoir aidé à passer des heures. Son souvenir est au centre de mon enfance. À cause de ce souvenir, d’ailleurs, je me juge inapte à retenir les plus précieux et les plus communs des lieux communs sentimentaux et celui-ci surtout que l’oubli des affections seul nous donne assez d’indé- pendance pour atteindre jusqu’à nous-mêmes. 2 Détours Chapitre I Au lycée administratif et marron, me fut enseigné que certains mots mettent à leur tête une majuscule comme le marié ou le veuf, un cha- peau haut de forme ; parmi les manteaux anonymes, leur bel air les dis- tinguant, ils me parurent mériter les plus grands honneurs d’indéniables hiérarchies. Je ne les imaginai guère plus sans le panache de leur majus- cule que les fronts napolitains sans l’ombre des feutres les plus subtils et les pieds des légats de Buenos Aires libres de leurs gaines brillantes. Il ne me semblait pas encore possible qu’un Sud-Américain pût transi- ger sur la qualité de ses chaussures, un Italien sur celle de ses chapeaux. J’en avais assez de passer mes semaines dans l’attente du dimanche. Je n’osais encore, pour moi-même, songer à l’amour avec un grand A, mais déjà me mettais en quête d’un espoir tout proche et dont l’initiale pût être de hautaine calligraphie. J’étais en quatrième. Le professeur, qui habitait un pavillon au milieu des murs de brique de Montmorency, eut à cœur de nous révéler la nature. Je crus que, dès Saint-Cloud, commençait un monde merveilleux. Les villes me parurent des abcès qui gâtaient l’har- monie d’un corps. Tout un hiver, je fus dans l’impatience de connaître enfin cette nature que j’avais jusqu’alors appelée campagne comme si elle était juste une bonne fille un peu vulgaire. Pour cette Nature (avec un grand N, enfin) j’eus la prétention du provincial pour le musée de sa sous-préfecture. Quelques années plus tard, un normalien suppléant devait, après mille autres révélations, m’apprendre que les choses existent par la seule image qui s’en fait en nous. Grâce au normalien subjectiviste, sur une route na- tionale, à gauche, à droite, derrière et devant moi, des champs de blé que le soleil écrasait d’une plaque de chaleur, je compris, pieds las, muscles mous, gosier sec, mon impuissance. Si je préférais tel tableau à cette plaine et même à certaine vision de collines le soir tombant, c’est que je ne pou- vais, de mes propres moyens, susciter la joie d’une surprise. Mes camarades me méprisaient parce que j’étais maladroit dans les jeux ; ma mère avait la voix trop brève, la main trop sèche pour qu’on pût croire en sa tendresse, je n’avais pas de jolies cousines et pourtant je sentais déjà la nécessité d’aimer. Ainsi voulant du reste expliquer par des complications d’âme ce qui était l’appel de la puberté, je résolus de grou- per d’autres êtres jusqu’à ce que la confusion de leur ensemble précisât 3 Détours Chapitre I en s’y opposant la silhouette qui était la mienne, cette silhouette que je ne pouvais délibérément tracer noire sur fond blanc, noire sur fond vide. C’est alors que je perdis ma virginité, essayai mes premières aven- tures, appris à faire l’amour, cela d’ailleurs fort banalement. Tout de même, je devins vite assez familier avec les femmes pour ne plus me trouver devant elles gêné de mon corps comme d’un bouquet à offrir. Je voulus renoncer à mes préoccupations antérieures que je m’étais mis à juger bien puériles et scolaires ; je fus le garçon semblable à tous les très jeunes garçons qui savent si mal s’avouer déçus ; or les gestes élé- mentaires ne m’ayant pas satisfait, j’éprouvai d’autres désirs ; j’en appelai certaines « tentations » ; mais, craignant de n’y point trouver encore la fameuse extase, trop jeune pour imaginer dans le calme un bon code des voluptés, après quelques mois d’essais, je fis volte-face, parlai de renon- cement. J’aimais toujours la compagnie des femmes ; j’aurais voulu plaire à toutes, mais je n’allais plus vers elles dans quelque intention brutale- ment voluptueuse. La courbe d’un geste, le mystère d’un parfum, un mot qui chantait au milieu d’une phrase, seuls me donnaient le uploads/Litterature/ rene-crevel-de-tours.pdf
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- Publié le Mar 20, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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