C O L L E C T I O N P O É S I E ARTHUR RIMBAUD Poésies Une saison en enfer Illu

C O L L E C T I O N P O É S I E ARTHUR RIMBAUD Poésies Une saison en enfer Illuminations Préface de René Char Texte présenté, établi et annoté par Louis Forestier Professeur à l'Université de Paris IV SECONDE ÉDITION REVUE nrf GALLIMARD © Éditions Gallimard, 1965, pour la préface, 1973, pour l'établissement du texte et les commentaires, 1984, pour la seconde édition revue. PRÉFACE Avant Rapprocher Rimbaud, nous désirons indl~ quer que de toutes les dénominations qui ont eu cours jusqu'à ce jour à son sujet, nous n'en retiendrons, ni n'en rejetterons aucune (R. le Voyant, R. le Voyou, etc.). Simplement, elles ne nous intéressent pas, exactes ou non, conformes ou non, puisqu'un être tel que Rimbaud — et quelques autres de son espèce — les contient nêces- sairement toutes. Rimbaud le Poète, cela suffit, cela est infini. Le bien décisif et à jamais inconnu de la poésie, croyons-nous, est son invulnérabilité. Celle-ci est si accomplie, si forte que le poète, homme du quotidien, est le bénéficiaire après coup.de cette qualité dont il n'a été que le porteur irresponsable. Des tribunaux de l'Inqui- sition à l'époque moderne, on ne çoit pas que le mal temporel soit venu finalement à bout de Thérèse d'Avila pas plus que de Boris Pasternak. On ne nous apprendra jamais rien sur eux qui nous les rende intolérables, et nous interdise l'abord de leur génie. Disant cela, nous ne songeons même pas au juste jeu des compensations qui leur appliquerait sa clémence comme à n'importe quel autre mortel, selon les oscillations des hommes et l'odorat du temps. Récemment, on a voulu nous démontrer que Nerval n'avait pas toujours été pur, que Vigny fut affreux dans 8 Préface une circonstance niaise de sa vieillesse. Avant eux. Vil» Ion, Racine... (Racine que son plus récent biographe admoneste avec une compétence que je me suis lassé de chercher). Ceux qui aiment la poésie savent que ce n'est pas vrai, en dépit des apparences et des preuves étalées. Les dévots et les athées, les procureurs et les avocats n'auront jamais accès professionnellement auprès (Telle. Étrange sort! Je est un autre. L'action de la justice est éteinte là où brûle, où se tient la poésie, où s'est réchauffé quelques soirs le poète. Qu'il se trouve un vaillant profeS' seur pour assez comiquement se repentir, à quarante ans, Savoir avec trop de véhémence, admiré, dans la vingtième année de son âge, Fauteur des Illuminations, et nous restituer son bonheur ancien mêlé à son regret présent, sous l'aspect rosâtre de deux épais volumes définitifs a"archives, ce labeur de ramassage n'ajoute pas deux gouttes de pluie à l'ondée, deux pelures d? orange de plus au rayon de soleil qui gouvernent nos lectures. Nous obéissons librement au pouvoir des poèmes et nous les aimons par force. Cette dualité nous procure anxiété, orgueil et joie. * Lorsque Rimbaud fut parti, eut tourné un dos maçonné aux activités littéraires et à l'existence de ses aînés du Parnasse, cette évaporation soudaine à peine surprit. Elle ne posa une véritable énigme que plus tard, une fois connues sa mort et les divisions de son destin, pourtant (Fun seul trait de scie. Nous osons croire qu'il n'y eut pas rupture, ni lutte violente, Vultime crise traversée, mais interruption de rapport, arrêt d'aliment entre le feu général et la bouche du cratère, puis desquamations des sites aimantés et ornés de la poésie, mutisme et muta" don du Verbe, final de l'énergie visionnaire, enfin appa- Préface 9 rition sur les pentes de la réalité objective cf autre chose qu'il serait, certes, vain et dangereux de vouloir fixer ici. Son œuvre, si rapidement constituée, Rimbaud Va, à la lettre, oubliée, rien a vraisemblablement rien souf- fert, ne Va même pas détestée, rien a plus senti à son poignet basané la verte cicatrice. De Vadolescence extrême à Vhomme extrême, Vécart ne se mesure pas. Y a-t-il une preuve que Rimbaud ait essayé, par la suite, de rentrer en possession des poèmes abandonnés aux mains de ses anciens amis? A notre connaissance, pas une. Vindiffè' rence complète. Il en a perdu le souvenir. Ce qui sort maintenant de la maigreur de la branche en place des fruits, du temps qriil était un jeune arbre, ce sont les épines victorieuses, piquants qui furent annoncés par Ventêtant parfum des fleurs. + Vobservation et les commentaires a"un poème peuvent être profonds, singuliers, brillants ou vraisemblables, ils ne peuvent éviter de réduire à une signification et à un projet un phénomène qui ria a"autre raison que d'être. La richesse d'un poème si elle doit s'évaluer au nombre des interprétations qriil suscite, pour les ruiner bientôt, mais en les maintenant dans nos tissus, cette mesure est acceptable. Qu'est-ce qui scintille, parle plus qriil ne chuchote, se transmet silencieusement, puis file derrière la nuit, ne laissant que le vide de Vamour, la promesse de Vimmunité? Cette scintillation très personnelle, cette trépidation, cette hypnose, ces battements innombrables sont autant de versions, celles-là plausibles, d'un événe» ment unique : le présent perpétuel, en forme de roue comme le soleil, et comme le visage humain, avant que la terre et le ciel en le tirant à eux ne Vallongeassent cruellement. 10 Préface Aller à Rimbaud en poète est une folie puisqu'il per- sonnifie à nos yeux ce que Vor était pour lui: Vintrados poétique. Son poème, s'il fascine et provoque le commenta- teur, le brise aussitôt; quel qu'il soit. Et comme son unité il l'a obtenue à travers la divergence des choses et des êtres dont il est formé, il absorbera sur un plan dérisoire les reflets appauvris de ses propres contradictions. Aucune objection à cela puisqu'il Us comprend toutes: « J'ai voulu dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens. » Parole qui, prononcée ou non, est vraie, qui se remonte indéfiniment. Il faut considérer Rimbaud dans la seule perspective de ia poésie. Est-ce si scandaleux? Son œuvre et sa vie ainsi se découvrent d'une cohérence sans égale, ni par9 ni malgré leur originalité. Chaque mouvement de son œuvre et chaque moment de sa vie participent à une entreprise que l'on dirait conduite à la perfection par Apollon et par Pluton: la révélation poétique, révélation la moins voilée qui, en tant que loi nous échappe, mais qui, sous le nom de phénomène noble, nous hante presque familièrement. Nous sommes avertis: hors de la poésie, entre notre pied et la pierre qu'il presse, entre notre regard et le champ parcouru, le mon/le est nul. La vraie vie, le colosse irrécusable, ne se forme que dans les flancs de la poésie. Cependant l'homme n'a pas la souveraineté (ou n'a plus, ou n'a pas encore) de disposer à discrétion de cette vraie vie, de s'y fertiliser, sauf en de brefs éclairs qui ressemblent à des orgasmes. Et dcuns les ténèbres qui leur succèdent, grâce à la connaissance que ces éclairs ont apportée, le Temps, entre le vide horrible qu'il sécrète et un espoir-pressentiment qui ne relève que de nous, et n'est que le prochain état d'extrême poésie et de voyance qui s'annonce, le Temps se partagera, s'écoulera, mais à notre profit, moitié verger, moitié désert. Rimbaud a peur de ce qu'il découvre ; les pièces qui se Préface i l jouent dans son théâtre Veffrayent et Véblouissent. Il craint que Vinouï ne soit réel, et, par conséquent, que les périls que sa vision lui fait courir soient, eux aussi, réels, lourdement ligués en vue de sa perte. Le poète ruse, s'efforce de déplacer la réalité agressive dans un espace imaginaire, sous les traits d'un Orient légendaire, biblique, où s'affaiblirait, s'amoindrirait son fabuleux instinct de mort. Las! la ruse est vaine, l'épouvante est justifiée, le péril est bien réel. La Rencontre qu'il poursuit et qu'il appréhende, voici qu'elle surgit comme une double corne, pénétrant de ses deux pointes a dans son âme et dans son corps ». • Fait rare dans la poésie française et insolite en cette seconde moitié du XIXe siècle, la nature chez Rimbaud a une part prépondérante. Nature non statique, peu appréciée pour sa beauté convenue ou ses productions, mais associée au courant du poème où elle intervient avec fréquence comme matière, fond lumineux, force créatrice, support de démarches inspirées ou pessimistes, grâce. De nouveau, elle agit. Voilà ce qui succède à Baudelaire. De nouveau, nous la palpons, nous respirons ses étrangetés minuscules. L'apercevons-nous en repos que déjà un cata- clysme la secoue. Et Rimbaud va du doux traversin Ëherbe où la tête oublieuse des fatigues du corps devient une eau de source, à quelque chasse entre possédés au sommet (Tune falaise qui crache le déluge et la tempête. Rimbaud se hâte de l'un à l'autre, de l'enfance à l'enfer. Au Moyen Age la nature était pugnace, intraitable, sans brèche, d'une grandeur indisputée. L'homme était rare, et rare était l'outil, du moins son ambition. Les armes la dédaignaient ou l'ignoraient. A la fin du XIXe siècle, après des fortunes diverses, la nature, encerclée par les 13 Préface entreprises des hommes de plus en plus nombreux, uploads/Litterature/ rimbaud-poesie-une-saison-en-enfer-illuminations-pdf 1 .pdf

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