1 2 3 DE L’EXTRAORDINAIRE : Nominalisme et modernité 4 5 EDITIONS L’HARMATTAN D

1 2 3 DE L’EXTRAORDINAIRE : Nominalisme et modernité 4 5 EDITIONS L’HARMATTAN DE L’EXTRAORDINAIRE : Nominalisme et modernité EDUARDO SABROVSKY Traduction de l’espagnol de Virginie Vallée. Titre original: De lo extraordinario: Nominalismo y Modernidad, Santiago de Chile: Ediciones Universidad Diego Portales-Cuarto Propio, 2001. 6 Ouvrages du même auteur • Walter Benjamin como yo lo imagino. Santiago de Chile: Palinodia, 2011 (en cours de publication). • Anotaciones para un ángel insomne (poésie). Santiago de Chile: Tácitas Ediciones, 2006. • De lo extraordinario: Nominalismo y Modernidad, Santiago de Chile: Ediciones Universidad Diego Portales-Cuarto Propio, 2001. • El desánimo: ensayo sobre la condición contemporánea, Oviedo, España: Ediciones Nóbel, 1996 [finaliste du Concours International d’Essai Jovellanos]. • Hegemonía y Racionalidad Política, Santiago de Chile: Ediciones del Ornitorrinco, 1989. Comme éditeur: • La técnica en Heidegger, Santiago de Chile: Ediciones Universidad Diego Portales, 2007. • La crisis de la experiencia en la era postsubjetiva. Santiago de Chile: Ediciones Universidad Diego Portales, 2003. • Conversaciones con Raúl Ruiz, Santiago de Chile: Ediciones Universidad Diego Portales, 2004. • Tecnología y modernidad en Latinoamérica: ética, política, cultura. Santiago de Chile: Editorial Hachette, 1992. 7 « L’homme, pour être ce qu’il est, doit croire qu’il est plus que ce qu’il est ». Robert Musil, L’homme sans qualités. « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable ». Pascal, Pensées. Article I, § 3. 8 9 Remerciements Cette traduction a été possible grâce au financement de l’ l’Université Diego Portales (Chili). Très particulièrement, grâce a l’intérêt dans ce projet de Carlos Peña González, son Recteur. De même, je remercie les autorités, les professeurs et les étudiants de l’université qui, de différentes manières, encouragent et stimulent le travail intellectuel et la réflexion critique. Ce n’est pas courant qu’un philosophe Latino-Américain, qui de manière habituel n’écrit pas de manière directe sur l ‘Amérique Latine mais qui, pour utiliser la caractérisation fait par Beatriz Sarlo de Jorge Luis Borges, est plutôt "un écrivain aux confins", soit traduit au français. Il y a plusieurs raisons pour expliquer cette option, en vertu de laquelle, l’identité Latino-Américain est concentrée, pas aux énoncées, mais au sujet de l’énonciation. Beatriz Sarlo a développée cette question très lucidement, à propos de Jorge Luis Borges, dans un cycle de conférences à Cambridge (Jorge Luis Borges. A Writer on the Edge. Verso, London / NY 1993). Et Borges lui même, au contexte d’une ardue polémique contre le nationalisme littéraire aux années 1930, l’a exprimé dans un essai bien connu, « El escritor argentino y la tradición ». Cela me exempt du devoir de m’expliquer plus longuement. Seulement, je dois exprimer ici ma gratitude pour Patrice Vermeren (philosophe, et grand ami des philosophes Latino-Américains), qui a apprécié cette sort de saga philosophique, et a attiré l’attention de la maison éditorial L’Harmattan sur elle. Finalement, je tiens à remercier Virginie Vallée, traductrice, qui a réussi non seulement à compléter la tâche, de soi même difficile, de traduire un texte philosophique, mais aussi, et cela par moments nous a parue presque impossible, de trouver les éditions canoniques françaises des œuvres philosophiques et littéraires —toute une bibliothèque— que je cite dans ce livre. Écrire peut être une tâche ardue : dehors, il y a du soleil, la mer, des nuages vertigineux. À tous ceux qui soulagent l’effort en apportant de la chaleur, un horizon infini ou un vertige occasionnel, j’adresse également mes remerciements. 10 11 Prologue Ce livre, jusqu’où je peux affirmer que j’en suis son agent, son auteur (attention, car peut-être dans cette hésitation se concentre déjà toute la thèse de ce livre), est le résultat d’une scène : d’une scène d’enseignement. Depuis plusieurs années, en effet, je donne des cours sur l’œuvre de Jorge Luis Borges, lue d’un point de vue philosophique – bien que, la philosophie est-elle réellement capable de faire cette opération ? Ou n’est-elle pas plutôt, dans l’essai, elle-même exposée comme « une branche de la littérature fantastique » ? –, et aussi sur Nietzsche. Il s’agit dans les deux cas d’auteurs – attention à nouveau – chez lesquels la dissolution post(moderne) du sujet acquiert manifestement son expression la plus extrême et canonique. Dans un prochain chapitre (chapitre IV), nous examinerons, en détail, le paragraphe I, 13 de La généalogie de la morale dans lequel Nietzsche analyse la forme la plus élémentaire du langage – la forme prédicative, en vertu de laquelle un prédicat est associé à un sujet – et il en conclut que dans cette forme se trouve sédimentée toute une métaphysique : la fiction – fiction performative, système de possibilités et d’impossibilités gravées à vifs dans le monde – du sujet libre, responsable, ainsi que de ses douleurs – le châtiment, la culpabilité – qui lui sont inhérentes. Bien entendu, il ne nous devrait pas être possible dans les prochains chapitres – plus encore si le discours a précisément pour contenu le fait de dénoncer la douleur et ses mécanismes occultes – de parler sans éprouver la sensation d’une certaine duplicité, d’un certain cynisme. C’est peut-être pour cela – pour faire face à ce mal-être – que Nietzsche (et avec lui, dans des modulations différentes, la totalité des (auto)critiques de la Raison) finit par postuler une sorte de langage originaire, parfait, dans lequel les choses même prennent la parole, au-delà de toute violence métaphysique. Cela est, de fait, la fonction qui, dans l’économie 12 conceptuelle de la pensée généalogique nietzschéenne, exerce « le mode d’évaluation noble »1, de nommer. Par ailleurs, dans les paraboles borgésiennes – plusieurs d’entre elles nous accompagnent dans ce projet –, s’exprime, de façon exemplaire, le nominalisme, détermination primordiale de la Modernité. Le nominalisme, nous le dirons ultérieurement, est hostile à l’histoire et aux pouvoirs qui lui sont décernés. Mieux encore : grâce à son hostilité pour le pouvoir, le nominalisme est destiné à déconstruire, depuis son fondement, le dispositif symbolique dont il se sert pour sa légitimation. Ce dispositif est l’histoire. L’histoire, même sous la forme séculaire du progrès, est toujours un métarécit salvateur : promesse que les douleurs du présent, dans lesquelles les petites gens consomment leur vie, seront récompensées par une fin glorieuse et heureuse. Munis de cet aval transcendant, les « athlètes de l’état » (Sloterdijk) arrivent à légitimer la souffrance qu’inévitablement leurs mégaprojets déchaînent. Le nominalisme, en revanche, se méfie de l’identité postulée – projetée – entre l’être et la pensée. Il nie ainsi que l’infinie singularité du réel – un bouillonnement chaotique, sans fin – puisse être contenu dans l’universalité du mot, des récits et des métarécits tramés par elle. Le nominalisme constitue une réfutation de la temporalité historique. Réfutation en vertu de laquelle toute identité entre histoire et justice est d’avance exclue : il n’y a pas de règlement de comptes possibles entre l’universalité de la pensée et le langage, et la singularité du réel. Cela étant, la question de la légitimation du pouvoir devient, de façon moderne, une affaire de profane, susceptible seulement d’être résolue – et, pour cela même, en rigueur, jamais résolue – de façon pragmatique, à travers des équilibres de forces successifs et très imprévisibles. Et, au-delà de la temporalité de l’histoire, s’ouvre pour nous, les modernes, une expérience du temps à la fois radicale et irréductible : celle du « jetztzeit » (tel que Walter Benjamin l’a nommé) ; de la catastrophe ; de la mort au-delà de tout horizon historique de rédemption. 1Friedrich NIETZSCHE, La généalogie de la morale, Librairie Générale Française, France, 2000, Traité 1, § 10, p. 83. 13 L’œuvre de Borges peut être lue comme une collection de paraboles nominalistes : une gigantesque réfutation du temps, en vertu de laquelle la temporalité littéraire cède sa place à l’éternité hiératique de la Bibliothèque. Dans la Bibliothèque de Babel, les liens de filiations entre les textes ont été substitués par des relations spatiales ; par ailleurs, la totalité des textes possibles sont présents là, mais comme produits par une combinaison aveugle et impersonnelle. La Bibliothèque est la parabole de l’ « espace littéraire », concept majeur de la lecture de Borges que nous développerons prochainement, dans le chapitre VII. L’espace littéraire est la condition de la possibilité des faits littéraires, des œuvres littéraires de fait qui sont, d’une manière quelconque, préfigurées par lui. À partir de cette perspective, peu importe que les œuvres aient été effectivement écrites (« délires laborieux et appauvrissants que de composer de vastes livres »1). Ce qui est important est que son écriture soit possible : pour cela « mieux vaut feindre que ces livres existent déjà, et en offrir un résumé »2 (Préface, « Le Jardin aux sentiers qui bifurquent »). Pour cela également, comme dans la citation de Francis Bacon qui sert d’épigraphe au conte « L’immortel », la nouveauté (littéraire : mais ici la littérature – le livre – est le chiffre du monde) n’est rien d’autre qu’une modalité de l’oubli ; cela étant, en abdiquant finalement ses prérogatives en faveur du lecteur, du commentateur, la figure de l’auteur individuel disparaît (« toutes les œuvres sont l’œuvre uploads/Litterature/ sabrovsky-eduardo-de-l-x27-extraordinaire-nominalisme-et-modernite.pdf

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