Séminaire n°11 (Première année) - Le journalisme dans Illusions Perdues Exemple
Séminaire n°11 (Première année) - Le journalisme dans Illusions Perdues Exemple de commentaire composé Illusions Perdues - extrait p. 318-24 (cf. également l’exemplier du séminaire) Introduction Rappelons avant de commencer que Lucien vient de montrer juste avant ces pages toute l’étendue des qualités de sa plume dans l’article sur Coralie et par là même, il s’est déjà fait des ennemis sans le savoir, à commencer par Lousteau. On sait depuis les préfaces de Balzac l’importance accordée à la critique du journalisme dans Illusions Perdues. Aussi ce passage est-il primordial, et le lecteur l’attendait avec impatience depuis la sinistre image qu’en donnait les membres du Cénacle. Ces pages doivent en effet être lues en diptyque (antithétique) avec la découverte du Cénacle par Lucien quelques cent pages plus tôt. Dans les deux cas, le jeune provincial passe soudain au second plan pour quelques pages tandis qu’un homme charismatique domine le passage : d’un côté D’Arthez (qui parle peu) de l’autre Vignon (qui monopolise la parole). Tous deux fonctionnent en oppositions aussi pleines que celles de leurs groupes respectifs. L’intervention du narrateur qui clôt la soirée des journalistes souligne explicitement cette dualité tranchante. Mais nous sommes ici dans la première description du journalisme de l’intérieur après les prémices déjà offertes par les coulisses du panorama dramatique. Sur un mode paradoxal qui emprunte surtout au narcissisme exacerbé mais aussi à une certaine auto-flagellation, les journalistes apportent des contributions majeures à l’analyse de leur activité à tel point que ce passage constitue à la fois le tronc et les racines de l’étude de ce milieu dans le roman. Toutes les manifestations du journalisme jusqu’à la fin du Grand homme à Paris ne sont que les ramifications visibles des principes divers suggérés ou théorisés dans ces six pages. Nous étudierons la place du journalisme dans ce passage sous trois angles : d’abord il s’agira de montrer sa relation à la morale héritée du christianisme et la manière dont il en détourne les valeurs tout en s’illustrant par une conception toute païenne de l’ « esprit »; ensuite, c’est aux rouages mêmes du journalisme que nous nous attacherons, c’est-à-dire à ses lois propres et son caractère autophage; enfin, nous étudierons les rapports de Lucien à sa nouvelle vocation qui, dès ce passage, s’affiche comme la preuve par l’exemple du fonctionnement du journal. I. Détournement de l’esprit et détournement des valeurs Ce passage abonde en références mythiques et religieuses et ce n’est pas sans raison qu’il possède un véritable aspect apocalyptique. On verra plus loin que les révélations des journalistes (particulièrement Blondet et Vignon) sont moins des produits de l’atmosphère avinée, pourtant non négligeable, que ceux d’une froide conscience de leur pouvoir et de la fatalité qui les diriges (le narrateur parle lui de « froide analyse »). Mais, avant d’aborder la logique interne du journalisme, ses buts et ses moyens, il m’apparaît nécessaire de souligner son rapport aux valeurs canoniques qui sont détournés à travers ce passage, principalement celles issues de la religion. A première vue, c’est à une inversion des valeurs à laquelle nous assistons ici : Blondet n’hésite pas à utiliser des métaphores tirées de la genèse pour montrer le pouvoir moral du journalisme sur la sphère politique que représente le diplomate allemand. Mais ce qu’il démontre surtout par le biais de sa nonchalance dans l’usage des images biblique c’est la distance prise vis-à-vis des textes sacrés du christianisme qui ne jouent ici que le rôle d’une arme certes dangereuse, mais dont le journalisme, lui, ne craint plus rien. Un peu plus loin, Blondet évoque encore (p. 320) que les « journaux ont de plus que l’esprit de tous les hommes spirituels, hypocrisie de Tartuffe ». L’absence de foi apparaît donc comme la grande force des journalistes vis-à-vis d’éventuels rivaux qui seraient empêtrés dans les contraintes de valeurs religieuses. Cette critique ne vise pas nécessairement le Cénacle et D’Arthez, mais ce dernier vient immédiatement à l’esprit car la moelle épinière de son ethos, si je puis dire, est bien la rigueur morale qui le tient éloigner du journalisme. Attardons-nous sur le terme d’esprit. Il y a dans ce texte deux type d’« esprit » : d’abord, celui, juste évoqué, des « hommes spirituels » (on pense toujours à D’Arthez puisque la narration évoque « le ciel de l’intelligence noble » ce dernier adjectif renvoyant en miroir à une intelligence qui l’est beaucoup moins). Cet esprit, même s’il est profane, reste l’héritier de la tradition chrétienne en ce qu’il s’agit d’un intellect de l’ascèse. Ensuite, il y a celui, bien supérieur aux yeux de Blondet, duquel participe Tartuffe et qui fait de la ruse et de l’hypocrisie les valeurs suprêmes. Cet esprit là n’est pas pour autant littéraire, même si le travail des journalistes est de s’exprimer avec la plume. C’est un esprit qui ne trouve sa finalité ni dans l’idée abstraite de la gloire des mots, ni dans celles des idées. Ses occurrences sont bien plus nombreuses : « bah! Que peut la loi contre l’esprit français (p.320); cet esprit là renverse les valeurs chrétiennes : la pensée flétrira tout, nous dit Blondet (cf. p. 319) « Les journaux sont un mal, dit Claude Vignon (p. 320). Les journalistes ne nient donc pas l’aspect néfaste de leur travail, mais le décrivent tel qu’il est sans s’en désolidariser (Blondet : « si la Presse n’existait point faudrait-il ne pas l’inventer, mais la voilà, nous en vivons »). Si Finot qui n’aime pas évoquer la réalité des journaux en présence d’abonnés (sa phrase est peut-être ironique mais, de fait, il reste le moins loquace), Blondet et Vignon peuvent parler sans crainte - derrière une apparente critique du monde des journaux (« entrepôts de venin »; moyen de partis au lieu de « sacerdoce »), il est évident que ces deux là font plus que cautionner cet univers : le pouvoir maléfique des mots les enivrent1. L’arsenal rhétorique qu’utilise Vignon pour montrer les vices du journalisme est au sein d’un dialogue une sorte de tour de force qui illustre parfaitement son propos sur le pouvoir des mots : à l’amorce de personnification du Journalisme qui a lieu dans une phrase du diplomate (p.319), fait écho le portrait allégorique bien plus développé et même hyperbolique du Journal par Vignon (cf. p. 321, 26 lignes de « Ainsi le roi fait du bien… » à la fin de ce monologue, son second). Rappelons que l’’allégorie est une figure stylistique majeur du style apocalyptique. A l’allégorie succède une prophétie sur l’avenir du journalisme qui est véritablement le point d’orgue de ce passage : si l’on devait comparer ce texte à une phrase périodique, la protase s’achèverait avec l’allégorie et l’apodose ne commencerait qu’après le long monologue prophétique de Vignon (p. 321-2). A lors que Finot cherche à mettre en valeur poétiquement l’émergence du journalisme (il n’en est, dit-il, « qu’à son aurore »), Vignon évoique un tableau apocalyptique du journalisme en fixant une date très proche : dix ans. Cette description, appuyée par l’allégorie qui la précède fait du journal une sorte d’être autonome dont la puissance croissante se nourrit de la chute progressive de ceux qui le font exister (« les journalistes parvenus seront remplacés par des journalistes affamés et pauvres »). Vignon semble plus proche de la vérité que Finot eu égard à la phrase qui clôture le repas des journalistes au petit matin dans des effluves dionysiaques : « Le jour surprit les combattants, ou plutôt Blondet, buveur intrépide, le seul qui pût parler et qui proposait aux dormeurs un toast à l'Aurore aux doigts de rose. ». Il est donc bien question d’une aurore du journalisme, mais qui s’ouvre sur des dormeurs qui seront sous peu frappés d’une sévère et bien symbolique gueule de bois. L’entretien d’un mythe de l’esprit français est aussi là pour souligner le narcissisme exacerbé des journalistes qui s’identifient tous à ce concept. Blondet : « En France, l’esprit est plus fort que tout »; Nathan « que peut la loi contre l’esprit français »; Vignon : « La terreur et le despotisme peuvent seuls étouffer le génie français dont la langue se prête admirablement à l'allusion, à la double entente. » Il est clair que Balzac met dans leur bouche ces termes volontairement très flous pour montrer qu’un mythe est ici à l’œuvre : en effet, par génie français, il n’est guère question ici de celui des écrivains et des poètes. Rappelons que la France n’est plus le modèle européen qu’elle a pu être le siècle précédent, et que les années 1820 sont sous la domination littéraire de l’Allemagne romantique et de l’Angleterre gothique. Mais alors, qu’est-ce donc que ce génie français, cet esprit que divinisent les journalistes?? Quelques décennies plus tard, Baudelaire n’écrira-t-il pas dans Mon cœur mis à nu (XVIII) que la France est toute entière semblable à Voltaire ce « roi des badauds, prince des superficiels » et donc qu’elle est porteuse d’un génie médiocre? Ne nous y trompons pas, ce n’est pas un hasard d’entendre aussi Rimbaud s’écriant uploads/Litterature/ seminaire-11-comment-a-ire-compose.pdf
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- Publié le Jul 19, 2021
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