La synonymie dans la seconde moitié du XIXe siècle : description, pédagogie et
La synonymie dans la seconde moitié du XIXe siècle : description, pédagogie et théorisation Bisconti, Valentina Laboratoire d’Histoire des Théories Linguistiques, UMR 7597/CNRS/Université Paris Diderot – Paris 7 Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 valentina.bisconti@univ-paris3.fr 1 Introduction La réflexion sur la synonymie – pratique métalinguistique ancienne – constitue un enjeu majeur dans la constitution des savoirs linguistiques pendant la seconde moitié du XIXe siècle. L’appréhension de ce phénomène est tributaire d’approches différentes, mais qui sont fédérées par l’attention portée aux mécanismes de la signification. Ainsi, la synonymie fait-elle l’objet d’étude, d’une part, des recueils de synonymes, des dictionnaires généraux et des méthodes lexicologiques qui participent au processus de grammatisation de la langue (Auroux 1994), et d’autre part, de la sémantique et de la linguistique générale en phase de constitution, qui s’interrogent sur les lois et les principes généraux régissant l’organisation d’un système linguistique. Notre étude s’inscrit dans une perspective historico- épistémologique et vise à retracer les continuités et les discontinuités entre les différents discours sur la synonymie qui, tout en étant concomitants, divergent en fonction des postulats et des visées de chaque approche. Il sera d’abord question du traitement de la synonymie dans les grands dictionnaires monolingues de la seconde moitié du XIXe siècle, notamment chez Littré et dans le Dictionnaire général de Hatzfeld et Darmesteter ; nous étudierons, ensuite, le traitement de ce phénomène dans le cadre du programme pédagogique de la lexicologie mise à l’honneur par Larousse et aborderons, enfin, l’intérêt de connaissance de la synonymie au sein des théories de Bréal et Saussure. 2 La synonymie dans les dictionnaires monolingues : atout ou impasse ? La synonymie concerne à la fois la question de l’identité et de l’altérité de signification. Comme l’a remarqué Rossi (1997 : 105), la notion d’identité peut être conçue de manière plus ou moins « restrictive » : Il existe une forme purement tautologique de l’identité, dans laquelle « A est A » constitue l’expression même de l’identité à soi. Cette expression ne saurait concerner la synonymie, qui est une relation entre deux expressions (termes ou phrases) posées comme distinctes l’une de l’autre et dans laquelle joue à fond la dialectique du même et de l’autre. Aussi ce ne peut être que dans le cadre d’une conception affaiblie de l’identité que la notion de synonymie peut faire sens. Si la synonymie concerne l’identité de signification entre deux unités lexicales, la tâche du lexicographe est précisément de « discerner ce qui fait qu’il n’y a pas d’identité » (Imbs 1983 : 394). La synonymie fait l’objet d’étude de deux typologies d’ouvrages : les dictionnaires de synonymes et les dictionnaires généraux. Pour ce qui est des dictionnaires de synonymes, il s’agit d’un genre qui se met en place SHS Web of Conferences 1 (2012) DOI 10.1051/shsconf/20120100281 © aux auteurs, publié par EDP Sciences, 2012 Congrès Mondial de Linguistique Française – CMLF 2012 SHS Web of Conferences Article en accès libre placé sous licence Creative Commons Attribution 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0) 707 Article available at http://www.shs-conferences.org or http://dx.doi.org/10.1051/shsconf/20120100281 progressivement au sein de la tradition des lexiques partiels1 et des remarques (Delesalle 2008 : 191), et qui se spécialise à partir du XVIIIe siècle avec notamment La Justesse de la langue françoise de l’abbé Girard (1718). Dans la première moitié du XIXe siècle, les dictionnaires de synonymes continuent d’être publiés2, bien qu’ils ne constituent que des compilations à partir des traités du XVIIIe siècle (Girard, Roubaud, etc.)3. En revanche, après le dictionnaire de Lafaye (1858), dans la seconde moitié du siècle, on assiste à un « tarissement assez brutal » du genre (Berlan et Pruvost 2008a : 5). Laissant donc de côté cette première catégorie, nous concentrerons notre analyse sur les dictionnaires généraux, où le traitement de la synonymie ne va pas sans problème. Dans le Dictionnaire de la langue française (1863-1872, dorénavant DLF), Émile Littré suggère d’emblée un partage des tâches avec les synonymistes car un sujet « aussi étendu et important » doit faire l’objet d’ouvrages spéciaux (les traités de synonymes). En même temps, il est conscient qu’un dictionnaire général ne peut pas passer sous silence cet aspect de la signification lexicale (Préface, p. XIX). La synonymie apparaît essentiellement comme un facteur de complication qui comporte le risque de l’explication « du même par le même », préjudiciable à tout projet lexicographique. Néanmoins, elle fournit un « utile secours à la lexicographie » dans la mesure où elle force à préciser des « idées très- étroitement unies » (ibid.). Littré ne tait pas ses réserves sur la méthode du renvoi du Dictionnaire de l’Académie française – véritable anti-modèle – qui « définit fier par hautain, altier » et « hautain par fier, orgueilleux », où le lexicographe voit « un défaut duquel il faut se préserver ». Cependant, il reconnaît que l’étymologie permet d’expliquer certains faits de synonymie : tel est le cas de hautain et altier, qui étant « identiques radicalement », ont « un fond commun de signification ». Littré ne sous-estime pas la difficulté d’éviter la circularité des définitions : « La discussion des synonymes m’a souvent averti de prendre garde aux nuances et de ne pas recevoir comme une véritable explication le renvoi d’un terme à l’autre. » (Ibid.) Dans l’article synonyme, nous lisons : SYNONYME 1° Il se dit d'un mot qui a, à très peu près, le même sens qu'un autre, comme péril et danger, funeste et fatal, mort et trépas. Fig. Il se dit de ce qui est une seule et même chose. 2° S. m. Mot synonyme. Demi-synonymes, mots qui sont exactement synonymes dans une partie de leur emploi, sans l'être dans l'autre partie. 3° En histoire naturelle, se dit des noms différents qui servent à désigner le même être. 4° Au plur. Titre de certains ouvrages, en forme de dictionnaire, dans lesquels la différence des mots synonymes est expliquée (il prend une majuscule). Les Synonymes latins de Gardin Dumesnil. Les Synonymes français de Girard. Les Synonymes de Lafaye. […] SYNONYME, ÉQUIVALENT. L'équivalent remplace un mot par une locution qui signifie la même chose ; par exemple quand on met la définition au lieu du terme lui- même. Le synonyme offre des nuances d'acception qui le distinguent plus ou moins d'un mot à signification voisine. Littré insiste sur l’écart entre les mots synonymes, ce qui, au niveau discursif, prend la forme de l’approximation : « à très peu près », « demi-synonymes », « plus ou moins ». En particulier, la troisième acception présente la synonymie comme « un pur effet de désignation » (Nicolas 1980 : 92). Un exposé de nature métalinguistique fait le départ entre synonyme et équivalent. En général, la synonymie intervient dans le DLF : (i) comme pratique définitionnelle quand le synonyme est donné comme définissant d’un lemme (par exemple dire : « 4° Nommer, exprimer », « 6° Réciter, lire, débiter. Dire sa leçon », « 7° Raconter », « 8° Juger, penser, être tenté de croire », « 9° Avertir, prévenir, ordonner, conseiller », « 10° Offrir, proposer ») ; ii) comme approche différentielle des unités lexicales sous forme de remarques paradigmatiques portant sur des séries synonymiques. Cette approche distinctive de la synonymie est à l’origine d’un exposé explicatif qui se situe avant le volet historique des articles. Dans ce dernier cas de figure, l’étymologie peut être invoquée, non pour établir la filiation des significations, mais comme critère de différenciation sémantique, selon un procédé qui, dans le cadre des recueils de synonymes, remonte aux Nouveaux synonymes françois de Roubaud (1785). Dans l’article consacré au lemme craindre, Littré inclut une rubrique pour la synonymie fondée sur le dispositif de l’entrée multiple, ce qui lui permet de comparer le sémantisme de plusieurs verbes : SHS Web of Conferences 1 (2012) DOI 10.1051/shsconf/20120100281 © aux auteurs, publié par EDP Sciences, 2012 Congrès Mondial de Linguistique Française – CMLF 2012 SHS Web of Conferences Article en accès libre placé sous licence Creative Commons Attribution 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0) 708 – SYN. CRAINDRE, APPRÉHENDER, AVOIR PEUR, REDOUTER. Redouter se distingue des trois autres en ce qu'il exprime la crainte de quelque chose de supérieur, de terrible, à quoi on ne peut résister. Appréhender se distingue de craindre et avoir peur, en ce que, conformément à son étymologie, il indique une vue de l'esprit, une attention portée sur l'avenir, sur la possibilité ; ce qu'on appréhende apparaît moins comme probable que comme possible. Au contraire, ce qu'on craint apparaît non- seulement comme possible, mais aussi comme probable. Enfin, avoir peur désigne un état de l'âme où devant le péril le courage fait défaut ; on peut craindre le danger et pourtant y faire tête ; mais si on a peur du danger, il est le plus fort et nous emporte. Je redoute l'orage veut dire que je le regarde comme formidable ; j'appréhende l'orage, qu'il me paraît possible ; je crains l'orage, que les effets m'en semblent dangereux pour moi ; j'ai peur de l'orage, qu'il m'ôte tout courage. A l’exception de cet exposé métalinguistique, les trois verbes que Littré donne uploads/Litterature/ shsconf-cmlf12-000281-pdf.pdf
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- Publié le Dec 04, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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