1 Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation c

1 Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIV, n° 3/4, 1994 (91/92), p. 539-552. ©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000 Ce document peut être reproduit librement, à condition d’en mentionner la source. B.F. SKINNER (1904-1990) Louis M. Smith1 Skinner est le plus important psychologue américain du XXe siècle — et sans doute même le plus grand psychologue dans le monde depuis, ou avec Freud. Véritable tour de force, son premier livre, The Behavior of Organisms [Le comportement des organismes] (1938), légitima un nouveau courant du behaviorisme. Après sa publication, Skinner continuera, cinq décennies durant, de développer, affiner, corriger et affiner encore ses positions. Aucun problème ne semblait trop vaste ou trop étroit pour ses capacités d’observation et d’analyse. Découverte d’une vocation A en croire Skinner lui-même, il serait nécessaire d’analyser son histoire personnelle pour saisir ce qui l’a poussé à « devenir psychologue ». Sa décision d’étudier la psychologie est le résultat d’un concours singulier et original de circonstances. Burrhus Frederic Skinner naquit dans la petite ville de Susquehanna, en Pennsylvanie. Ayant obtenu le diplôme qui sanctionne le premier cycle de l’enseignement supérieur au Hamilton College, avec la littérature comme matière principale, il tenta dès l’année suivante de faire ses premières armes d’écrivain. Ce fut une période marquée par le découragement et l’échec : il découvrit qu’il n’avait rien d’intéressant à dire. Comme il le rapporta dans son autobiographie, Particulars of My Life [Détails de ma vie] : « J’étais apparemment un piètre écrivain, mais n’était-ce pas plutôt la littérature qui était pour moi une piètre méthode ? » (Skinner, 1976, p. 291). « Je me débattais dans une mer déchaînée, en grand danger de couler, mais les secours étaient en route. Le Dial [un magazine dont il était un lecteur assidu] publia quelques articles de Bertrand Russell qui m’amenèrent à son livre Philosophy, paru en 1927, dans lequel il s’étendait longuement sur le behaviorisme de John B. Watson et ses incidences sur le plan épistémologique (ibid., p. 298) ». Bientôt, Skinner se plongeait dans les écrits de Watson et de Jacques Loeb, et rédigeait la critique d’un livre de Berman, The Religion Called Behaviorism [Cette religion appelée behaviorisme]. Le Saturday Review of Literature refusa l’article «... mais pour la première fois, en l’écrivant, je me définissais plus ou moins comme un behavioriste » (ibid., p. 299). Après plusieurs conversations avec des condisciples de Hamilton, il demanda à être admis à l’Université de Harvard pour y préparer un doctorat et y fut accepté à l’automne 1928. Ce changement de cap brutal qui lui fit abandonner la littérature au profit du behaviorisme, alors qu’il n’avait jamais suivi de cours de psychologie, a des allures de conversion. Skinner, est-on tenté de dire, ne disposait que de bien peu d’éléments pour opérer ce tournant intellectuel qui allait décider de toute sa carrière, pendant plus de 50 ans. Quelque chose dans les ouvrages de Russell et de Watson avait éveillé un écho dans l’esprit de ce 2 jeune homme au sortir de l’adolescence. Une vision du monde se dessinait avant même que la théorie de fond — l’univers des opérants, des réponses, des renforcements et des stimuli discriminatoires — ne soit découverte ou élaborée. Il semble que la démarche de Skinner fut plus une affaire de choix personnel que d’expérience et de jugement professionnels. Le climat social, caractérisé par la victoire remportée sur la grande crise des années 30 et celle qui mit fin à une guerre juste dans les années 40, s’assombrit sensiblement dans la période de l’après-guerre. Skinner écrira plus tard : « Le behaviorisme m’attira parce que je croyais, comme Watson, qu’une meilleure connaissance du comportement humain nous aiderait à surmonter nos difficultés ». L’univers qui avait été le sien dans sa petite ville d’Amérique avant que n’éclate la première guerre mondiale lui avait inculqué, comme à bien d’autres, une certaine foi dans le « progrès ». Ce terrain fertile allait nourrir son approche théorique : l’approche behavioriste. Une vision du monde Tout au long de sa vie, Skinner ne cessa de lancer des idées originales dans les domaines les plus divers. Ces idées étaient inspirées de Pavlov, Thorndike et Watson, mais Skinner les porta à un degré de différenciation, de généralité ou d’intégration inconnu avant lui. Ses réflexions semblaient toujours comporter un aspect pratique, concret et technique. Il s’occupa d’éducation, au sens large du terme, à travers toutes sortes d’activités, qu’il s’agisse de la conception d’un berceau, de machines à enseigner ou de l’enseignement programmé. Bien d’autres idées ont été le fruit de son esprit inventif et de ses talents de chercheur. Son premier ouvrage, The Behavior of Organisms [Le comportement des organismes] (1938) témoigne de la vivacité de son intelligence et de l’étendue de sa vision — en même temps que d’une sorte de simplicité. Le premier chapitre définit le champ de réflexion : une psychologie de l’ensemble des organismes, depuis les protozoaires jusqu’à l’être humain. D’un seul coup, Skinner mettait à mal l’idée selon laquelle l’être humain constituait un cas particulier représentant un intérêt particulier pour la psychologie. Ses rats blancs allaient représenter et symboliser toutes les espèces. L’objet d’étude était désormais un organisme intact considéré dans son environnement, et non un ensemble segmenté de dimensions, ni un système neurologique déductif, et pas davantage un « esprit » ou autre état de conscience — l’ego, le ça ou le surmoi. C’était le comportement — c’est-à-dire la manière dont l’organisme se conduit de façon visible — qui en définissait le contenu. A l’intérieur d’un tel cadre, il s’agissait, du moins dans ce premier livre, de dresser la typologie de tous les comportements volontaires. Si Skinner pouvait les prévoir et les contrôler, l’univers était entre ses mains. La « boîte de Skinner », petit dispositif comparable à un boîtier que manipulait l’expérimentateur, représentait la totalité des environnements, l’éventail des stimuli auquel pouvait être soumis un organisme. Grâce à la méthode expérimentale, la boîte et le rat blanc — contrôlés par le chercheur en psychologie — permettaient de constituer une base de données, et donc de dégager des conclusions théoriques. Skinner a exposé sa vision de l’histoire de la science, du point de vue particulier de l’être humain, en différents points de ses écrits. L’un des passages les plus saisissants se trouve dans le premier chapitre de Science and Human Behavior [La science et le comportement humain] (1953), texte de son cours de premier cycle à Harvard, Natural Sciences 114" [Sciences naturelles]: « Les croyances primitives concernant l’homme et sa place dans la nature sont en général flatteuses. C’est à la science qu’est échue la tâche ingrate de leur substituer une vision plus réaliste. La théorie copernicienne du système solaire a chassé l’homme de sa position prééminente au centre de l’univers. Nous acceptons aujourd’hui cette théorie sans nous en émouvoir, mais elle a rencontré à l’origine une formidable résistance. Darwin a remis en 3 question une ségrégation bien établie en vertu de laquelle l’homme s’affirmait résolument distinct des animaux, et l’âpre controverse qui s’ensuivit n’est pas encore éteinte. Pourtant, même s’il situait l’homme à sa vraie place biologique, Darwin ne lui refusa jamais une éventuelle position de maître. Des facultés particulières ou une disposition spéciale à l’action spontanée, créatrice, pouvaient s’être développées à la faveur de l’évolution. Maintenant que ces traits distinctifs sont à leur tour mis en doute, une nouvelle menace se profile (Skinner, 1953, p. 7) ». Point n’est besoin d’un gros effort d’imagination pour deviner que Skinner inscrivait ses propres efforts et sa théorie du behaviorisme dans cette progression. Dans Science and Human Behavior [Science et comportement humain], il étend par extrapolation les données issues de l’observation d’animaux à tous les aspects du comportement humain. Les 450 pages et 29 chapitres du cours se répartissent en six grandes sections : 1. La possibilité d’une science du comportement humain. 2. L’analyse du comportement. 3. L’individu dans sa totalité (avec des chapitres sur le contrôle de soi, la réflexion et le moi). 4. Le comportement de groupe. 5. Les institutions de contrôle (avec des chapitres sur l’État et la loi, la religion, la psychothérapie, le contrôle économique et l’éducation). 6. Le contrôle du comportement humain (avec des chapitres sur la culture et le contrôle, la conception d’une culture et le problème du contrôle). Aucun problème n’était trop vaste ni trop restreint pour sa réflexion. Sa vision était une vision globale du monde, qu’aucun psychologue ne pouvait ignorer — ni aucun intellectuel s’intéressant à d’autres disciplines ou domaines plus larges. Peu après la fin de la deuxième guerre mondiale, Skinner se pencha, dans Walden Two [Walden deux] (1948), sur le problème de l’utopie, de la société idéale. C’était le type d’ouvrage qui, de prime abord, attira peu de lecteurs puis qui, par la suite, souleva une intense polémique, fut porté par la vague des conflits sociaux des années 60, et qui, vers le milieu des années 80, avait franchi le cap des 2 millions d’exemplaires. Pour un jeune uploads/Litterature/ skinner-1 1 .pdf

  • 13
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager