Commentaire composé Elsa au miroir C’était au beau milieu de notre tragédie Et
Commentaire composé Elsa au miroir C’était au beau milieu de notre tragédie Et pendant un long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d’or Je croyais voir Ses patientes mains calmer un incendie C’était au beau milieu de notre tragédie Et pendant un long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit C’était au beau milieu de notre tragédie Qu’elle jouait un air de harpe sans y croire Pendant tout ce long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit Qu’elle martyrisait à plaisir sa mémoire Pendant tout ce long jour assise à son miroir À ranimer les fleurs sans fin de l’incendie Sans dire ce qu’une autre à sa place aurait dit Elle martyrisait à plaisir sa mémoire C’était au beau milieu de notre tragédie Le monde ressemblait à ce miroir maudit Le peigne partageait les feux de cette moire ‘peine » Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire C’était un beau milieu de notre tragédie Comme dans la semaine est assis le jeudi Et pendant un long jour assise à sa mémoire Elle voyait au loin mourir dans son miroir Un à un les acteurs de notre tragédie Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits Et ce que signifient les flammes des longs soirs Et ses cheveux dorés quand elle vient s’asseoir Et peigner sans rien dire un reflet d’incendie. Louis Aragon, La Diane française, « Elsa au miroir », 1945. Écrivain, poète, journaliste français né en 1897 et mort en 1982, Louis Aragon, faisait partie du mouvement surréaliste. Cette littérature réintroduit la notion de hasard dans le processus créatif par l’écriture automatique et emprunte une partie de son corps de doctrine à la psychanalyse. Dans ce poème, qui fait partie d’une œuvre plus vaste intitulée la Diane française, Aragon célèbre l’immense amour qu’il porte à sa femme, Elsa, avec laquelle il partagera quarante ans de sa vie. Mais ces vers sont bien plus qu’une simple ode amoureuse. L’action se situe durant la seconde guerre mondiale, l’armistice a été signée avec l’Allemagne et la France est occupée par l’armée nazie. Patriote et antifasciste convaincu, Aragon qui vient d’être démobilisé, nous offre là un poème engagé qui traite tout en subtilité de cette guerre et de la nécessité de continuer le combat. « Elsa au miroir » va nous permettre de nous pencher sur le miroir qui au-delà d’un simple objet représente également tout un symbole. Aussi nous analyserons tout d’abord l’importance de la représentation de l’intimité de la femme aimée en tant qu’élément central du poème. Puis, nous étudierons par quels procédés et quelles symboliques, l’auteur fait allusion, à cette période trouble et sombre qui le mine et le pousse, au-delà du désespoir, à la révolte et à la résistance. Dans ce poème qui comporte quatre quintiles et cinq distiques l’auteur met son lyrisme et sa plume au service de son amour pour sa muse et par là-même au service de la France. Dès le premier vers, nous constatons qu’Aragon utilise l’implicite pour évoquer la guerre qui fait rage. Afin d’éviter la censure, Aragon emploie des métaphores répétitives : « tragédie », (vers 1) (vers 5) (vers 8) (vers 17) (vers 21) (vers 25) « incendie », (vers 4) (vers 14) (vers 30) » maudit » vers 18) (vers 26) ; « elle martyrisait » (vers 12) (vers 16), » les feux » puis « ces feux » « les flammes « « mourir ». Par le choix du registre guerrier, Aragon dénonce subtilement les ravages et les meurtrissures subits. Les différentes répétitions renforcent l’image des horreurs engendrées par cette terrible guerre. Par ailleurs, de par la musicalité même du poème, nous noterons que l’auteur a mis tout son talent de poète lyrique au service de l’écriture qui s’inscrit dans un véritable travail de mémoire pour les générations futures. Il a choisi des rimes embrasées en A.B.B.A.A. pour la première et la troisième strophe ; et en B.A.A.B.B. pour la seconde et quatrième strophe. Ces rimes en « i » et en « oir » « tragédie »-« miroir »-« voir »-« incendie »évoquent pour la rime en « i » un son strident. Aragon l’utilise ainsi, pour le registre de la guerre. Quant à la rime en « oir » plus longue, elle nous fait penser à un temps plus long qui rappelle la longueur de ces journées interminables. La première partie du poème se démarque de par la longueur de ses strophes. La dernière partie, dont les versets sont des distiques avec des rimes sous la forme A.A.-B. B - A.A - A.B. -B.A. marque une rupture. Ce changement laisse à penser qu’Aragon réalise que malgré la beauté de sa muse et la grandeur de son amour, « Elle peignait ses cheveux d’or » « Ses patientes mains », la guerre et ses atrocités sont omniprésentes. » mourir » Les couplets reliés par l’anaphore du mot « et » (vers 23-26-27-28-29-30) amplifient cette sensation de succession de jours sanglants et interminables. Nous pouvons également relever la paronomase, c'est à- dire la proximité sonore entre "miroir" et "mémoire" qui, par leur association à la rime, suggère leur proximité sémantique. L’auteur veut donc sensibiliser le lecteur aux ignominies que vit le monde. En effet, le mot « miroir » qui revient de manière incessante est une métaphore de l’humanité. Il ne s’agit pas simplement de « son miroir » sous-entendu « son monde » mais également de « ce miroir » donc « ce monde ». En passant du déterminant possessif « son » au déterminant démonstratif » ce », Aragon souhaite exprimer sa solidarité envers un monde qui souffre. De même, les termes « Elle peignait » « le peigne » ressemblent à une lettre près au mot « peine » qui montrerait que la femme s’associe à la douleur du monde. Certes, le poète nous montre par cette oxymore « Qu’elle martyrisait à plaisir sa mémoire » que par un geste doux, des souvenirs funestes sont ravivés. Cependant, les antithèses suivantes : « patientes, calmer/ incendie », « jouer un air de harpe/ sans y croire », « ranimer l’incendie », « les fleurs/ de l’incendie », évoquent la solidarité et l’espoir. De plus, quand bien même, Aragon est malgré lui « spectateur », il n’en oublie pas moins « les acteurs » qui symbolisent ici les soldats et les résistants morts pour la France. Il leurs rend un vibrant hommage mis en relief par l’emploi du superlatif : « les meilleurs » et par l’antithèse « monde maudit ». Cette solidarité est également évoquée par cette souffrance, d’autant plus terrible, qu’elle s’inscrit dans la durée. Les indications temporelles vagues au début « Pendant un long jour » on ne sait pas de quel jour il s’agit, on en connaît uniquement sa longueur ; se précisent : « au beau milieu » laisse à penser que l’on serait au milieu de la guerre, amorce d’un espoir. Enfin « ce jeudi » suggère que l’espoir subsiste malgré l’adversité, puisque à l’époque, le jeudi était le jour de congé des écoliers et par extension jour de fête. Si ce poème invite le lecteur à la révolte et à l’indignation. Il est également un hommage aux victimes mortes pour défendre leur patrie et un chant d’espoir collectif. Même si l’Occupation, la guerre, ne sont pas énoncées, elles se reflètent dans le miroir. uploads/Litterature/ elsa-2.pdf
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- Publié le Aoû 29, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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