Prosopopéeduterroriste p r i è r e d ’ i n s é r e r Moi, MohamedMerah A l’invi
Prosopopéeduterroriste p r i è r e d ’ i n s é r e r Moi, MohamedMerah A l’invitation du «Monde des livres», l’écrivain Salim Bachi, auteur de «Moi, Khaled Kelkal», est entré dans la tête du tueur, mort le 22mars à Toulouse Jean Birnbaum V ous ne m’aurez pas vivant, je suis déjà mort,jeleuraiditàtous ces flics qui m’encer- clent et lancent leurs grenades contre les murs de l’appartement. A peine né, déjà crevé. J’ai commencé à disparaî- tre très jeune quand on me traînait devant les tribunaux. J’ai commencé par voler pour ne plus être le gentil gamin tout souriant tout beau arabe toujours poli merci monsieur au revoir madame vous avez raison allez vous faire foutre mesdames et messieurs les gens bien de préfé- rence nationale. J’ai trafiqué des scooters volés dans les quartiers huppés de Tou- louse, près du Capitole, la nuit, quandlesfilsàpapasegobergeaient, entourés de donzelles à la croupe rebondie, jolies meufs, affalés autour de comptoirs ou entrés dans des boîtes de nuit où j’étais refoulé unefoissurdeux,voiredeuxfoissur deux lorsque le videur, un putain de Black ou d’Arabe retourné comme ces paras de Montauban qui me res- semblaient et ne me ressemblaient pasetquej’aitrouépourleurappren- dre que nous n’étions pas du même monde àjamais séparésparlaported’une caserne, j’ai eu le temps de gamber- ger dans mon garage où je retapais des bagnoles cabossées comme mon âme, relevant des pare-chocs, redres- sant les ailes des anges de métal qui partiraient dans le jour rutilant et s’envoleraient vers un ciel vide et mort habité par un Dieu absent dont l’unique représentant a été jusqu’à présent Ben Laden, un grand mon- sieur qui savait ce qu’il voulait lui. A 16 ans, quand les autres pas- saient leur bac, je savais déjà maquillerunebécane,changersapla- que d’immatriculation, la repeindre aux couleurs de l’arc-en-ciel et de la libertébleublancrougeégalitéfrater- nitémonculfoutaisesmensongestar- tufferies. Je mettrai cette Ripoublique d’hypocrites àgenouxenmassacrant toussesenfants.Jerêved’unjoursans gloire où tout le monde tuera tout le monde, où Arabes et Juifs, Blancs et Noirs, se feront leur Afghanistan en direct au 20heures deClaire Chazal. Fatigue. Le RAID a plongé le quartier dans le noir pendant qu’ils me parlent, racontent qu’ils me veulent vivant, parlent, m’empêchent de dormir, mais je sais qu’ils ne désirent rien d’autre que de me mettre dans un trou, prison ou cercueil voilà la solu- tionauproblème finalqui leura sau- té à la gueule comme un Joker de mauvais film Batman Terminator Mortal Kombat superproductions avecforcefeuxd’artificesexplosions degratte-cielavions bourrésdekéro- sènequis’écrasents’embrasent dans une grande ville quel beau spectacle mesdamesetmessieurslesgensbien de préférence nationale dommage,jen’aijamaispupasser mon brevet d’aviatueur. Cela aurait étéd’uneautreclasse,commederou- lerenBMWmaisdanslecielsansnua- ges d’une matinée de septembre. J’adorais voler des grosses bagnoles et faire des rodéos aux Izards le jour de l’an. On filmait nos exploits, on se marrait, tout partait en fumée et on rentrait content à la maison dormir dans de beaux draps. Pourquoi vous avez fait ça, mon- sieur Merah, pourquoi? Je ne sais pas, dans le fond, je ne sais pas, j’avais envie de tout faire péter comme un gosse un peu mau- vais, un sale gosse, pour sûr. Donnez-moi vos avions et je vous donnerai mon scooter. Donnez-moi vosbombesetjevousdonnerailepis- tolet avec lequel j’ai tué ces gamins pour venger d’autres gamins tués par des paras israéliens ou français c’est la même chose vu du trou sans fond où l’on se trouve. J’ai rendu le mal pour le mal et je ne regrette rien nonjeneregretterienmauditechan- son qui rengaine dans ma tête pen- dant que ces enculés RAID dehors m’encerclent et que le téléphone sonne sonne je ne décroche pas qu’importequ’ilsaillentaudiables’il existe ou à Dieu puisque je suis un membre d’Al-Qaida, Rendez-vous nous ne vous ferons pas de mal, monsieur Merah Vous me foutrez au trou Vousbénéficierezd’une remisede peine, monsieur Merah, Ma peine je l’ai déjà purgée, ma peine c’est la mort, filmée ou cachée, j’ai failli ajouter, mais j’ai fermé ma gueule parce que je ne voulais pas parler pour ne rien dire fati- gué que j’étais les nerfs ten- dusetquej’avaismalaudos, mes yeux brûlaient comme les lampes à soudure du garageoùj’officiais avant de prendre les armes et de flin- guer ces militaires qui avaient ma gueule d’Arabe et ces gamins Israé- liens qui ressemblaient à des Palesti- niens qui ressemblaient à la bouillie sanglante qui hante mes nuits sans sommeil sans repos sans conscience pendant que je visionne ces ignobles vidéos de décapitations tortures exactions massacres charniers sur YouTube en boucle comme une phrase sans point final Je comprends vous ressentez de la colère dit le flic au bout de la nuit lui aussi Colère? Je ne ressens rien, j’en aurais tué plus si j’avais pu, 5 aLittérature étrangère L’amour baladeur d’Arthur Phillips 6 aHistoire d’un livre Immortel, enfin, de Pauline Dreyfus 7 aEssais Serge Audier observe les nébuleuses néolibérales 10 aRencontre William Marx secoue la tragédie antique U ne semaine après la mort de Mohamed Merah, policiers et journalistes s’efforcent de reconsti- tuer les motivations du tueur. Les écrivains, avec leurs outils et leurs techniques propres, peuvent-ils parti- ciper à l’enquête? En passant la conscience de l’assassin au scanner de la fiction, ont-ils la moindre chance d’éclai- rer ce qui s’est joué dans sa tête? De livre en livre, Salim Bachi répond «oui». Six ans après Tuez-les tous! (Galli- mard, 2006), où il faisait parler l’un des djihadistes du 11-Septembre, l’écrivain publie Moi, Khaled Kelkal (Gras- set, 140p., 15¤). Cette fois, il forge le monologue intérieur de celui qui, en 1995, fut «l’ennemi public numéro un», et dont la trajectoire offre plus d’un point commun avec celle de Mohamed Merah. Banlieue, délinquance, radica- lisation en prison et mort, à 24ans, sous les balles d’une unité d’élite… «On connaît le programme», ironise Kelkal dans cette prosopopée du terroriste, comme pour mettre en exergue un scénario atrocement convenu. «Je suis mort, et ma confession, c’est du vent», ajoute-t-il. Certes. Mais pour l’auteur, le vent de la littérature, le souffle de la fiction permettent de balayer l’idée que la haine demeure impénétrable. Un tel espoir habite encore le texte que nous publions aujourd’hui. Il s’agit de saisir la pulsion de mort à même les mots, d’intérioriser le déchaînement de la brutalité, la cérémonie de l’élimination, pour prendre en charge la part monstrueuse de l’âme humaine. Il s’agit aussi, sim- plement, de ne pas céder sur l’exigence de comprendre. Mais à trop vouloir comprendre, ne risque-t-on pas de banaliser, voire de justifier? C’est aussi la question que pose ce numéro du «Monde des livres». Voilà pourquoi, en contrepoint de la fiction signée Salim Bachi, nous publions les textes des écrivains Marc Weitzmann et Oli- vier Rolin. «L’explication généralise autant qu’elle ras- sure et, dans une certaine mesure, absout», affirme le pre- mier, tandis que le second crie son indignation face à toute tentative littéraire d’«apprivoiser l’ignoble». p 3 aTraversée Les Lumières mènent l’enquête 2 aLa «une», suite La littérature face au terrorisme: les textes d’Olivier Rolin et Marc Weitzmann 8 aLe feuilleton Jonathan Coe déçoit Eric Chevillard 4 aLittérature française Eric Fottorino raconte son Monde Il était une foi. Je rêve d’un jour sans gloire où tout le monde tuera tout le monde f i c t i o n Lire la suite page 2 Lire aussi, en pages «Société»: Sur les traces de Khaled Kelkal JESSY DESHAIS Salim Bachi écrivain Cahier du « Monde » N˚ 20899 daté Vendredi 30 mars 2012 - Ne peut être vendu séparément Laconcurrenceduterroristeetdel’écrivain Letempsdelaterreurestceluidudirect,pasdeslettres.Pourtant,lesromancierssonttenusd’échapperàlasidération U n point de vue d’écrivain sur le fameux Mohamed Merah? D’accord, je vais vous donner le mien, mais ce ne sera pas un point de vue mesuré. La réserve, la dignité, très bien, autant que vous voudrez, mais moi je ne suis pas un responsable. Je suis un citoyen lambda, et je crois qu’il est des circonstancesoù l’individu peut faire droit à l’émo- tion, où l’émotion est civique, où c’est le sang-froid qui serait in- congru. La révolte a le sang chaud. Ce ne sera peut-être même pas un point de vue d’écrivain. La littéra- ture,ceserapouraprès,éventuelle- ment. La littérature, c’est de la réflexionsurdel’émotion,ilyfaut les deux, la brutalité de l’émotion et le temps long de la réflexion, le sang chaud et le sang-froid, si l’un manque ça ne va pas, ça manque desouffle oude pensée.Nousn’en sommes pas là. Nous en sommes, j’ensuis,àl’effroi,c’estde çaqueje peux parler, pas plus. Quand je vois cette gueule de petit salaud hilare à la «une» de nos journaux, je suis horrifié. Je suis horrifié non seulement parce que cela existe, cette haine, mais parcequejesensmonter,souspré- texte de mesure, de dignité,de rai- son garder, de tas de «bonnes» intentions, une tentation de l’in- dulgence qui n’ose pas dire son nom. J’entends ce matin (lundi 26mars peu après 8heures, sur France Inter) Cécile Duflot expli- querdesapetitevoixpéremptoire quele«terreau»quiproduitcecri- minel «est alimenté par les politi- ques qui stigmatisent certaines communautés,cequidonneducré- dit au fanatisme religieux». D’où tire-t-elle ça, cette tordue méca- nique des passions noires, M me Duflot? (On sent que Dosto- ïevski ne doit pas être son auteur de chevet.) Je la cite elle, parce que je viens de l’écouter, mais beau- coup d’autres tiennent ce dis- cours, ou sont uploads/Litterature/ supplement-le-monde-des-livres-2012-03-30.pdf
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- Publié le Jul 20, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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