Unegauchesansboussole p r i è r e d ’ i n s é r e r Hoda Barakat Mont-Liban, mo
Unegauchesansboussole p r i è r e d ’ i n s é r e r Hoda Barakat Mont-Liban, monroman Chroniquemagistrale d’unvillagemaronite avantlaguerrecivile, «LeRoyaume decetteterre» explorelesorigines delaviolence Jean Birnbaum Catherine Simon D ’abord,àcausedelanei- ge, on pense à Bruegel l’Ancien, avec ses villa- geois qui dansent dans la campagne blanche. Ou à La Légende de GöstaBerling,delaromancièresuédoi- se Selma Lagerlöf. Un conte d’hiver, oui:LeRoyaumedecetteterre,cinquiè- meromantraduitenfrançaisdel’écri- vainde languearabeHoda Barakat, en a l’allure classique, presque surannée. Sauf que nous sommesau Liban, dans les hautes montagnes des chrétiens maronites; le récit démarre dans les années 1920, à l’époque du Mandat français, et s’achève au milieu des années1970,àl’oréedelaguerrecivile. Un roman historique, alors? Une parodie plutôt: les histoires ici racon- tées sont truffées d’erreurs, comme le sont les souvenirs d’enfance et les médisances de village. C’est l’un des coupsdegéniedecelivreprotéiforme, plongée quasi ethnologiqued’un écri- vain parmi les siens: tout y est véridi- que, rien n’est tout à fait vrai. On a beaucroiserlesombresdePétainetde Mussolini, celles du président Cha- moun ou du général de Gaulle, elles restent floues – simples repères chro- nologiques.Lesseulsvisagesqu’ondis- tingue, nets et nus, en gros plan, sont ceux des villageois: les paysans, les moinesetlesnonnes(italiennes),l’ins- titutriceNajibé,le jeuneKhalil qui«se soûle à l’arak» et «insulte la Vierge», Martha, qui rêve d’épouser un officier français, l’oncle Schéhadé, parti en Egypte retrouver une starlette, le cou- sinHanna,unmoinsquerien,quifinit par se marier avec la fille d’un mar- chand d’armes… Les seules histoires qu’onentend,cesontlesleurs:minus- cules, monstrueuses, quelquefois lumineuses, mais le plus souvent dures et grises, comme les pierres du Mont-Liban. Pour les raconter, Selma et Tan- nous, fille et fils de Mouzawaq – mon- tagnard à la voix divine, dont la mort tragique sert de prologue au livre –, se relaient, déroulant le cours de leur vie et de celle du village comme on le fait de tapis anciens. Dans les guerres picrocholines qui opposent, avec une violencefolle,telvillagemaroniteàtel autre, se devinent, arrivant à grands pas,l’explosiongénéralequivaembra- serleLibanaumilieudesannées1970. «J’aiessayéderemonterlafaille»,résu- me Hoda Barakat, qui a elle-même quitté Beyrouth et les bombes, ses enfants sous le bras, en 1989. A Paris, elle habite un immeuble modestede larue…des Partants.«Mes personnages sont plus ancrés que moi»,nousavait-elleconfié,ilyaonze ans (Le Monde du 21septembre 2001), après que son troisième roman, Le Laboureur des eaux, lauréat du prix NaguibMahfouzen2000,avaitététra- duit en français (chez Actes Sud, com- me tous ses livres). Jusqu’alors, les romans de Hoda Barakat se foca- lisaient sur un individu ou sur des couples d’individus: Khalil, le jeune homosexueldeLaPierredurire(1996), le duo déchiré des Illuminés (1999), Nicolas,l’ermitebeyrouthinduLabou- reur des eaux (2001) ou Wadî, l’amou- reux(d’unautrehomme)deMonmaî- tre, mon amour (2007). Dans Le Royaume de cette terre, il y a bien sûr le tandem fraternel de Sel- ma et Tannous. La première déploie toute son énergie pour conjurer le mauvaissortquimenacelafamille;le second, chanteur à la voix extraordi- naire, comme son père, est contraint de fuir le Liban, se réfugiant un moment à Alep, où il fera, auprès des Syriens, ces étranges étrangers, son apprentissaged’homme et d’artiste. Mais c’est le chaudron collectif du villagequi est le personnageprincipal duroman,sonmoteur– et sonfatum; en l’occurrence, la communauté très fermée des chrétiens maronites, dont Hoda Barakat est issue. Elle en fait un portrait cruel et tendre à la fois, sans concession.«C’estdufauxcollectif:au lieudesmaronites,onauraitpumettre des Kurdes d’Irak ou des chiites du Liban sud – tous ces micro-mondes fonctionnent de la même manière», explique la romancière en nous rece- vant de nouveau dans son apparte- ment de Ménilmontant. «Ce livre est dans ma tête depuis longtemps, ajou- te-t-elle.Jesavaisqu’ilmefallaitvieillir pour pouvoir l’écrire, c’est-à-dire ac- quérir la bonne distance.» Née en 1952, cette amoureuse de Proust, de Musil et des poètes arabes desIX eetX esièclesaentendu,petite,sa mère«lire le Coran à la maison», dans leur village du Mont-Liban, prenant ainsi le contre-pied des préjugés anti- musulmans de l’époque. Mais la lan- gue arabe de Hoda Barakat n’est pas, précisément,celle–sacrée–duCoran: elle n’y reste pas enfermée. Réinventantl’arabeclassique, dont elle joue en virtuose, la romancièrea su l’enrichir des particularités locales, ajou- tanticil’accentsyriaque,gref- fant là des mots de «l’arabe desmontagnes» libanaises, le mot «neige», par exemple, n’existant pas en arabe classique. Auteur de romans, mais aussi de piè- ces de théâtre, Hoda Barakat signe, avec Le Royaume de cette terre, l’un des textes les plus radicaux de son œuvrepionnière.p 8 aLittérature Francis Scott Fitzgerald dans «La Pléiade», Alejandro Zambra 10 aRencontre Eva Illouz, enquête d’amour 2 3 aDossier HISTOIRES DE LA GAUCHE Jacques Julliard, Denis Pelletier, Jean-Louis Schlegel, Alain Supiot S amedi 15septembre, à la Fête de L’Humanité, quelques dizaines de militants étaient venus protester contre la présence de la journaliste Caroline Fourest à un débat intitulé «Comment faire face au FN?». Se présentant comme des militants antiracistes, ils s’étaient rassemblés en scandant: «Fourest, fasciste, dégage!» Peu leur importait que leur cible se soit toujours réclamée, elle aussi, de la gauche antiraciste, et qu’elle ait souvent eu maille à partir avec le Front national: à leurs yeux, pas de doute, Fourest est «islamophobe» et «raciste». Après un moment de pagaille, le débat a fini par être annulé. Dans les vidéos qui ont ensuite circulé sur Internet, une scène retient l’attention. On peut y observer un militant d’âge mûr lancer aux perturbateurs, micro en main: «C’est la première fois qu’ici on arrive à faire arrêter un débat. Ce n’est pas dans notre culture à nous!» Quel était donc ce «nous» dont la culture se trouvait ainsi bousculée? Dans la bouche de l’orateur, ce «nous» était d’abord celui des «Amis de L’Humanité» qui organisaient la table ronde. C’était aussi, plus largement, celui d’une gauche qui voit vaciller ses repères et son vocabulaire, mais qui pense encore savoir ce que le mot raciste signifie. De ce troublepolitique et lexical, le philosophe Daniel Bensaïd(1946-2010), auquel est consacré un recueil d’hommage (DanielBensaïd, l’intempestif, sous la directionde François Sabado, La Découverte, 200p., 17¤) futl’un destémoins les plus affligés. «Le fondde l’air est bien plus opaque, la distinction entre amis et ennemis, bien plus obscure, écrivait-il en2005. Il ne se passe pas une semaine qui n’ajoute son grain de confusion (…). Comme lelaissaient déjàprévoir les polémiques autour du foulard islamique, les boussoless’affolent.» C’est donc le moment qu’a choisi «Le Monde des livres» pour consacrer un dossier de deuxpages à lacartographie dela gauche comme espace politique,comme tradition vécue.p 6 aLittérature Karen Russell, Patrick Roegiers Traduit de l’anglais par Gérard Meudal 736 pages, 24 € Plon www.plon.fr © Syrie Moskowitz LE livre le plus attendu de Salman Rushdie: récit unique de la vie d’un écrivain condamné par une fatwa, de son combat contre la peur et le terrorisme religieux, et pour la liberté d’expression. 4 aHistoire d’un livre Quand la lumière décline, d’Eugen Ruge 7 aLe feuilleton Eric Chevillard prendrait presque Philippe Delerm pour son beau-frère 9 aPolar Quand Kurt Wallander était optimiste 5 aLittérature Patrick Modiano, Aleksandar Hemon Livre protéiforme, plongée quasi ethnologique d’un écrivain parmi les siens Le Royaume de cette terre (Malakoutouhadhihi l’ard), d’Hoda Barakat, traduitdel’arabe(Liban)parAntoine Jockey,ActesSud,350p.,22,50¤. LEA CRESPI POUR «LE MONDE» Cahier du « Monde » N˚ 21054 daté vendredi 28 septembre 2012 - Ne peut être vendu séparément Yannick Grannec La Déesse des petites victoires Éditions Anne Carrière Photo © Bruno Charoy « La Déesse Des petites victoires est précisément ce que l’on appelle un roman épatant. » pierre assouline, La république des livres Homme de l’ombre En1956,pourGeorgesAlbertini, hommedegaucheàlatêted’une officineanticommuniste,ilparaît opportund’aiderfinancièrement lacampagnelégislativedeFrançois Mitterrand.Caravantdedevenir gaullisteaudébutdesannées1960, Albertinitentelongtempsd’in- fluencersesancienscamarades. JeunecadreprometteurdelaSFIO, néen1911,ilbasculaen1940etjoua unrôleconsidérablesousl’Occu- pation,assumantlesfonctionsde numérodeuxdupartiquefonda unautresocialiste,MarcelDéat, surlabased’unecollaboration activeaveclesnazis.Ceux-ci n’étaient-ilspasparvenusàsou- mettrelesforcesdel’économieet àéloignerlepérilcommuniste? N’étaient-ilspas,departetd’autre duRhin,frèresensocialisme? GeorgesAlbertiniavaitnourri avant-guerreunantilibéralismeet unantiparlementarismevirulents, marquésparunfortpacifisme. L’allianceavecl’Allemagneétaità sesyeuxunechancequelaFrance nedevaitpasmanquer.Desposi- tionsqui,aprèslaLibérationetun procèsauverdicttrèsclément,ne luivaudrontpourtantpasl’ostra- cismedelaclassepolitique.En 1983,c’estunhommedel’ombre maisinfluent,intégrédansdes réseauxdedroiteetdegauche,qui s’éteint.Cetteétonnantetrajectoire enapprendbeaucoupsurlesarca- nesdelapolitiquefrançaise. p J.Cl. aGeorges Albertini, socialiste, collaborateur, gaulliste, de Pierre Rigoulot, Perrin, 410p., 24,50 ¤. Compagnon de déroute Si l’on évoque et critique souvent l’anticommunisme des années 1970 – au point d’accorderaux «Nou- veauxphilosophes» un rôle historique démesuré –, les recherchessérieuses produites à gauchesur les causes internes de l’effondrement du Parti commu- niste français sont moins fréquentes.C’est un des méritesdu sociologue Jean Lojkine, encore proche du PCF, que de revenir minutieusementsur l’histoire de ce parti qui, dans sa phase d’ouverture des années 1960,voulait inventer un «socialisme aux couleurs de la France». On trouvera de nombreux éléments sur les idées des économistes du PCF – Pierre Boccara et Philippe Herzog –, sur la vision communistedes nationalisations,ou encore sur l’intégrationdu thème de l’autogestion.La thèse de Lojkine est sim- ple: le PCF n’est pas parvenu à sortir de la «matrice léniniste». S’il abandonne officiellement,en 1976, la «dictature du prolétariat», il ne renoncera pas au principedu «parti-guide avant-garderévolution- naire», et persistera dans son autoritarisme. Partisan d’unerefondation démocratiquedu communisme, indispensableface à la «logique de la rentabilité capitaliste», le sociologuesouligne que la révolution informationnelle,avec ses ambivalences,change la donne: les échecs et les promesses de la révolte inter- nationale des «indignés», qui a eu pour véhicule Internet,obligent à repenser le rapportentre les partispolitiques, les syndicatset les citoyens.p S.Au. aUne autre façon de faire de la politique, de Jean Lojkine, Le Temps des cerises, 236p., 18 ¤. A vec Les Gauches françaises, un impressionnant opus complété par une antholo- gie (La Gauche par les textes, avec Grégoire Franconie, Flammarion,458p.,22¤),Jac- ques Julliard s’impose un défi personnel autant que critique. Lui qui, à l’instar de touteunegénérationd’hommesetdefem- mesdelagaucheintellectuelle,avécuplu- sieurs vies, passant du uploads/Litterature/ supplement-le-monde-des-livres-2012-09-28.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 12, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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