Dossier négationnisme par J. Valjak et M. Argery L'Affranchi no 16 (printemps-é

Dossier négationnisme par J. Valjak et M. Argery L'Affranchi no 16 (printemps-été 1999) Source: http://direct.perso.ch/aff1601.html Voici un dossier consacré à un sujet pour le moins scabreux. Nous avons posé notre regard sur le curieux phénomène du négationnisme << de gauche ou libertaire >>. Cette aberration est particulièrement pénible, car si l'on comprend pourquoi l'extrême-droite essaie de nier ou de minimiser le génocide des Juifs durant la deuxième guerre mondiale, il semble invraisemblable que des gens du camp adverse défendent de pareilles idées. Même s'il est tout à fait marginal dans nos milieux, le révisionnisme ou négationnisme 1 y a une tradition, qui date, nous le verrons, des années cinquante. Inventé par un esprit dérangé, celui de Paul Rassinier, ce négationnisme << de gauche >> a rapidement attiré l'attention d'authentiques nazis qui ont su l'utiliser à leur profit. Ainsi, aujourd'hui encore, dans quelque officine borgne, de vieux crétins osent se prétendre anarchistes, alors qu'ils diffusent, entre quelques citations des classiques, des écrits racistes et antisémites parfaitement répugnants. Cette triste engeance serait peut-être tombée dans l'oubli si les thèses de Rassinier ne s'étaient pas refaites une nouvelle jeunesse dans les années soixante-dix, grâce à des individus issus du marxisme et jouissant, pour certains, d'une petite réputation dans le monde littéraire. Là non plus, il ne s'agit pas d'un mouvement important, ni même d'un groupe significatif, mais de quelques personnes qui ont su se faire une réputation sulfureuse et attirer l'attention des médias. Ces gens ne mériteraient sans doute pas beaucoup d'attention, s'ils n'étaient pas au centre d'une polémique qui divise profondément le mouvement antifasciste français. Les échos de cette affaire qui sont parvenus jusqu'à nous, nous ont profondément troublés. Le traitement désinvolte qu'en a fait Le Monde libertaire, dans un article signé Jean-Marc Raynaud, n'a pas apaisé notre inquiétude. Ce n'est pas en renvoyant dos à dos les individus qui essaient de cacher sous le tapis leur passé négationniste (Gilles Dauvé et Serge Quadruppani) et ceux qui les dénoncent (Didier Daeninckx, Alain Bihr, Thierry Maricourt, etc.), en les traitant au passage de << petits bourgeois néo- réformistes >> et en les accusant << de jeter l'opprobre sur (...) un mouvement libertaire ontologiquement insoupçonnable de toute complaisance envers la vérole révisionniste... >> 2, qu'on va résoudre le problème. Le fait de rappeler les nombreuses victimes libertaires du fascisme ou de déclarer qu'il y 1 Le qualificatif de négationniste convient mieux à ceux qui nient la réalité de l'extermination des juifs d'Europe durant la deuxième guerre mondiale, que celui de révisionniste dont ils s'affublent. Ces gens-là prétendent que les historiens révisent périodiquement leurs théories, ce qui est vrai : de nouvelles interprétations du passé sont fréquentes, des éléments nouveaux peuvent aussi modifier notre vision des choses, mais cela ne signifie pas que l'on puisse nier les faits avérés et raconter n'importe quoi. 2 J.-M. Raynaud, Révisionnisme, négationnisme... Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ! in Le Monde libertaire no 1091 du 11 au 17 septembre 1997. a beaucoup plus de fascistes camouflés au sein des autres courants politiques de droite et de gauche, ne nous dispense pas non plus de faire le ménage chez nous. Or, la petite étude nécessairement incomplète que nous avons réalisée, montre que la pénétration dont certaines organisations libertaires ont été victimes ne peut être considérée comme un << épiphénomène >> négligeable. Le savoir, expliquer précisément ce qui s'est passé dans tel ou tel cas, n'est pas un aveu de faiblesse, mais constitue, à nos yeux, un avertissement pour l'avenir. Parce que nous refusons les explications simplistes du genre : << les extrêmes se rejoignent >>, ou << c'est une manipulation des réformistes pour affaiblir les révolutionnaires >>, nous avons essayé de comprendre ce qui a bien pu se passer. Comprendre pour nous ne signifie évidemment pas accepter ou partager, mais expliquer. Un raisonnement, fut-il aberrant, a sa logique qui peut séduire certains, notamment des << intellectuels >> anticonformistes à la recherche d'idées << inédites >>. En << déconstruisant >> un discours, en écoutant comment certains, avec le recul, essaient de justifier leur dérive, on se fait une idée de ce qui a pu leur arriver. Il y a sans doute des leçons à tirer de cette lamentable histoire. D'abord que certaines sectes << gauchistes >> ou << libertaires >> ont tendance à vivre dans un monde imaginaire. Leurs membres essaient certes d'échapper à l'idéologie dominante, aux idées reçues, aux mensonges de la presse et de l'histoire officielle... mais ces efforts ne les empêchent pas de tomber dans un univers de chimères où la parole d'un chef, d'un maître à penser, remplace le libre arbitre et la recherche de la vérité. Il n'y a pas de recette miracle permettant d'éviter les aberrations que nous allons décrire. Mais savoir comment de telles dérives furent possible devrait, nous l'espérons, rendre nos lecteurs attentifs et méfiants vis-à-vis des explications trop faciles et prétendument << ultra-subversives >> que certains charlatans de la pensée essayeront certainement, une fois ou l'autre, de leur vendre. Paul Rassinier , le père du << révisionnisme >> A l'origine du courant << négationniste >> on trouve un personnage sur lequel il faut s'arrêter : Paul Rassinier. Pacifiste intégral, militant communiste, socialiste, puis anarchiste, Rassinier allait mener une double vie, dans les années cinquante-soixante, en écrivant aussi bien dans des journaux de gauche, pacifistes et anarchistes que dans des publications d'extrême-droite. Cette double identité l'accompagna jusque dans sa mort, en juillet 1967, à l'occasion de laquelle il y eut deux oraisons funèbres : l'une fut prononcée à Paris par l'écrivain fasciste Maurice Bardèche devant un parterre d'extrême- droite ; l'autre, lue au cimetière de Brémont (T erritoire de Belfort), était de la plume du vieux camarade pacifiste Emile Bauchet qui s'exprimait << au nom de ses amis socialistes et pacifistes >> 3 3 <<Paul Rassinier>>, Lectures Françaises 124-125, août-sept. 1967, cité in Florent Brayard, Comment l'idée vint à M. Rassinier. Naissance du révisionnisme, Paris, Fayard, 1997. Lorsque nous nous sommes penchés sur le cas Rassinier, nous avons surtout consulté Comment l'idée vint à M. Rassinier de Florent Brayard. Nous étions déjà étonnés de voir qu'un ouvrage aussi détaillé ait été réalisé sur les livres, les articles et la correspondance de ce vaniteux 4 qui, malgré ou à cause de son expérience de la déportation, s'était enfoncé dans l'erreur... dans l'abjection négationniste. Ainsi, nous sommes encore plus surpris de découvrir, au moment d'achever ce dossier, qu'une seconde biographie de Rassinier vient de paraître. L'ouvrage de Nadine Fresco, que nous n'avons fait que survoler, apparaît comme un monument d'érudition. Plutôt que d'étudier à fond son << oeuvre >>, comme l'a fait Brayard, Fresco s'est efforcée de comprendre le contexte qui a permis la Fabrication d'un antisémite. Elle a consulté de très nombreux témoins et nous ne pouvons que conseiller la lecture de son ouvrage 5. Pourtant, nous sommes restés sur notre faim sur un point précis qui reste en partie à résoudre : comment la dérive de Rassinier a pu se poursuivre et faire des émules, sans qu'une réaction rapide, forte et surtout définitive ne se manifeste dans les courants pacifistes et libertaires qu'il fréquentait. Résistant non-violent, Rassinier fut arrêté par la Gestapo en novembre 1943, torturé (il eut un rein éclaté et fut déclaré invalide à la libération), il fut déporté à Buchenwald puis à Dora où il passa 14 mois. Son séjour en camp de concentration fut particulier, atypique, car Rassinier allait y passer plusieurs mois à l'infirmerie : une chance rarissime due semble-t-il à la compassion d'un médecin hollandais. Il paraît avoir aussi bénéficié d'une << planque >> comme ordonnance d'un officier SS. Faut-il parler à son propos de << syndrome de Stockholm >> 6 ? En tout état de cause quand, à partir de 1949, il se met à écrire des livres sur son expérience de la déportation, il tend à minimiser la responsabilité des nazis, en faisant reposer l'essentiel des horreurs des camps sur les Kapos 7, notamment les Kapos membres du parti communiste. Rassinier était-il aveuglé par son expérience personnelle des camps ? 8 Etait-il victime de son anticommunisme viscéral ? Exclu du PC en 1932, il devint alors socialiste. Elu à la deuxième Constituante de 1946 pour la Fédération socialiste du T erritoire de Belfort, il fut battu, lors de l'élection suivante, par le radical Pierre Dreyfus-Schmidt allié aux communistes... D'un autre côté, le pacifiste Rassinier considérait comme une attitude belliciste le fait d'accabler l'Allemagne. Il pensait que la situation était semblable à celle qui avait suivi la guerre de 14-18 et qu'il fallait tourner la page pour éviter un nouveau conflit mondial. Les doutes que Rassinier manifeste vis-à-vis des chambres à gaz jouent un rôle mineur dans ses premiers écrits. D'abord, il ne nie pas leur existence, il minimise : << Mon opinion sur les chambres à Gaz ? Il y en eut : pas tant qu'on 4 Sur la personnalité de P. Rassinier on peut lire aussi le témoignage de Guy Bourgeois, <<Rassinier et le mouvement libertaire>> in Georges Fontenis, L'autre uploads/Litterature/ dossier-negationnisme.pdf

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