Perspective Actualité en histoire de l’art 1 | 2013 Période moderne/Époque cont

Perspective Actualité en histoire de l’art 1 | 2013 Période moderne/Époque contemporaine Atlas : pour une histoire des images « au travail » Atlas: for a history of images “at work” Teresa Castro Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/perspective/1964 DOI : 10.4000/perspective.1964 ISSN : 2269-7721 Éditeur Institut national d'histoire de l'art Édition imprimée Date de publication : 30 juin 2013 Pagination : 161-167 ISSN : 1777-7852 Référence électronique Teresa Castro, « Atlas : pour une histoire des images « au travail » », Perspective [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 30 décembre 2014, consulté le 01 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ perspective/1964 ; DOI : https://doi.org/10.4000/perspective.1964 161 actualité PERSPECTIVE 2013 - 1 Atlas : pour une histoire des images « au travail » Teresa Castro – Atlas ¿Cómo llevar el mundo a cuestas?/Atlas: How to Carry the World on One’s Back?, Georges Didi-Huberman éd., (cat. expo., Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina ­ Sofia/Karlsruhe, ZKM-Museum für Neue Kunst/Ham- bourg, Sammlung Falckenberg, 2010-2011), Madrid, Tf Editores/Museo Reina Sofía, 2010. 428 p., fig. en n. et b. et en coul. ISBN : 978-84-8026-428-0 ; 45 €. – Lorraine Daston, Peter Galison, Objectivité, Dijon, Les presses du réel, 2012. 576 p., 125 fig. en n. et b. et 22 en coul. ISBN : 978-2-84066-334-8 ; 28 € [éd. orig. : Objectivity, New York/Cambridge (MA), Zone Books/MIT Press, 2007]. – Georges Didi-Huberman, Atlas, ou le gai savoir inquiet, (L’Œil de l’histoire, 3), Paris, Les Éditions de Minuit, 2011. 384 p., 73 fig. ISBN : 978-2-70732-200-5 ; 29,40 €. – Aby Warburg, Atlas Mnémosyne, avec un essai de ­ Roland Recht, Paris, L’Écarquillé/Institut national d’histoire de l’art, 2012. 197 p., ISBN : 978-2-9540134-3-5 ; 45 €. L’idée d’« atlas » connaît depuis plusieurs années une popularité inédite, à la fois dans le contexte des études visuelles et dans le domaine de l’art contemporain. En France, ceci est partiellement dû à la redécouverte des travaux de l’historien de l’art allemand Aby Warburg (1866-1929) et en particulier de son fameux Atlas Mnémosyne, le dispositif avec lequel l’histo- rien de l’art allemand voulait surprendre, dans son mouvement discontinu, la « migration des images » (Bilderwanderung) et la « survivance de l’Antique » (Nachleben der Antike ; fig. 1). Quelques projets artistiques contemporains se sont également approprié le terme, en explo- rant consciemment la dimension procédurale de l’atlas en tant que collection d’images et en mettant en évidence ce qu’on pourrait appeler sa vocation archivistique. Évoquons à ce propos, et parmi d’autres exemples possibles, le très célèbre Atlas de l’artiste allemand Gerhard Richter, une vaste collection d’images, essentiellement pho- tographiques, amassées par l’artiste depuis les années 1960 et régulièrement exposées tout au long de sa carrière. Constituant les sources d’une partie importante de son travail, ces images ont par ailleurs été publiées sous forme de livres 1. Chacune des publications examinées ici contribue, de façon différente, à faire avancer un chantier de recherche très particulier, à la croisée de l’histoire des sciences, de l’art et des images, mais aussi de l’histoire du livre et des mises en scène du savoir. Il s’agit d’interroger la notion même d’atlas comme forme spécifiquement vi- suelle du savoir. Cette question est frontalement adressée par Georges Didi-Huberman dans son Atlas, ou le Gai Savoir Inquiet (Didi-Huberman, 2011), ouvrage qui reprend le texte introductif du catalogue de l’exposition Atlas ¿Cómo llevar el mundo a cuestas?/Atlas: How to Carry the World on One’s Back?, présentée par l’auteur entre no- vembre 2010 et février 2011 au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid, puis sous une forme modifiée au ZKM-Zentrum für Kunst und Medientechnologie à Karlsruhe et à la Sammlung Falckenberg à Hambourg entre mai et novembre 2011 (Atlas, 2010). Phénomène cartographique remontant au xvie siècle et renvoyant à un ensemble de cartes réunies selon un plan préconçu et visant une forme d’exhaustivité, l’atlas s’ouvre, au moins depuis le xviiie siècle, à d’autres champs du savoir. Il devient alors, comme le signalent les historiens des sciences Lorraine Daston et Peter Galison dans leur livre Objectivité, une catégorie éditoriale traversant les domaines les plus divers : on publie des atlas astronomiques, botaniques, zoologiques et anatomiques avant que d’autres sciences, 1. Planche 41a de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg, « Pathos de la douleur. Mort du prêtre », dans Warburg, 2012, p. 131. époque contemporaine 162 actualité PERSPECTIVE 2013 - 1 comme l’anthropologie, l’histoire de l’art ou la physique, ne s’emparent de cet outil. Le mot désigne désormais des recueils d’images et de documents graphiques, organisés sous forme de planches et joints à un ouvrage pour en faciliter la compréhension, la collection de planches constituant un parcours plus ou moins exhaustif d’un domaine. En termes matériels, l’atlas prend ainsi, et habituellement, la forme d’un livre ma- niable et consultable. Si on ne saurait le réduire à ce format particulier 2, il est néanmoins impos- sible de retracer son histoire sans passer par celle, plus vaste, du livre en tant qu’objet technique et de la reproduction mécanisée des images en tant que phénomène aux conséquences épisté- miques. L’Atlas Mnémosyne de Warburg – dont la publication pour la première fois en français et en édition intégrale (Warburg, 2012) ne peut qu’être vivement saluée – illustre parfaitement ce dernier aspect, tout en posant la question des rapports entre la forme atlas et d’autres espaces de mise en scène du savoir, comme celui de la biblio­ thèque. S’il est à peine nécessaire de rappeler à quoi ressemble globalement ce projet iconique, sur lequel la bibliographie est de plus en plus vaste, la reproduction de l’en- semble des planches – ainsi que la traduction de l’« Introduction à l’Atlas Mnémosyne » par Aby Warburg lui-même – est un événement éditorial important. Une forme spécifiquement visuelle du savoir Les atlas, en particulier celui de Warburg, consti- tuent depuis longtemps l’un des principaux objets d’études de Didi-Huberman. L’exposition qu’il a conçue pour le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía fut l’occasion pour l’historien de l’art de rédiger un long essai sur les dimensions esthé- tiques et épistémiques de cette « forme visuelle du savoir » et cette forme « savante­ du voir » (Didi-Huberman, 2011, p. 12). Le texte publié en 2011 aux Éditions de Minuit est une reprise à l’identique de celui publié en espagnol et en anglais dans le catalogue de l’exposition. On se reportera à ce dernier pour une liste complète des œuvres présentées et de leurs reproductions, ainsi que pour la consultation de trente-six planches d’images, pensées par Didi-Huberman comme des « parcours dans l’histoire de l’atlas » (fig. 2). La question posée par l’auteur au début de son essai n’est pas exactement celle de savoir ce qu’est un atlas, mais plutôt de déterminer ses usages. Selon Didi-Huberman, l’atlas, contrai- rement à d’autres livres constitués de pages de texte plutôt que de tables d’images, ne serait pas fait pour être « lu » mais pour être arpenté du regard. Livre d’images pas tout à fait comme les autres, l’atlas correspondrait ainsi à un outil spécifiquement visuel dont le moteur serait l’imagination : une forme de « connaissance traversière » fondée sur la « puissance intrin- sèque de montage qui consiste à découvrir […] des liens que l’observation directe est incapable de discerner » (Didi-Huberman, 2011, p. 13). Il s’agit, par la suite, d’explorer et d’analyser cette forme de connaissance par l’imagination dont le paradigme serait, précisément, l’Atlas Mnémosyne de Warburg. Véritable objet théorique de Didi-Huberman, Mnémosyne est l’exemple ma- triciel à partir duquel il développe sa réflexion sur les enjeux et les spécificités de la forme atlas, en se proposant à la fois de sonder son archéo- logie et d’explorer son héritage esthétique et épistémique. L’apport du projet warburgien ne 2. « Trente- trois parcours dans l’histoire de l’atlas », dans Atlas..., 2010 : a. « La table de l’ana- tomiste », pl. 8 ; b. « L’anthro­ pologie par l’image », pl. 33. Atlas : images « au travail » 163 actualité PERSPECTIVE 2013 - 1 serait pas des moindres : il aurait « inventé une forme, une nouvelle façon de disposer les images entre elles » et inauguré « un nouveau genre de savoir » (Didi-Huberman, 2011, p. 20). L’on retrouve deux des fils rouges du travail de l’au- teur : la question du montage et le problème de l’imagination comme forme de la connaissance. Dans la perspective d’une histoire trans- disciplinaire de l’atlas en tant qu’instrument ou technologie intellectuelle, la contribution de Didi-Huberman, tout en soulevant des problèmes complexes, réussit magistralement à mettre l’accent sur quelques aspects importants de la question. L’auteur souligne notamment l’importance de la dimension matérielle de cette forme visuelle de la connaissance, discutée lors de son examen des planches de l’atlas comme table de montage. Si celles-ci s’avèrent être un instrument heuristique capable d’accueillir des éléments hétérogènes, de donner forme à des relations multiples et de faire voir autrement, les contraintes matérielles du dispositif (son support, sa façon de disposer, de présenter et d’exposer les images, etc.) sont des éléments uploads/Litterature/ perspective-1964.pdf

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