Annales littéraires de l'Université de Besançon Un Phrygien à Dyrrhachion Pierr
Annales littéraires de l'Université de Besançon Un Phrygien à Dyrrhachion Pierre Cabanes Citer ce document / Cite this document : Cabanes Pierre. Un Phrygien à Dyrrhachion. In: Mélanges Étienne Bernand. Besançon : Université de Franche-Comté, 1991. pp. 55-60. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 444); https://www.persee.fr/doc/ista_0000-0000_1991_ant_444_1_2793 Fichier pdf généré le 06/05/2018 UN PHRYGIEN À DYRRHACHION Pierre CABANES Il m'est agréable de donner cette contribution aux Mélanges préparés en l'honneur d'Étienne BERNAND, qui a bien voulu, jadis, s'intéresser à l'Épire, en participant à mon jury de thèse à la Faculté des Lettres de Besançon, qui a été son Université durant bien des années. C'est la préparation du Corpus des inscriptions grecques d'Illyrie méridionale et d'Épire qui me fournit l'inscription susceptible de rejoindre ses propres centres d'intérêt. Que le lecteur malveillant ne voit pas dans ce choix d'une épitaphe quelque intention perverse de ma part ; je souhaite longue vie et travail fructueux à Etienne BERNAND, mais il sait, comme tout épigraphiste, la richesse des inscriptions funéraires. Cette inscription, déposée aujourd'hui au Musée archéologique de Tirana, inv. 1848, est gravée sur une grande plaque de calcaire blanc, qui a été l'objet d'une trouvaille fortuite en 1957 ; dim. : 52 χ 47 χ 6,5 cm. ; h.l. : 2 - 3 cm. ; forme des lettres : A, c, ε, ω ; elle figurera dans le Corpus des Inscriptions de Dyrrhachion sous le numéro 58. νΕνθα με τον Μάρκοιο | Προυμ(ν)ασσέα Ζωτικόν υία | γη κατέχει Μακεδών | κλώσμασι μοιριδΐοις* II 5 γεννητον Φρυγΐη, τέλος | £λλαχε Δυρρακέη χθών | εί 8έ τις ήμέτερον τΰμβον | σ(τ)ηλλην τε θελήση σκυλαι | έν άλλοδαπή τοϊα ΤΕΚΗΚΑΟ || 10 fôoi" ζήσας έίτη ιε'. | Υγίαινε παροδειτα. "Ici, moi, Zôtikos de Prymnessos, fils de Markos, la terre de Macédoine me retient par les arrêts du destin ; la terre de Phrygie m'a reçu à la naissance, celle de Dyrrhachion à la fin ; si quelqu'un voulait piller notre tombe et notre stèle, en terre étrangère qu'il voit (pour ses enfants de tels vols) (?) ; j'ai vécu quinze ans. Porte-toi bien, passant". Ce texte poétique, très intéressant, pose encore bien des problèmes : - 1. 1 : Μάρκοιο est, ici, un génitif homérique, qui n'est pas étonnant en poésie. - 1. 2 : cette ligne contient le nom du défunt et son ethnique ; il s'appelle Zôtikos, qui est un nom connu en Phrygie 56 (cf. J. et L. ROBERT, Bull, épigr., 1963, 35 à Aphrodisias, 1964, 596 dans une épitaphe de Lycaonie, 1971, 640 dans une inscription de Hiérapolis, 1972, 468 et 473, 1976, 492, 1977, 292 et 419 p. 396) ; le nom est aussi présent en Cyrénaïque et dans les îles (cf. P.-M. FRASER - E. MATTHEWS, A Lexicon of Greek Personal Names, I, p. 198) ; dans ΜΑΜΑ VII, on compte quinze Zôtikos et 28 Markos. Le nom est précédé de l'ethnique qui se lit sur la pierre nPOYMIAcceA que nous corrigeons en Προυμ(ν)ασσέα, car il s'agit certainement de la cité de Prymnessos en Phrygie, son pays natal, comme le précise la ligne 5. - 1. 3 : la mention de la terre macédonienne, qui, à la ligne 6, est la terre de Dyrrhachion, permet d'affirmer que l'inscription date de l'époque durant laquelle Dyrrhachion est rattachée à la province de Macédoine, avant la fondation de la province dEpirus nova par Dioclétien en 284. - 1. 5 : faut-il écrire γεννητόν, qui devrait être suivi d'un génitif (fils de la Phrygie), ce qui n'est pas le cas ici, mais ce sont bien les lettres que porte la pierre, ou faut-il corriger en γεννηθ ' δν (qu'a engendré la Phrygie) ? Le sens n'est pas douteux et ce ne serait pas le seul endroit où la lecture de la pierre rend nécessaire des corrections ou des ajouts (cf. lignes 7, 8, 9). - 1. 6 : Δυρρακέη au lieu de la forme normale Δυρραχηνος ou Δυρραχηνός ou Δυρράχιος. - 1. 7 : le dernier mot paraît amputé de sa première lettre, qui a été, semble-t-il, rajoutée sous la forme d'un trait entre Ν et Y ; le sens, là encore, n'est pas douteux. Cette ligne est le début de la formule de malédiction funéraire, très caractéristique de la région de Phrygie, et qui est transportée jusqu'aux rives de l'Adriatique pour la sépulture de ce jeune Zôtikos de Prymnessos mort à quinze ans, bien loin de sa terre natale (cf. sur ces malédictions, L. ROBERT, Malédictions funéraires grecques, Comptes rendus Acad. Inscr., 1978, p. 242-289 repris dans Opéra Minora selecta, V, p. 697-745) : l'auteur souligne, p. 253 : "En effet la Phrygie est le domaine par excellence des imprécations funéraires" et il fournit de nombreux exemples de ces malédictions dont les termes sont souvent plus violents que ceux que nous rencontrons ici. - 1. 8 : la pierre porte nettement CIHAAHN qui doit être corrigé en σ(τ)ήλλην : sont visés dans cette malédiction à la fois les auteurs de dégâts à la tombe et ceux qui porteraient atteinte au 57 monument lui-même, à la stèle. Sur les verbes σκυλδν, σκύλλειν et leur emploi en Phrygie voir L. ROBERT, ibid., p. 271-274. - 1. 9 : elle est sans doute la ligne la plus difficile en raison d'abréviations utilisées en bout de ligne ; le sens n'est pas douteux, il s'agit de souhaiter pour le malfaiteur qui porterait atteinte à la tombe et au monument qu'il voit έν άλλοδαπη, en terre étrangère, la vengeance des dieux : celle-ci est définie dans les derniers mots de la ligne qui sont ainsi écrits ΤΟΙΑΤΕΚΗΚΛΟ, aves ligature entre H et Κ ; il paraît possible de lire, d'abord, le mot TOIA, qui peut être suivi de l'abréviation τέκ(νοις) qui vise donc les enfants du malfaiteur, ce qui est courant dans ces malédictions ; il est vrai qu'une autre coupe serait imaginable, en lisant TOI ATEK, ce qui renverrait au terme, courant à Bouthrôtos et à Dodone, d 'ateknos, c'est-à-dire qu'on souhaiterait au pilleur de tombe de n'avoir aucun enfant, mais cette solution a l'inconvénient de laisser sans explication les trois lettres qui suivent. Restent les lettres ΚΛΟ, qui doivent être une abréviation, probablement d'un mot au neutre pluriel comme κλο(πεία), qui signifie qu'on souhaite au malfaiteur de voir de tels vols atteindre la sépulture de ses enfants ; on pourrait aussi penser au mot κλο(ιά) signifiant carcans, colliers de chiens, mais cette forme du pluriel n'est pas courante. D. FEISSEL ajoute les remarques suivantes : "Les lignes 1-10 forment un distique suivi de deux hexamètres" et il propose la présentation adoptée ci -dessus du texte gravé sur 10 lignes ; "la métrique n'est pas mauvaise, sauf, 1. 1 Μάρκοιο, il fallait Μάρκου mais l'auteur a préféré la couleur homérique à la prosodie". "Le vers 3 (1. 5-6) est d'une syntaxe difficile mais il me semble que Φρυγ{η et Δυρρακέη sont deux épithètes au nominatif (que le premier soit substantive ne changerait rien à la construction) qualifiant χθών. J'indique par une virgule l'antithèse et je traduirais tant bien que mal : "La terre de Phrygie m'a reçu à la naissance, celle de Dyrrachium à la fin". Mieux vaudrait peut-être νέκυν £λλαχε, mais ce n'est pas à nous de récrire l'épigramme". "Quant au vers 4, je remarque seulement que les syllabes énigmatiques sont compatibles avec l'hexamètre. Peut-être est-il permis malgré cela d'y voir un ou deux mots abrégés : τέκ(να) est tentant, mais faute d'une solution globale je crois préférable de laisser en majuscules le passage litigieux". 58 "Deux mots de commentaire. L'onomastique est banale, mais "épichorique". Proumnasseus a un vocalisme intéressant que je ne puis expliquer mais que la métrique seule n'exigeait pas. En revanche, l'ethnique insolite de Dyrrachium peut être dû à la nécessité d'éviter Δυρραχηνός, qui n'est pas dactylique. La forme de l'épigramme n'a rien d'original, noter Xincipit v Ενθα με en Phrygie (PEEK 966) mais aussi à Rome (MORETTI, IGUR ΠΙ, 1252) ; κλώσμασι μοιριδΐοις également à Rome (ibid. 1208, 10)". Cette épitaphe fournit un témoignage remarquable de la mobilité des habitants de l'Empire qui, dès leur jeune âge, voyagent du cœur de l'Anatolie jusqu'aux rives de l'Adriatique. La "taverne de l'Adriatique", selon les termes utilisés par Catulle 36 pour désigner la cité de Dyrrhachium, accueille sur ses quais des marchands de tout le bassin oriental de la Méditerranée, qui viennent y échanger leurs produits, avant de passer vers l'Italie et vers les ports gaulois ou hispaniques. Zôtikos devait accompagner son père dans une traversée vers Dyrrhachion ; la maladie, ou l'accident l'a emporté, mais son épitaphe témoigne du souci du respect de sa sépulture et porte les malédictions si caractéristiques des tombes de Phrygie, sa terre natale. Inscription de Zôtikos de Prymnessos Musée archéologique de Tirana, inv. 1848. uploads/Litterature/ un-phrygien-a-dyrrhachion-cabanes-1991.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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