RevuedesÉtudesByzantines 75, 2017, p. 151-175. doi : 10.2143/REB.75.0.325129

RevuedesÉtudesByzantines 75, 2017, p. 151-175. doi : 10.2143/REB.75.0.3251290 © Peeters Publishers, 2017. Tous droits réservés. UNE QUESTION DE FILIATION ENTRE TROIS LIVRES DE JOB BYZANTINS COMMENTÉS ET ILLUSTRÉS (Hierosolymitanus S. Sepulchri 5, Paris. gr. 135, Oxoniensis Laud. gr. 86) Jeanne DEVOGE La reconstitution des filiations iconographiques entre manuscrits illustrés, une tentative récurrente dans le domaine de l’histoire de l’art, ressemble souvent à une quête semée de colophons effacés ou inexistants, de repro- ductions incomplètes, de datations floues et de modèles fantômes qui auraient comblé les lacunes entre les manuscrits conservés et permis aux traditions iconographiques d’évoluer lentement mais sûrement au fil des siècles. Cette recherche a été menée à plusieurs reprises au sein d’un corpus particulier de manuscrits dans le monde byzantin, les Livres de Job com- mentés et illustrés, dont quinze exemplaires sont aujourd’hui identifiés dans diverses bibliothèques du monde entier1. Paul Huber a ainsi élaboré en 1986 un ouvrage sur les Livres de Job illustrés2, non seulement sur les plus anciens (Patmiacus 171, Vaticanusgr. 749, Marcianusgr. Z 538, Sinaiticus 1. Patmos, Monè tou Hagiou Iôannou tou Théologou, gr. 171 (7e-8e s.) ; Città del Vati- cano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. gr. 749 (8e-9e s.) ; Venezia, Biblioteca Nazionale Marciana, gr. Z. 538 (début du 10e s.) ; Sinaï, Monè tès Hagias Aikatérinès, gr. 3 (11e s.) ; Città del Vaticano, BAV, Pal. gr. 230 (11e s.) ; Città del Vaticano, BAV, Vat. gr. 1231 (début du 12e s.) ; Athèna, Buzantino kai Christianiko Mouseio, BM 2781 (Pallas 164, 12e s.) ; Hagion Oros, Monè Batopédiou, 590 (12e s.) ; Hagion Oros, Monè Mégistès Lauras, Β 100 (13e s.) ; Oxford, Bodleian Library, Barocci 201 (fin 12e-début 13e s.) ; Città del Vaticano, BAV, Vat. gr. 751 (12e-13e s.) ; Paris, BnF, gr. 134 (13e-début 14e s.) ; Jérusalem, Patriarchikè bibliothèkè, Panaghiou Taphou 5 + Sankt-Petersbourg, Rossijkaja Nacional’naja biblioteka, Ф. No 906 (Gr.), 382 (13e-début 14e s.) ; Paris, BnF, gr. 135 (1361-1362) ; Oxford, Bodleian Library, Laud. gr. 86 (milieu du 16e s.). 2. P. HUBER, Hiob :DulderoderRebell ?ByzantinischeMiniaturenzumBuchHiobin Patmos,Rom,Venedig,Sinai,JerusalemundAthos, Düsseldorf 1986. 152 JEANNE DEVOGE gr. 3), mais également sur d’autres manuscrits postérieurs, tels les Hiero- solymitanusS.Sepulchri 5, Vaticanusgr. 1231, Vatopedinus 590. Parmi d’autres travaux importants consacrés aux Livres de Job illustrés3, la publi- cation posthume de Stella Papadaki-Oekland (2009) présente les résultats d’une longue recherche sur les liens iconographiques entre les manuscrits du corpus, excepté les deux plus récents – Parisinusgr. 135 et Oxoniensis Laudianusgr. 86 – considérés comme trop différents des autres pour être inclus dans l’étude4. Même en tenant compte des remarques paléographiques sur les styles d’écriture dans les Livres de Job, utilisées la plupart du temps comme moyen de datation, les historiens d’art délaissent souvent l’aspect codicologique des manuscrits et en particulier la mise en page de l’image et du texte, aussi bien celui de Job que celui des commentaires. Pourtant la place de l’illustration au sein d’un folio où les commentaires accompagnent le texte de Job donne des indications précieuses sur la filiation des manuscrits et la transmission des modèles. De même, les conséquences de la présence des commentaires sur les illustrations n’ont pas été évaluées à leur juste mesure : peut-on réellement parler d’une dépendance directe de l’image par rapport aux citations qui expliquent le texte de Job ? Les commentaires sur le Livre de Job n’ont été étudiés dans le détail que dans le domaine philologique : Dieter et Ursula Hagedorn ont ainsi tenté de reconstituer la chaîne initiale sur le texte de Job à l’aide de nombreux témoins, tout en constatant des divergences suffisantes dans les commentaires pour créer différentes familles de chaînes5. Nous nous proposons de croiser ces différentes approches afin de démon- trer les liens généalogiques entre trois manuscrits du corpus : le Paris. gr. 135, le Laud.gr. 86 et le Taphou 5. Ce dernier comprend 260 folios de parchemin et mesure 370 × 265 mm. La mise en page, en couronne, présente 117 illustrations sur fond doré et compte 33 lignes à la page. Selon Boris L. Fonkič et Panagiotès Vocotopoulos6, le Taphou 5 aurait été fabriqué dans 3. K. WESSEL, Hiob, ReallexikonzurbyzantinischenKunst 3, Stuttgart 1978, p. 131-152 ; J. DURAND, Recherchessurl’iconographiedeJobdesoriginesdel’artchrétienjusqu’au XIIIesiècle, thèse de l’École nationale des Chartes (dir. J. Thirion), Paris 1981 ; M. BERNABÒ, LeminiatureperimanoscrittigrecidelLibrodiGiobbe, Florence 2004. 4. S. PAPADAKI-OEKLAND, ByzantineIlluminatedManuscriptsoftheBookofJob.APreli- minaryStudyoftheMiniatureIllustrations,ItsOriginandDevelopment, Athènes 2009, p. 401. 5. D. et U. HAGEDORN, DieälterengriechischenKatenenzumBuchHiob, I-IV (PTS 40, 48, 52, 59), Berlin-New York 1994-2004. 6. B. L. FONKIČ, О библиотеке Хоры при Феодоре Метохите, VV 54, 1993, p. 39-42, ici p. 40 ; P. L. VOCOTOPOULOS, ΜικρογραφίεςτῶνβυζαντινῶνχειρογράφωντοῦПατριαρ- χείουἹεροσολύμων, Athènes-Jérusalem 2002, p. 78-95, ici p. 78. UNE QUESTION DE FILIATION ENTRE TROIS LIVRES DE JOB 153 un atelier constantinopolitain au cours de la deuxième décennie du 14e siècle et serait une commande de Théodore Métochite pour la bibliothèque du monastère de Chôra. Du point de vue du style et de l’iconographie, il a été rattaché au Sinaiticusgr. 37 et au Vat.gr. 12318. Le Paris.gr. 135 mesure 390 × 280 mm mais a été rogné en hauteur. Il contient 247 folios de papier et compte 33 lignes à la page. La mise en page, en couronne, accueille 195 illustrations. Le colophon indique que le manuscrit a été copié entre le 1er septembre 1361 et le 31 août 1362 par le scribe bien connu Manuel Tzykandylès9. Le lieu de production est généralement situé à Mistra10, mais il pourrait très bien s’agir de Constantinople11. Les nombreuses nouveautés iconographiques et stylistiques du Paris.gr. 135, en particulier les emprunts occidentaux, ont intéressé les chercheurs12, mais elles n’ont que récemment été étudiées de façon exhaustive13. Le Laud.gr. 86, enfin, se compose de 222 folios de papier, paginés, avec 33 lignes à la page et mesure 410 × 275 mm. Il pré- sente une mise en page en une colonne à pleine page et contient 204 illus- trations dont la plupart sont restées à l’état de dessin. Le manuscrit date- rait du milieu du 16e siècle et aurait été copié à Venise14. Du point de vue iconographique, il est rattaché depuis longtemps au Paris.gr. 13515, tandis 7. S. PAPADAKI-OEKLAND, ByzantineIlluminatedManuscripts, cité n. 4, p. 42. 8. P. HUBER, Hiob :DulderoderRebell ?, cité n. 2, p. 209-241. 9. B. MONDRAIN, L’ancien empereur Jean VI Cantacuzène et ses copistes, dans A. RIGO (éd.), GregorioPalamaseoltre.StudiedocumentisullecontroversieteologichedelXIVsecolo bizantino, Florence 2004, p. 249-296. 10. J. M. ANDREWS, ImageryintheAftermathoftheCrusades :AFourteenth-CenturyIllus- tratedCommentaryonJob(Paris,B.N.,ms.graecus135), Los Angeles 2002. 11. R. ETZÉOGLOU, « Ἐγγραφή ἐν τῷ Μυζιθρᾷ ». Βιβλιογραφικές δραστηριότητες στον Μυστρα κατά τον 13ο και τον 14ο αιώνα, DChAE, Περίοδος Δʹ, 16, Athènes 2005, p. 181-192. 12. T. VELMANS, Le ParisinusGrecus135 et quelques autres peintures de style gothique dans les manuscrits grecs à l’époque des Paléologues, dans EADEM, Byzance,lesSlaveset l’Occident :étudessurl’artpaléochrétienetmédiéval, Londres 2001, p. 337-375 (article paru dans CahiersArchéologiques 17, 1967, p. 209-235) ; C. ALCALAY, Le Parisinusgraecus 135 : un hommage à Jean Cantacuzène ? Étude historique d’un Livre de Job du XIVe siècle, Byz. 78, 2008, p. 404-480 ; J.-M. ANDREWS, Familiar Foreigners : Artistic Innovations in a Fourteenth- Century Illustrated Commentary on Job, Arte medievale, Series II, anno 14, 1-2, 2000, p. 113-121. 13. J. DEVOGE, L’illustrationduLivredeJobàl’époquepaléologue :leParisinus Grae- cus135delaBibliothèquenationaledeFrance, thèse de doctorat (dir. C. Jolivet), Paris 2013. 14. I. HUTTER, CorpusderbyzantinischenMiniaturenhandschriften. II, OxfordBodleian Library II, Stuttgart 1978, p. 54-66, ici p. 54 ; C. ALCALAY, Le Parisinusgraecus 135, cité n. 12, p. 406 n. 10 ; J.-M. ANDREWS, Flexibility and Fusion in Eastern Mediterranean Manu- script Production : Oxford, Bodleian, Laud. Gr. 86, dans L. JONES (éd.),ByzantineImages andTheirAfterlives.EssaysinHonorofAnnemarieWeylCarr, Farnham 2014, p. 39-60 : elle propose non pas Venise mais Chypre comme ville d’origine. 15. C. OSIECZKOWSKA, Notice sur l’illustration grecque du livre de Job, dans VIeCongrèsInter- nationald’Étudesbyzantines,Alger2-7octobre1939,Résumésdesrapportsetcommunications, 154 JEANNE DEVOGE que le style témoigne sans conteste de son appartenance à l’époque de la Renaissance italienne, « particularly in the composition, the perspective, the architectural and landscape background and, above all, in the drawing of the human figure »16. Afin de traiter au mieux la question de la filiation entre ces trois manus- crits, nous effectuerons des comparaisons en fonction de la mise en page, des commentaires sur le texte de Job et de l’iconographie. Après avoir démontré le rapprochement généalogique entre le Taphou 5 et le Paris. gr. 135 à partir du passage Jb 1, 20, puis la filiation entre le Paris.gr. 135 et le Laud. gr. 86 à propos de l’illustration du passage Jb 3, 20, nous présenterons un exemple des modifications iconographiques d’un manuscrit à l’autre pour l’illustration du passage Jb 38, 16-17, avant d’en mesurer les conséquences sur le sens de l’image et de les comparer avec les autres exemplaires du corpus. 1. – LE TAPHOU 5 ET LE PARIS.GR. 135 : LIEN DIRECT OU INDIRECT ? Le Taphou 5 et le Paris.gr. 135 possèdent de nombreux points com- muns. Ils sont de dimensions semblables et comptent un nombre de folios quasiment équivalent. Ils se démarquent de la plupart des autres Livres de Job par leur mise en page en couronne : cette mode s’était arrêtée vers les 11e-12e uploads/Litterature/ une-question-de-filiation-entre-trois-livres-de-job-byzantins-commentes-et-illustres-hierosolymitanus-s-sepulchri-5-paris-gr-135-86.pdf

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