UNITE ´ ET DIVERSITE ´ DU BERBE ` RE : De ´ termination des lieux linguistiques

UNITE ´ ET DIVERSITE ´ DU BERBE ` RE : De ´ termination des lieux linguistiques d’intercompre ´ hension par Miloud Taı¨fi 1. – Je voudrais dans cet article 1 exposer et soumettre a ` la re ´ flexion collective quelques options me ´ thodologiques relatives aux e ´ tudes et descriptions dialec- tologiques du berbe ` re. L’expose ´ sera illustre ´ par la comparaison de sept versions « dialectales » d’un me ˆ me texte. L’objectif de cette comparaison est de de ´ gager les diffe ´ rences entre les dialectes au niveau phone ´ tique, lexical et syntaxique. Ce qui permettra ensuite de de ´ terminer les lieux d’intercompre ´ hension et, par ricochet, d’e ´ valuer les degre ´ s d’unite ´ et de diversite ´ du berbe ` re. SITUATION LINGUISTIQUE PYRAMIDALE DU BERBE ` RE 2. – Toute e ´ tude de comparaison dialectologique est ne ´ cessairement fonde ´ e sur un constat pre ´ -the ´ orique – re ´ sultat d’intuitions, d’observations sporadi- ques ou d’enque ˆ tes pre ´ liminaires – que le syste ` me linguistique soumis a ` l’e ´ tude est a ` la fois uni et varie ´ . La de ´ monstration vient ensuite pour confirmer un tel constat par des descriptions comparatives des diffe ´ rents niveaux de la langue : phone ´ tique, lexique et grammaire. 3. – Le fait que le berbe ` re est une langue varie ´ e est sans doute la proposition la plus partage ´ e pour tous ceux, locuteurs natifs et/ou chercheurs, qui travail- lent dans un quelconque domaine touchant a ` la langue et a ` la culture berbe ` res. On pre ´ sente la langue berbe ` re tiraille ´ e (et, a ` lire certains linguistes, depuis son existence ?) par « deux forces qui jouent en sens contraire : le particularisme qui pousse a ` la diversification et le conservatisme qui assure la stabilite ´ . » (Basset, 1959, p. 27). On affirme aussi (parfois avec e ´ tonnement, justifie ´ au demeurant, —————— 1. Une premie ` re version de ce papier a e ´ te ´ l’objet de la communication pre ´ sente ´ e au Colloque de Ghardaı¨a en 1992. 119 E ´tudes et Documents Berbe `res, 12, 1994 : pp. 119-138 vu l’histoire ballotte ´ e des Berbe ` res) que ce sont l’unite ´ et le conservatisme qui dominent et assurent encore la pe ´ rennite ´ de la langue qui continue a ` exister sous forme de parlers. 4. – Les parlers recense ´ s sont certes nombreux, mais il serait errone ´ d’en exage ´ rer l’e ´ parpillement jusqu’a ` une atomisation extre ˆ me. Je pense qu’Andre ´ Basset – auquel on ne cesse de le lui reprocher, parfois avec ve ´ he ´ mence – a raison de parler d’un fourmillement de variations si, bien su ˆ r, on entend par variations la diversite ´ des faits dialectaux et non celle des parlers. La variation e ´ tant l’une des caracte ´ ristiques fondamentales de tout syste ` me linguistique, le berbe ` re n’en est pas e ´ videmment, de ce fait, de ´ pourvu. 5. – Mais les donne ´ es grammaticales, phone ´ tiques et lexicales, pour peu qu’on les analyse et les compare, permettent la de ´ limitation de larges zones ge ´ o-linguistiques a ` travers l’aire recouverte par la langue berbe ` re. Les des- criptions n’ont e ´ videmment comme objet d’e ´ tude imme ´ diat que les parlers, mais au-dela ` des parlers, la comparaison reconstruit et distingue des supra- syste ` mes qui, sans pre ´ senter une homoge ´ ne ´ isation parfaite – ce qui serait contraire a ` la langue –, rece ` lent chacun des traits structuraux et lexicaux communs. Ce sont ces traits permanents et partage ´ s qui assurent une large perme ´ abilite ´ entre les parlers appartenant au me ˆ me supra-syste ` me. Le test de l’intercom- pre ´ hension le prouve puisque les locuteurs berbe ´ rophones d’une me ˆ me re ´ gion ge ´ o-linguistique se comprennent et communiquent entre eux en proce ´ dant, quand c’est ne ´ cessaire, a ` quelques re ´ ajustements pour neutraliser les diffe ´ ren- ces susceptibles de bloquer la communication. Ces re ´ ajustements aboutissent a ` un brassage des parlers : les particularismes s’estompent progressivement au profit de l’unite ´ du supra-syste ` me. Les mouvements des populations jouent un ro ˆ le important, depuis quelques de ´ cennies, dans l’e ´ mergence et la consolidation des supra-syste ` mes, en facili- tant le contact linguistique direct entre les berbe ´ rophones de re ´ gions e ´ loigne ´ es. Les mass-me ´ dia, notamment les e ´ missions radiophoniques en berbe ` re, et la litte ´ rature orale ou e ´ crite qui connaıˆt un regain de faveur, participent aussi a ` la formation et a ` l’affermissement des supra-syste ` mes. 6. – La langue berbe ` re se pre ´ sente donc sous forme d’une construction pyramidale dont la base est constitue ´ e par les parlers locaux et le sommet par ce que l’on convient d’appeler la langue berbe ` re dont le nom de plus en plus utilise ´ est la tamazight. Les faces de la pyramide repre ´ sentent les supra- syste ` mes qui sont naturellement moins nombreux que les parlers. Il est e ´ vident que, selon cette pre ´ sentation, la langue berbe ` re n’a pas d’existence propre, elle ne s’offre a ` l’observation du linguiste que par ses diffe ´ rentes manifestations a ` travers les parlers et les supra-syste ` mes. Le berbe ` re est donc un syste ` me linguistique-type, un mode ` le abstrait constitue ´ 120 de l’ensemble des proprie ´ te ´ s et des traits structuraux de tous les parlers et supra-syste ` mes. 7. – Le processus de dialectalisation est oriente ´ du haut vers le bas de la pyramide : on peut en effet supposer que le berbe ` re qui n’est aujourd’hui qu’un mode ` le abstrait, e ´ tait a ` une e ´ poque de son histoire un syste ` me linguistique homoge ` ne, uniforme et re ´ el. Des ruptures sont intervenues – dues a ` l’e ´ volution historique de la langue – et ont produit cet e ´ clatement et cette diversite ´ qui caracte ´ risent la langue berbe ` re d’aujourd’hui. Mais ces ruptures n’ont pas, cependant, abouti a ` des langues diffe ´ rentes, quoique l’intercompre ´ hension soit re ´ duite parfois a ` un simple sentiment de parler la me ˆ me langue, surtout s’il s’agit de locuteurs pratiquant des parlers appartenants a ` des supra-syste ` mes e ´ loigne ´ s dans l’espace : touareg et tama- zight par exemple. 8. – La situation linguistique pyramidale du berbe ` re exige, on s’en doute, un impe ´ ratif me ´ thodologique dont doit tenir compte toute e ´ tude de linguistique berbe ` re. Il s’agit du principe de comparatisme dialectologique dont l’objectif de l’application est de de ´ crire et de de ´ terminer les lieux de rupture du mode ` le abstrait. L’analyse des parlers est, de ce fait, incontournable pour de ´ gager et circon- scrire ensuite chaque supra-syste ` me spe ´ cifique a ` chaque re ´ gion ge ´ o-linguis- tique. La dernie ` re e ´ tape sera l’identification, a ` tous les niveaux de la langue, du mode ` le abstrait en en de ´ crivant les traits fondamentaux qui constituent l’unite ´ de la langue. L’e ´ tude dialectologique ne peut donc e ˆ tre qu’ascensionnelle, allant de la base au sommet de la pyramide, dans le sens inverse du processus historique de dialectalisation de la langue. 9. – Ce sont ces ruptures qui ont alte ´ re ´ le berbe ` re en tant que mode ` le abstrait que je voudrais maintenant illustrer par une bre ` ve e ´ tude comparative de sept versions dialectales d’un me ˆ me texte. E ´ TUDE COMPARATIVE Pre ´ sentation des versions 10. – Le texte touareg qui a servi de base aux autres versions est donne ´ dans Galand, 1988, p. 241. Il est tire ´ du recueil de P. de Foucauld et d’A. de Calassanti-Motylinski, Textes touareg en prose (dialecte de l’Ahaggar), Alger, 1922, p. 112, nº 141, lignes 1-4. Les versions tachelhiyt (parler des Ighchan) et kabyle (parler des Ouadhias) sont e ´ galement donne ´ es dans Galand 1988. J’ai e ´ tabli moi-me ˆ me la version tamazight (parler des Ayt- Myill) et mon colle ` gue K. Cadi m’a aimablement fourni la traduction en 121 tarifiyt (parler des Ayt-Sidar). C’est uploads/Litterature/ unite-et-diversite-du-berbere-miloud-taifi-edb12-1994.pdf

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