MILIEUX BIBLIQUES Thomas RÖMER Membre de l’Institut (Académie des inscriptions

MILIEUX BIBLIQUES Thomas RÖMER Membre de l’Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres), professeur au Collège de France fr Mots-clés–: Bible, Égypte, Joseph, genèse, diaspora La série de cours «–La Bible et l’Égypte. L’histoire de Joseph (Genèse 37-50)–» est disponible, en audio et/ou en vidéo, sur le site internet du Collège de France (http://www.college-de-france.fr/site/thomas-romer/course-2015-2016.htm) ainsi que le colloque «–Oral et écrit dans l’Antiquité orientale–: les processus de rédaction et d’édition–» (http://www.college-de-france.fr/site/thomas-romer/symposium-2015-2016.htm). ENSEIGNEMENT COURS–LA BIBLE ET L’ÉGYPTE. L’HISTOIRE DE JOSEPH (GENÈSE 37-50) Introduction Le cours a été consacré à l’analyse littéraire, historique et sociologique de l’histoire de Joseph en Gn 37-50 qui se distingue à la fois de l’histoire patriarcale en Gn 12-36 et de l’histoire de la sortie d’Égypte relatée dans le livre de l’Exode. Les hypothèses suivantes ont été testées: l’histoire originelle de Joseph est un roman de diaspora, composé durant l’époque perse, en opposition à une vision négative de l’Égypte. Son auteur semble être localisé en Égypte et reprend des traditions et des thèmes égyptiens. Le courant sacerdotal P ne connaît pas ce roman qui peut être compris comme une alternative au discours de la descente en Égypte et de la remontée d’Égypte de la famille de Jacob. L’histoire de Joseph confrontée aux autres discours bibliques sur l’Égypte et située dans son propre contexte historique : une hypothèse de travail Le cours s’est ouvert par une enquête sur le rôle de l’Égypte dans des textes bibliques et la question de l’interaction entre l’Égypte et le Levant. Les thèmes 244 THOMAS RÖMER suivants ont été abordés: la domination égyptienne sur le Levant au IIe millénaire; contacts et échanges; influences littéraires; l’Égypte comme terre d’accueil. Après un rappel du contenu de l’histoire de Joseph, on a examiné la question de la diachronie et de l’unité littéraire du cycle de Joseph. Certains chapitres sont clairement des corps étrangers dans cette histoire, comme le chapitre 38 (Juda et Tamar), ainsi que les chapitres 46, 48 et 49. Ces derniers chapitres sont centrés sur Jacob et ont été insérés tardivement pour ancrer l’histoire de Joseph dans le contexte du Pentateuque. Ainsi, le chapitre 48, avec l’inversion des droits de l’aîné et du cadet, présuppose l’histoire de Jacob et Ésaü, et les sentences sur les douze tribus en Gn 49, qui ont un parallèle en Dt 33, ont été intégrées pour renforcer les parallèles entre la fin du premier et celle du dernier livre de la Torah, et pour mettre en parallèle Jacob et Moïse, les deux figures fondatrices (respectivement liées à la généalogie et à la Torah) d’Israël. Le discours final de Joseph en Gn 50,24-25, concernant le transport de ses ossements et le don du pays promis par serment aux Patriarches, est clairement le produit d’une rédaction du Pentateuque (le motif du pays juré aux Patriarches est repris en Dt 34,4) et de l’Hexateuque (l’enterrement des ossements de Joseph est relaté en Jos 24). Le passage sur Joseph comme inventeur du capitalisme (47,13-26) contredit Gn 41 (le conseil de Joseph au Pharaon) et ne mentionne ni les frères ni le père de Joseph. L’histoire de la femme de Potiphar en Gn 39 est probablement aussi un ajout. Il s’agit du seul chapitre qui utilise le tétragramme et ne s’intègre pas bien dans son contexte. De plus, la position de haute responsabilité que Joseph occupe à la fin de Gn 39 n’est pas présupposée au chapitre 40 où Joseph semble au service de l’échanson et du panetier. On peut donc à titre d’hypothèse reconstruire l’étendue de l’histoire originelle de Joseph comme suit: Gn 37*; 40-45*; 46, 28-33; 47,1-12; 50,1-11.14-21.26. Concernant la question de la datation de l’histoire de Joseph et de son contexte socio-historique, la date la plus probable est la fin de l’époque perse, voire le début de l’ère hellénistique. L’histoire de Joseph est un roman de la diaspora (comme Esther et Daniel 2-6). Les trois récits véhiculent le même message: on peut vivre, malgré quelques problèmes (qui sont plus graves dans le livre d’Esther), dans un pays d’accueil et, même, y faire une très belle carrière. Dans ce contexte, le fait que Joseph épouse la fille d’un prêtre égyptien, qu’il reçoive un nom égyptien et qu’il meure comme un Égyptien prend tout son sens. Notons également que le Pharaon et Joseph ainsi que Jacob n’ont aucun problème lorsqu’ils parlent de Dieu. Dans le contexte d’un récit de diaspora, comment faut-il comprendre le nom de Joseph? A-t-il une connotation nordique ou a-t-il simplement été choisi parce qu’il est fils de Rachel? Si une connotation nordique était suggérée, on pourrait imaginer comme milieu de production la diaspora en Éléphantine, dont on pense souvent que les origines remontent au VIIIe siècle avant notre ère, via des soldats israélites servant dans l’armée égyptienne. Mais en même temps nous savons également que les relations entre les Judéens/Israélites et les Égyptiens étaient compliquées, puisque ceux-ci avaient détruit le temple des Judéens dédié à Yahô et à deux autres divinités. On pourrait donc situer le roman de Joseph quelque part dans le Delta. Cette décision semble dépendre de l’intimité ou non de l’auteur avec des coutumes, des noms égyptiens, sujet assez débattu. Joseph et le document sacerdotal: La plupart des textes en Gn 37-50 qui peuvent clairement être attribués à P concernent la descente de la famille de Jacob et sa mort ainsi que son enterrement. Il semble donc logique que le récit P ait seulement raconté MILIEUX BIBLIQUES 245 le séjour de la famille de Jacob sans connaissance de l’histoire de Joseph. En outre, encore dans des suppléments au texte sacerdotal (Ps), en 46,8ss, Joseph fait simplement partie de la famille de Jacob qui descend en Égypte. Cela signifie que le document P ne contenait pas l’histoire de Joseph. Les songes de Joseph et sa descente en Égypte (Genèse 37) La jalousie des frères (v. 1-11): La remarque selon laquelle Joseph était le fils de la vieillesse de Jacob ne concorde pas avec Gn 29-30 où les naissances des fils de Jacob se succèdent rapidement, à l’exception de Benjamin qui naît beaucoup plus tard. Ici, la narration se fonde sur une observation courante, à savoir que, dans les fratries, les cadets d’un père âgé sont souvent les préférés. La haine des frères aurait pu viser aussi le père inéquitable, mais elle se reporte exclusivement sur Joseph. Apparemment, le narrateur est un excellent observateur des relations humaines et sait qu’il est plus difficile (à cette époque!) de s’en prendre directement au père. La conséquence, c’est la rupture d’une relation de shalôm («harmonie»). D’une certaine manière, on peut lire l’histoire de Joseph comme la quête du rétablissement de ce shalôm. Les songes de Joseph: Dans le Proche-Orient ancien et en Égypte, le songe est considéré comme une zone de rencontre entre le divin et l’humain. Le caractère prémonitoire de l’expérience onirique est donc assez généralement accepté, mais la signification d’un rêve n’est pas évidente a priori, d’où l’importance de la classe des oniromanciens, les psychologues de jadis… Le premier rêve se situe dans un contexte d’agriculture et ne correspond pas exactement au fait que la famille de Jacob soit décrite comme une famille de bergers. Le deuxième rêve de Joseph inclut le père et la mère, selon l’interprétation qu’en fait Joseph: le rêve pose cependant un certain nombre de problèmes. Il est clair que les astres, en Égypte, dans le Levant et en Mésopotamie, appartiennent au monde des dieux, ils sont soit eux-mêmes des divinités soit des symboles de divinités. Mais si le soleil et la lune sont censés représenter le père et la mère, cela pose le problème qu’en Égypte et en Mésopotamie le soleil (Ra/Shamash) et la lune (Thot/Sin) sont masculins, à Ougarit le soleil est féminin (Shapshu) et la lune (Yarihu), masculine, comme c’est d’ailleurs le plus souvent le cas dans la langue hébraïque. Le seul contexte où cette équation marcherait est la Grèce, où Hélios représente le soleil et Séléné, la lune. Est-ce une indication pour dire que l’histoire de Joseph a vu le jour dans une Égypte déjà hellénisée? Le deuxième songe dépasse encore le premier. Les astres sont donc des divinités devant lesquels même le roi doit normalement se prosterner. Donc si l’on suit la logique de ces parallèles, Joseph se met, au moins dans l’interprétation de son père et de ses frères, à la place de Dieu! Ce rêve est souvent considéré comme un ajout, mais il s’insère bien dans une stratégie narrative développant une surenchère. L’arrivée de Joseph vers ses frères comme transition (v. 12-17): On peut donc considérer cet épisode comme une prolepse insérée après coup et le comparer à un épisode de l’histoire de Sinouhé qui, fuyant l’Égypte, se trouve errant et proche de la mort. Il rencontre alors un groupe de nomades dont le chef lui donne à boire. Le rédacteur, qui a inséré ce passage, a sans doute également voulu préparer la suite. À cela sert peut-être aussi le fait que Joseph soit envoyé par l’homme mystérieux à Dotan qui se trouve à une vingtaine de kilomètres au uploads/Litterature/ upl7694278838695443937-23-romer-243-260.pdf

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