Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article
Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=INNO&ID_NUMPUBLIE=INNO_020&ID_ARTICLE=INNO_020_0193 Visibilité et lisibilité du travail féminin par Guy CAIRE | De Boeck Université | INNOVATIONS 2004/2 - n° 20 ISSN 1267-4982 | pages 193 à 216 Pour citer cet article : — Caire G., Visibilité et lisibilité du travail féminin, INNOVATIONS 2004/2, n° 20, p. 193-216. Distribution électronique Cairn pour De Boeck Université. © De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 193 Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation n°20, 2004-2, pp.193-215. Visibilité et lisibilité du travail féminin Guy CAIRE Université Paris-X Nanterre De même qu’on a pu évoquer le « halo » du chômage1, on pourrait parler du « flou » du travail féminin, non seulement parce qu’il comporte une « double journée »2, mais aussi parce que le classement des activités repérées peut être parfois aléatoire comme on peut le voir pour la catégorie des « aides familiaux » par exemple3. Il convient donc de s’interroger sur sa visibilité4. Par ailleurs, là où l’économie du travail repose, dans son corpus de base, sur la distinction travail - loisir, tandis que le salaire doit permettre la production et reproduction de la force de travail, ces catégories se démultiplient lorsqu’il est question du travail des femmes avec entre autres le travail do- mestique5 et il devient nécessaire de clarifier les modalités 1 M. Cezard, Le chômage et son halo, Economie et statistique, n°193-194, no- vembre-décembre 1986. 2 A. Myrdal et V. Klein, Women’s two roles, Routledge and Kegan , 1966. 3 O. Marchand et C. Thelot montrent ainsi que non seulement les recensements ont été conduits selon des méthodes différentes, ont fait appel à des documents et des nomenclatures variables mais, également, que les conventions et même les objets de mesure ont changé au fil du temps d’un recensement à l’autre : ainsi a-t-on hésité entre le dénombrement des personnes vivant d’une profession donnée (recensement de 1856 et 1891) et celui des personnes exerçant une pro- fession donnée (1851 et partir de 1856) ; de même parfois tous les adultes de la ferme n’exerçant pas une autre profession étaient considérés comme actifs agri- coles (recensements de 1921 à 1946) parfois seul le chef de ménage était consi- déré comme actif (recensement de 1881) Deux siècles de travail en France, INSEE 1991. La question des aides familiaux a pu être particulièrement importante lors- que l’agriculture occupait encore un grand nombre d’actifs A. Barthez Femmes dans l’agriculture et travail familial, Sociologie du travail juillet-septembre 1984, p.255-267. 4 M. Perrot, Les femmes ou les silences de l’histoire, Flammarion 1998 ; C. Cosnier, Le silence des filles. De l’aiguille à la plume, Fayard 2001. 5 A. Fouquet, Une grande partie de l’économie cachée, le travail domestique gratuit, Problèmes économiques et sociaux n°40 1980 ; D. Chabaud, D. Fougeyrollas et F. Goutonnax, Espace et temps du travail domestique, Librairie des Méridiens 1985. 194 concrètes de production et reproduction de la force de travail. C’est donc la lisibilité, ou sens donné à ces différentes ques- tions, qui se trouve en cause. On peut dès lors proposer une analyse en trois étapes du travail féminin. Par analogie avec le titre d’un célèbre tableau de Gauguin « que sommes nous, d’où venons nous, où allons nous ? », nous suggérons une démarche en trois temps : il conviendra d’abord d’observer (« voir ») en repérant les moda- lités de constitution des données ; il sera ensuite nécessaire d’interpréter (« lire ») en recourant, pour ce faire, à différents paradigmes ; il faudra enfin, si nécessaire, agir en suggérant de nouvelles perspectives. DONNEES Les éclairages du travail féminin peuvent se faire en recourant à différentes disciplines. La statistique nous offre ainsi un tableau de la situation actuelle ou des changements les plus récents qui se sont opérés ; l’histoire nous replace dans la longue durée des évolutions plus profondes ; le droit nous indique comment sont légitimées ou au contraire condamnées certaines modalités du travail féminin qui, comme tout travail, est non seulement un état mais aussi un statut1. Commençons par recourir aux données de la statistique2. En mars 2001 80% des femmes entre 25 et 49 ans sont actives contre 95% des hommes au même âge. Alors que le taux d’activité tend à diminuer pour les hommes, il progresse régu- lièrement pour les femmes, l’écart est ainsi passé en 25 ans de 40 points à moins de 16 points. Mais ce qui pourrait apparaître comme une mutation homogénéisante des comportements et des situations appelle immédiatement un certain nombre d’ob- servations complémentaires. Le taux de chômage des femmes (10,7%) est supérieur à celui des hommes (7,1%). Près d’un tiers des emplois occupés par les femmes sont à temps partiel (27,1%) alors que ce n’est le cas que pour 4,7% des hommes. Le sous-emploi affecte 8,5% des femmes contre 2% des hommes. Même si la différence est moindre dans la fonction publique d’Etat que dans le secteur privé, les salaires des fem- mes sont inférieurs à ceux des hommes et les écarts s’accrois- sent encore plus chez les cadres. 1 Les femmes et le droit social, Droit social numéro spécial janvier 1976. 2 Z. Djider, Femmes et hommes, les inégalités qui subsistent, INSEE Première, n°834 mars 2002. 195 Salaires en 2000 (en euros) Femmes Hommes Rapport des salaires F/H Cadres Professions intermédiaires Employés Ouvriers Ensemble 31.690 19.290 14.420 12.540 17.440 41.940 22.380 15.770 15.390 21.390 76% 86% 91% 81% 82% Il est vrai que les emplois masculins et féminins demeurent encore largement différenciés. Sans doute les femmes ont elles parfois accédé à des métiers considérés comme « masculins » (dans le bâtiment par exemple), conquis des responsabilités nouvelles et effectué des percées dans la hiérarchie des entre- prises. Il n’est pas sûr toutefois qu’au plan global le paysage statistique ait considérablement évolué depuis les observations que pouvait faire l’OCDE il y a une trentaine d’années : « il est parfaitement possible d’établir une typologie des métiers féminins et de définir comme suit le travail généralement effectué par les femmes : « 1° le travail féminin est un travail non qualifié ou de faible qualification exigeant surtout a) une grande résistance nerveuse, b) une dextérité manuelle acquise généralement en exerçant d’autres métiers, 2°Le travail féminin est un travail parcellaire de pure exécution ; 3° le travail féminin est peu rémunéré ; 4° le travail féminin est un travail n’impliquant pas de responsabilités »1. Les taux de scolarisation au-delà de l’âge de l’enseignement obligatoire sont pourtant plus élevés pour les filles que pour les garçons mais les filles s’orientent vers des activités de services, les garçons davantage vers des métiers techniques. Plus nombreuses dans l’enseigne- ment supérieur grâce à un taux de réussite au baccalauréat plus élevé (82% contre 77%) elles sont cependant moins nombreu- ses dans les filières du supérieur les plus cotées, généralement liées au passage par les classes préparatoires ; ainsi ne repré- sentent-elles que 23% des effectifs des grandes écoles d’ingé- nieurs. Sans doute observe-t-on une progression sensible des femmes dans les strates élevées des hiérarchies professionnelles (19% de l’encadrement en 1991 et 24% en 2001), mais, même dans la fonction publique où les femmes sont majoritaires (55%), elles demeurent encore très peu présentes dans les emplois de direction (14% en 2000 pour l’ensemble des 1 R. Gubbels, Caractéristiques de l’offre et de la demande sur le marché du tra- vail en matière de main-d’oeuvre féminine in L’emploi des femmes, OCDE, 1970, p.121 196 emplois de direction, et d’inspection et 11% pour les emplois laissés à la décision du gouvernement). Au total du point de vue de l’activité la période actuelle est marquée par quatre traits1 : une progression constante de l’acti- vité féminine salariée, une féminisation et une tertiarisation du salariat, un basculement des normes sociales en matière de comportement les trajectoires professionnelles des femmes devenant continues, non interrompues à l’âge de la parentialité (ce qui transforme les courbes d’activité à deux bosses en courbes en u renversé), une percée décisive des femmes en matière de scolarité2 mais inachevée en matière de travail car subsistent les ségrégations horizontales et verticales. Pour ce qui concerne le travail, malgré la proclamation d’un droit à l’égalité professionnelle, subsiste une non mixité des emplois, les hommes et les femmes étant concentrés dans des secteurs d’activité différents. Côté chômage les facteurs d’inégalités se cumulent; le chômage est plus important, plus permanent, plus durable, plus difficile à saisir, souvent moins indemnisé pour les femmes que pour les hommes mais, en même temps, moins uploads/Litterature/ visibilite-et-lisibilite-du-travail-feminin.pdf