William S. Burroughs Junky William S. Burroughs Junky Préface d’Allen Ginsberg

William S. Burroughs Junky William S. Burroughs Junky Préface d’Allen Ginsberg Traduit de l’américain par Catherine Cullaz et Jean-René Major ÉDITION REVUE ET COMPLÉTÉE PAR PHILIPPE MIKRIAMMOS Gallimard Titre original : J U N K Y Cet ouvrage a paru précédemment aux Éditions Pierre Belfond en 1972. © 1976, Allen Ginsberg, LLC. © William S. Burroughs, 1953. All rights reserved. © Éditions Gallimard, 2008, pour la traduction revue par Philippe Mikriammos. Né en 1914 à Saint Louis, Missouri, William S. Burroughs a étudié la littérature anglaise et l’anthropologie à Harvard. Préférant les aléas de l’errance à la vie bourgeoise, il choisit de partager la destinée des drogués et des marginaux. Des années quarante aux années soixante, il vit le plus souvent dans les bas-fonds de New York, de Mexico, de Tanger, de Londres et de Paris, exerçant pour survivre tous les métiers possibles : employé d’une agence de publicité, détective privé spécialisé dans les affaires de divorce, destructeur de parasites à Chicago… Burroughs a commencé d’écrire à l’âge de trente-cinq ans. Son premier ouvrage, Junky, paraît en 1953 à New York. Le festin nu, refusé par tous les éditeurs américains, sera publié à Paris en 1959. Le procès pour « obscénité » qui accompagne sa parution quatre ans plus tard aux États-Unis contribuera paradoxalement à parfaire sa notoriété d’écrivain et à l’impo- ser comme l’une des figures majeures de la littérature contem- poraine. Figure tutélaire de la « beat generation », longtemps consi- déré comme un auteur maudit, dont les livres étaient interdits, William S. Burroughs, mort en 1997, est tenu aujourd’hui pour un des plus grands écrivains américains. PRÉFACE Je connaissais Bill Burroughs depuis Noël 1944 et, au début des années cinquante, nous échangions une volumineuse correspondance. J’avais toujours respecté en lui un aîné possé- dant plus de sagesse que moi, et c’est d’ailleurs avec étonnement que je constatai, dans les premières années de nos relations, qu’il me manifestait, de son côté, du respect. Le temps passant et au gré de la fortune de chacun — moi me retrouvant quelque temps dans la solitude d’un asile de fous, lui suivant sa tra- jectoire et ses tragédies propres —, j’eus l’au- dace d’abuser de ce que je pensais être chez lui de la timidité et je l’encourageai à écrire par vocation. Dès cette époque, Kerouac et moi nous nous considérions comme écrivains- poètes par Vocation, tandis que Bill hésitait beaucoup à faire de lui-même un tel théâtre. Quoi qu’il en soit, il répondait à mes lettres par des chapitres de Junkie, commencé je crois 9 comme simples croquis de curiosités, mais bientôt devenu — à ma surprise ravie — une suite de fragments très travaillés constituant une vraie narration. C’est ainsi que le plus gros du manuscrit arriva consécutivement dans mon courrier, en partie à Paterson, New Jersey. Je croyais que je l’encourageais. Mais je me dis maintenant que c’est peut-être bien lui qui m’encourageait à rester en contact actif avec le monde, moi qui m’étais retiré chez mes parents après huit mois passés en hôpital psychiatrique pour malentendu hippie avec la loi. Cela s’est passé il y a plus d’un quart de siècle, et je ne me rappelle pas la structure de notre correspondance — laquelle s’est poursuivie pendant des années, de continent à continent et d’une côte à l’autre, selon la méthode grâce à laquelle nous assemblâmes non seulement le texte de Junkie mais aussi celui des Lettres du yage, de Queer (inédit à ce jour) et d’une grande partie du Festin nu. Scandaleusement, Burroughs a détruit un grand nombre de ses épîtres personnelles datant du milieu des années cinquante que j’avais confiées à sa garde — lettres manifestant des sentiments d’affection nettement plus pro- noncés que ce qu’il montre généralement au public —, si bien que, hélas! cet aspect char- mant de l’Invisible Inspecteur Lee a été à tout 10 jamais mis à l’ombre derrière le Rideau des Belles Lettres 1. Une fois que le manuscrit fut complet, je le montrai à différents camarades de classe ou d’asile psychiatrique ayant réussi à s’établir dans l’Édition — ambition qui était également mienne mais dans laquelle j’échouais —, à la suite de quoi, frustré et incompétent dans les affaires du monde, je m’instituai Agent litté- raire secret. Jason Epstein lut le manuscrit de Junkie (bien entendu il connaissait le Bur- roughs de la légende depuis l’époque de Columbia) et il conclut que si cela avait été écrit par Winston Churchill ce serait intéres- sant, mais, étant donné que la prose de Bur- roughs était « quelconque » (point que je discutai autant qu’il me fut possible dans son bureau, chez Doubleday, avant d’être pris d’un malaise, entouré par tant de Réalité... l’ypérite dégagé par les sinistres directeurs littéraires si intelligents... ma propre paranoïa ou mon inex- périence de la Grande Bêtise des Immeubles d’Affaires new-yorkais...), publier ce livre n’avait aucun intérêt. Cette saison-là, je trim- ballai partout également les chapitres prous- 11 1. Queer a, depuis, été publié (trad. Sylvie Durastanti, Christian Bourgois, 1986), de même qu’une partie de la correspondance de William Burroughs, d’abord dans les Lettres de Tanger à Allen Gins- berg (trad. S. Durastanti, Christian Bourgois, 1990), puis sous le titre général Lettres (trad. Gérard-Georges Lemaire et Céline Leroy, Chris- tian Bourgois, 2007). (N.d.T.) tiens du Visions of Cody de Kerouac qui devaient par la suite engendrer la vision de Sur la route. Et j’ai porté Sur la route d’une maison d’édition à une autre. Louis Simpson, qui se remettait lui-même chez Bobbs-Merrill d’une dépression nerveuse, ne trouva non plus aucun mérite artistique à ces manuscrits. Par un coup de chance colossal, mon Com- pagnon du N.Y. State Psychiatric Institute, Carl Solomon, fut engagé par son oncle, Mr. A. A. Wyn, de la maison Ace Books. Solo- mon possédait l’humour et le goût litté- raire permettant d’apprécier ces documents — quoique, encore sous le choc de ses propres extravagances dadaïstes, lettristes et paranoïa- critiques, il se méfiât, à l’instar de Simpson, du romantisme criminel ou vagabond de Bur- roughs et de Kerouac. (J’étais moi-même à cette époque un brave jeune Juif ayant un pied dans la bourgeoisie et écrivant de la poésie méta- physique rimée et soigneusement ciselée — enfin, pas tout à fait.) Ces livres indiquaient cer- tainement que nous étions en pleine crise d’identité préfigurant une dépression nerveuse des États-Unis tout entiers. D’autre part, la ligne que suivaient les livres de poche Ace Books était dans l’ensemble de la bouillie commerciale, avec de temps à autre un roman français ou une histoire de durs glissés nerveu- 12 sement dans la liste par Carl pendant que l’oncle fermait l’œil. Solomon pensait que nous trois (Bill, Jack, Moi) nous nous fichions de la vraie Paranoïa que lui, en tant que conseiller littéraire, devait affronter avec des textes pareils — nous n’étions pas dans sa situation. Le contexte familial et psy- chiatrique de Carl, les responsabilités éditoriales, la crainte que son oncle ne le croie malade men- talement —, tout cela pour dire que ce fut un acte de bravoure de sa part de sortir «ce genre de chose », un livre sur la Came, et de donner à Kerouac une avance de deux cent cinquante dol- lars sur un roman en prose. «J’ai failli faire une dépression nerveuse — la peur et la terreur de devoir travailler avec ce matériau s’accumulait.» Il y avait alors — ce qui n’a pas totale- ment disparu aujourd’hui, avec les restes de vibrations de paranoïa policière entretenue par les différentes brigades des stupéfiants — une manière de penser implicite ou une suppo- sition très marquée selon laquelle, si on par- lait tout haut d’« herbe » (et plus encore de Came) dans l’autobus ou le métro, on était passible d’arrestation —, même si on se conten- tait de discuter d’une modification de la légis- lation. Il était pour ainsi dire illégal de parler de drogue. Une décennie plus tard, on ne pouvait toujours pas discuter de ces lois à la télévision sans que le Narcotics Bureau et le 13 FCC 1 se mêlent de dénoncer le débat quelques semaines plus tard, extraits de l’émission à l’ap- pui. C’est de l’histoire, maintenant. Mais la peur et la terreur dont parle Solomon était si réelle qu’elle avait été intériorisée par l’édition grand public, et qu’avant de pouvoir imprimer un tel livre, il fallait insérer dans le texte toutes sortes de désaveux de l’éditeur. Sans quoi, ce dernier risquait d’être inquiété en même temps que l’auteur, de peur que le public ne soit égaré par des opinions en désaccord avec les « auto- rités médicales reconnues» — lesquelles étaient en ce temps-là prisonnières du Narcotics Bureau (20 000 médecins furent traduits en jus- tice pour tentatives de soins à des camés et des milliers furent frappés d’amendes et emprison- nés entre 1935 et 1953, au cours de ce que la N.Y. County Medical Association a appelé « une guerre contre les médecins»). La vérité toute nue est que, de mèche avec le crime uploads/Litterature/ william-s-burroughs-junky.pdf

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