Marion Dubron “Les chevaux et les cavaliers de la conquête: mémoire, sensibilit
Marion Dubron “Les chevaux et les cavaliers de la conquête: mémoire, sensibilités et techniques” p. 523-556 El mundo de los conquistadores Martín F. Ríos Saloma (edición) México Universidad Nacional Autónoma de México Instituto de Investigaciones Históricas / Silex Ediciones 2015 864 p. Ilustraciones (Serie Historia General, 34) ISBN 978-607-02-7530-2 (UNAM) ISBN 978-84-7737-888-4 (Sílex) Formato: PDF Publicado en línea: 8 de mayo de 2017 Disponible en: http://www.historicas.unam.mx/publicaciones/publicadigital /libros/mundo/conquistadores.html DR © 2017, Universidad Nacional Autónoma de México-Instituto de Investigaciones Históricas. Se autoriza la reproducción sin fines lucrativos, siempre y cuando no se mutile o altere; se debe citar la fuente completa y su dirección electrónica. De otra forma, se requiere permiso previo por escrito de la institución. Dirección: Circuito Mtro. Mario de la Cueva s/n, Ciudad Universitaria, Coyoacán, 04510. Ciudad de México 523 5 Les chevaux et les cavaliers de la conquête : memoire, sensibilites et techniques Marion Dubron Centre d’Études Mexicaines et Centroamericaines Le portrait équestre ci-dessus qui représente à « don Fernando Cortés » à cheval se présente comme le symbole de la Conquête de Mexico-Tenochtitlán par de nombreux aspects, mais il conviendra dans ce chapitre de les dépasser. Au regard des portraits équestres monumentaux de la Renaissance, du Siècle d’or encore de l’âge baroque, alors que les plus grands peintres immortalisaient les souverains de l’époque (par exemple le Titien Charles Quint en 1548), notre dessin semble miniature, il fait songer au format d’une gravure. De fait, il remplit une page de manuscrit. Celui-ci porte le nom de Relation Géographique de Tlaxcala (1584) et son auteur, Diego Muñoz Camargo (~1529-1600), était un métis de Tlaxcala, une ville dominée par le volcan la Malinche et qui se trouvait dans les Hauts Plateaux à l’est de Mexico. Quelles motivations pous sèrent le peintre à dessiner le portrait équestre de Hernan Cor tés1 ? Avait-il eu entre les mains des gravures européennes ? Diego Muñoz Camargo était un homme politique et un chroniqueur avisé, il avait donc certainement eu loisir de voir dans sa vie quelques gravures de portraits équestres. Savait-il que le genre avait accompagné l’écriture de l’histoire des grands empires ? Il n’était certainement pas étranger à la finalité de ces œuvres qui mettaient en scène la toute puissance des souverains telle une ode au prestige et au pouvoir. Savait-il qu’à l’origine les portraits 1 En fait cinq portraits équestres ouvrent la série d’illustrations (plus de cent cin quante dessins) qui accompagnent le texte de la Relation Géographique. On trouve ra la reproduction des quatre autres portraits équestres (Charles Quint, Philippe II, Christophe Colomb et Francisco Pizarro) en annexe, A-I-1. DR© 2017. Universidad Nacional Autónoma de México, Instituto de Investigaciones Históricas Disponible en: www.historicas.unam.mx/publicaciones/publicadigital/libros/mundo/conquistadores.html 5 524 Marion Dubron équestres avaient représenté des dieux, comme les Egyptiens qui immortalisèrent Horus enfourchant un cheval, puis des saints, tels Saint Georges et Saint Jacques montés sur un cheval blanc, luttant et triomphant de l’idolâtrie2 ? Dessiner Hernán Cortés à cheval à la façon d’un portrait équestre faisait de ce dernier un souverain, et plus précisément celui de Mexico-Tenochtitlán dont le glyphe a été dessiné au-dessus de l’ombrelle tenue par Malintzin, l’indienne qui lui servit d’interprète et de guide pendant la Conquête. Hernan Cortés apparaît tel un souverain chrétien qui foule l’idolâtrie représentée par une tête d’idole et une bande de papier amate, un livre préhispanique. Hernán Cortés revêt une armure sertie de pie rres précieuses et il tient une lance à la façon d’un chevalier. Mais il monte à la jineta, c’est-à-dire à la mauresque, comme en témoigne sa façon d’être assis avec les genoux pliés au contact du cheval, les pieds posés dans des étriers triangulaires à plancher dont on sait qu’ils pouvaient être très beaux3. L’armure, la lance, le chevalier, la jineta : voilà les objets d’études qui seront au cœur de ce chapitre. Le portrait équestre nous invite également à nous interroger sur la mémoire. Plutôt que d’écrire une énième histoire politique sur la Conquête vantant les exploits des cavaliers, tentons de dégager les sensibilités et les mentalités. « S’ils doivent me tuer et mon cheval avec » Les chevaux et les cavaliers de la Conquête ont fasciné les ima ginaires occidentaux. Les chroniques espagnoles abondent d’éloges et d’anecdotes sur les exploits et les couples merveilleux que for mèrent les conquérants avec leur monture. Des écrivains de grande renommée encore au début du xxe siècle les plaçaient au cœur de la narration, tel l’écossais Robert Bontine Cunninghame Graham, 2 Carmen Bernand, «Regards d’anthropologue sur l’ambiguïté des mélanges», Planète métisse, Paris, Musée du quai Branly, Actes sud, 2008, p. 43. 3 Jean- Pierre Digard, Chevaux et cavaliers arabes dans les arts d’Orient et d’Occident. Paris, I.M.A., Gallimard, 2002, p. 111. DR© 2017. Universidad Nacional Autónoma de México, Instituto de Investigaciones Históricas Disponible en: www.historicas.unam.mx/publicaciones/publicadigital/libros/mundo/conquistadores.html 525 5 Les chevaux et les cavaliers de la conquete dans le succès éditorial The horses of the Conquest4. De fait, de nombreux historiens ont érigé les chevaux au rang de symbole de la Conquête. Emportés par la passion, ils ont surestimé le rôle du cheval, allant jusqu’à dire que ce furent les chevaux qui permirent la victoire des conquérants, qu’ils constituèrent « les nerfs de la guerre »5. Cette interprétation se fonde sur les récits hagiographi ques des conquérants et de leurs descendants6. En 1604, Baltasar Dorantes de Carranza7 notait que « la cavalerie, bien qu’en très petit nombre, fut l’arme la plus efficace dans les premiers temps de la Conquête et encore plusieurs années après »8. Toutefois, le rôle du cheval pendant la Conquête demande à être nuancé. Les alliés indigènes (tels les Tlaxcaltèques), les alliances et les rivali tés locales, la diplomatie et l’espionnage, les appuis logistiques et l’information privilégiée, et bien sûr les épidémies apparaissent bien plus déterminants que les chevaux dans la victoire espag nole9. Les chevaux et leurs cavaliers cessent-ils d’être intéressants pour autant ? 4 Robert Bontine Cunninghame Graham, The horses of the Conquest, Norman, Uni versity of Oklahoma Press, 1949, pp. 24-30. Dans cette histoire événementielle et hagiographique citons aussi Federico Gómez de Orozco, Los caballos de los conquis tadores del Anáhuac, México, Sociedad Científica Antonio Alzate, 1920, 19 p. 5 Hugh Thomas, La conquista de México, Barcelona, Planeta, 1994, p. 186. 6 Notamment dans les relaciónes de méritos y servicios dans lesquels les conquérants, passé le temps des conquêtes, vantaient leurs exploits et rappelaient que leur parti cipation avaient eut un coût financier, dans le but d’être récompensé par les Rois Catholiques, à travers l’attribution d’encomiendas (c’est-à-dire le droit de bénéficier du travail forcé des Indiens). La relación de méritos de Bernardino Vásquez de Tapia, rédigée en 1542, en est un bon exemple Il ne faut pas les confondre avec les probanzas de méritos dans lesquelles les conquérants comparaissaient devant les autorités dans le cadre d’un jugement. 7 Fils de Andrés Dorantes de Carranza, conquérant. Baltazar Dorantes de Carranza naquit dans la ville de Mexico au milieu du xvie siècle. Il fut un temps trésorier du roi dans la ville de Veracruz. La Sumaria relación de las cosas de la Nueva España (1604) constitue un traité sur les descendants légitimes des conquérants. 8 Baltasar Dorantes de Carranza, Sumaria relación de las cosas de la Nueva España, México, Museo Nacional de Mexico, 1970, p. 350: «la caballería, aunque en tan pequeño número, fue la arma de mayor provecho en los primeros tiempos de la conquista y por muchos años después». 9 Sur le rôle jouer par les alliés indiens voir Laura E. Matthew et Michel R. Oudi jk, Indian conquistadors. Indigenous Allies in the Conquest of Mesoamerica, Norman, University of Oklahoma Press, 2007, 349 p.; Matthew Restall, Los siete mitos de la DR© 2017. Universidad Nacional Autónoma de México, Instituto de Investigaciones Históricas Disponible en: www.historicas.unam.mx/publicaciones/publicadigital/libros/mundo/conquistadores.html 5 526 Marion Dubron Les cavaliers étaient los de a caballo, la gente de a caballo en opposition à los de a pie, les hommes à pied. « Cavalier » se traduit aussi par jinete10, terme d’origine arabo-hispanique11 plus précis que los de a caballo. Lorsque Bernal Díaz del Castillo évoque les cavaliers en général, il parle de « los de a caballo », mais quand il remémore les aptitudes équestres d’un conquérant c’est le terme « jinete » qu’il emploie, tel Gonzalo Rodríguez, un muy extremado jinete, un cavalier inoubliable. On retiendra qu’en général, « los de a caballo » définit les cavaliers comme « soldats à cheval » tandis que « jinete » définit les aptitudes et les techniques équestres des cavaliers et en particulier celle de la jineta. Le nombre des conquérants dans les expéditions, avant, pen dant et après les batailles est connu. Comme il existe parallèle ment des données similaires quant à los de a pie, il est possible d’évaluer le pourcentage des cavaliers par rapport au total des troupes (los de a caballo + los de a pie)12. L’observation de ces don nées suggère quelques commentaires. Brutes, elles indiquent sans équivoque qu’il y eut très peu de chevaux pendant la conquête de Mexico-Tenochtitlán qui se déroula entre 1519 uploads/Litterature/ xxi-les-chevaux-et-les-cavaliers-de-la-conquete-memoire-sensibilites-et-techniques.pdf
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- Publié le Jan 06, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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