« Zone », Apollinaire : introduction Placé en tête du recueil Alcools, « Zone »
« Zone », Apollinaire : introduction Placé en tête du recueil Alcools, « Zone » est en réalité le dernier poème écrit par Apollinaire avant la publication en 1913. « Zone » sera un manifeste poétique, par lequel le poète révolutionne le genre poétique, tant dans la forme que dans les thèmes.« Zone » est un poème fleuve, sans ponctuation ni régularité de mètre ou de rime. Le titre lui-même est porteur de sens : en marge du recueil, ce poème renvoie également au quotidien urbain moderne qui fascine Apollinaire. Questions possibles à l’oral sur « Zone » : ♦ En quoi peut-on affirmer que le poème « Zone » est moderne ? ♦ Pourquoi Apollinaire a-t-il choisi de commencer son recueil Alcools par « Zone » ? ♦ En quoi ce poème peut-il être considéré comme un art poétique ? ♦ Qu’est-ce qui est novateur dans ce poème ? Annonce du plan Dans cette lecture analytique, nous verrons tout d’abord qu’Apollinaire affirme dans « Zone » une esthétique novatrice, puis nous nous demanderons à quel point ce texte représente une rupture avec la poésie traditionnelle. Pour terminer, nous remarquerons que c’est son quotidien qu’Apollinaire place au centre de ce poème. I – « Zone » : une esthétique nouvelle A – Dans la forme Un bref survol du texte suffit pour que la structure du poème surprenne le lecteur : « Zone » commence par trois vers désolidarisés les uns des autres, puis une petite strophe de trois vers, puis deux strophes beaucoup plus longues, de 8 et 10 vers, respectivement. Cette irrégularité des strophes s’accompagne d’une grande diversité dans la longueur des vers : ♦ 11 ou 12 syllabes pour le premier vers (si on lit en faisant la diérèse du mot « an/ci/en », ce qui en fait un alexandrin); ♦ 16 pour le vers 2; ♦ 17 pour le vers 3, etc. Ce sont donc des vers libres, étonnamment longs. De même, les rimes ne respectent pas les règles traditionnelles : bien qu’il semble y avoir un schéma très simple de rimes suivies, beaucoup d’entre elles sont des rimes pauvres (ancien/matin, haut/journaux, nom/clairon, etc.) et certaines ne sont que des échos sonores (Christianisme/Pie X, sténo-dactylographes/passent, industrielle/Ternes). Enfin, il convient de remarquer l’absence totale de ponctuation, qui oblige le lecteur à trouver son propre rythme de lecture et de diction. B – Dans l’énonciation La situation d’énonciation de ce poème (qui parle ? à qui ? quand ?) est très particulière : le premier pronom à apparaître est celui de la deuxième personne du singulier, « tu », au vers 1, qu’on retrouve ensuite aux vers 3, 7, 9, 10, 11. Mais on trouve également la deuxième personne du pluriel, « vous », au vers 8 (une adresse explicite au Pape : « c’est vous Pape Pie X ») et la première du singulier, « je », aux vers 15 et 23. Quels sont donc les interlocuteurs de ce dialogue ? Il semble en réalité que la première et la deuxième personne du singulier renvoient au poète-narrateur, comme le révèle, à la suite de cet extrait, certains indices autobiographiques marqués par la deuxième personne (« tu n’es encore qu’un petit enfant », « tu es très pieux », etc.). Seul le « tu » du vers 6 s’adresse à une entité particulière, le « Christianisme ». Les indices temporels sont eux aussi brouillés et n’aident pas le lecteur à clarifier la situation : la plupart des verbes sont au présent, mais la dernière strophe de l’extrait laisse apparaître du passé composé et de l’imparfait (« J’ai vu », « j’ai oublié », « était »). L’expression « ce matin » apparaît trois fois (vers 2, 10 et 15) mais se retrouve ensuite sous la forme « le matin » (vers 19), qui renvoie à une temporalité moins précise (tous les matins). C – Dans la langue Le style du poète-narrateur de « Zone » apparaît relâché, avec un niveau de langue familier : « Tu en as assez » (v. 3), « il y a » (v. 12 et 13). Dans la dernière strophe de cet extrait, le poète semble raconter au lecteur une de ses flâneries dans Paris, nonchalamment, utilisant des verbes simples et directs pour s’exprimer (« J’ai vu », v. 15), « J’aime », v. 23) et des indications étonnamment précises dans un texte poétique (« entre la rue Aumont-Thieville et l’avenue des Ternes », dernier vers). Les images invoquées par le poète sont elles aussi banales et peu ressemblantes à ce qu’on attend de la poésie traditionnelle : « automobiles » (v. 4), « hangars » (v. 6), « journaux » (v. 12), « rue industrielle » (v. 23). Transition : Apollinaire inscrit clairement « Zone » dans une esthétique nouvelle, qui frappe dès les premiers vers par son originalité. On peut néanmoins se demander à quel point le poète s’éloigne de la tradition. II – « Zone » : un poème entre rupture et continuité A – Une volonté de rupture Dès le premier vers de « Zone », la volonté de rupture du poète se manifeste clairement : « A la fin tu es las de ce monde ancien ». Cette volonté de rupture se décline plus familièrement au vers 3 : « Tu en as assez de l’antiquité grecque et romaine ». Le « monde ancien » et « l’antiquité grecque et romaine » font référence au siècle qui vient de s’achever (le XIXe) et aux formes d’art classique, jugées obsolètes par Guillaume Apollinaire. Le début du XXe siècle voit en effet fleurir des mouvements expérimentaux, comme le cubisme et le futurisme. Au tout début de ce poème, lui-même placé en début de recueil, Apollinaire prône donc un renouvellement du monde et de l’art, marqué par l’omniprésence du présent de l’indicatif : ce qui compte, c’est « ce matin ». B – Le lyrisme Apollinaire ne rompt pas totalement avec la tradition lyrique attachée à la poésie. Alors qu’il célèbre le monde nouveau qui l’entoure, la figure du poète, présente par la deuxième personne du singulier « tu », ne semble pas entièrement à l’aise. Sans s’épancher sur ses états d’âme, il fait référence à sa « honte » (v. 9) provoquée par le regard des autres, ou peut-être de Dieu (« toi que les fenêtres observent ») et à son envie de se « confesser » (v. 10), c’est-à-dire d’exprimer ses sentiments. Plus loin dans « Zone », il évoque son enfance pieuse : cette veine autobiographique se rattache elle aussi à une certaine tradition poétique et lyrique. On peut aussi noter l’utilisation du vocatif « ô », très utilisée dans la littérature classique (« ô tour Eiffel », v. 2, « ôChristianisme », v. 7), qui souligne l’élan lyrique du poète. C – Le rôle de la religion La religion occupe une place importante dans « Zone », et Apollinaire y revient davantage dans la suite du poème. Le pronom personnel « tu » renvoie d’ailleurs autant au poète lui-même qu’au christianisme (« tu n’es pas antique ô Christianisme », v. 7), créant un rapprochement surprenant. On peut déjà remarquer ici le paradoxe entre la lassitude exprimée devant « ce monde ancien » et la vigueur du christianisme, cette religion qui « est restée toute neuve » (v. 5), qui n’est « pas antique » (v. 7) et comparée aux « hangars de Port-Aviation » (v. 6). La religion n’est pas inscrite dans le temps, elle ne peut donc pas vieillir. Le sentiment religieux est éternel : alors même qu’Apollinaire est athée, il reste marqué par son enfance pieuse, évoquée plus loin dans « Zone ». C’est ainsi qu’il ressent l’envie d’« entrer dans une église » (v. 10), tout en y renonçant par « honte », peut-être honte de la perte de sa foi. Transition : Guillaume Apollinaire conserve donc des liens avec la tradition qui l’a précédé, notamment dans les tonalités lyriques et spiritualistes du poème. Mais son sujet central, lui, est pour le moins surprenant et novateur : le quotidien d’un Parisien en début de siècle. III – « Zone » : un éloge du quotidien A – Un poème urbain L’auteur et le lecteur s’identifient à travers le « tu », qui nous invite à découvrir les déambulations d’un citadin dans sa ville. Il s’agit évidemment de Paris (« tour Eiffel », « Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes »). Ce qui intéresse le poète, c’est une « rue industrielle » (v. 23) banale mais « neuve », et c’est ce qui fait tout son attrait et sa « grâce ». Loin du « monde ancien », la rue industrielle est le témoin de la modernité et voit défiler « quatre fois par jour » (v. 18) les parisiens de ce nouveau siècle, « Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes » (v. 17). Cette longue strophe sur une rue professionnelle et bruyante (« Une cloche rageuse y uploads/Litterature/ zone-appolinaire.pdf
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- Publié le Sep 05, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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