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éruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.éruditoffre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Hegel et le "tribunal du monde" » Michel Lavoie Laval théologique et philosophique, vol. 40, n° 2, 1984, p. 175-185. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/400091ar DOI: 10.7202/400091ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 13 April 2016 09:39 Laval théologique et philosophique, 40, 2 (juin 1984) HEGEL ET LE « TRIBUNAL DU MONDE » Michel LA VOIE RÉSUMÉ. — Le thème du « tribunal du monde », que Hegel emprunte à Schiller, permet de soulever plusieurs aspects de la conception de l'histoire élaborée par le philosophe, l'histoire, à titre de «tribunal du monde», apparaissant comme Veffectuation et la prise de conscience de soi de la raison humaine sous la figure particulière de /'« esprit-du-peuple » dominant toujours-déjà le présent. Le philosophe et l'homme du monde sont en attente. Ils ont les yeux fixés sur le théâtre des événements politiques où le grandiose destin (Schicksal) de l'humanité est, croit-on, en train d'être débattu. N'est-ce pas trahir une indifférence blâmable à l'égard du bien de la société que de ne pas participer à cette conversation universelle? Par son contenu et par ses suites, ce grand procès (Rechtshandel) regarde quiconque revendique le nom d'homme; et par la méthode, il doit intéresser quiconque est animé par une pensée personnelle. Une question, à laquelle jusqu'à présent le droit (Recht) aveugle du plus fort avait seul répondu, est en ce moment, à ce qu'il semble, portée devant le tribunal de la pure raison (Richterstuhle reiner Vernunfi) ; pour peu que l'individu soit capable de se placer au centre de l'univers et de se hausser au niveau de l'espèce humaine, il a le droit de se considérer comme assesseur (Beisitzer) de ce tribunal-de-raison ( Vernunftgerichts), où il est également partie (Partei) comme homme et citoyen- du-monde (Weltburger) ; l'issue le concerne. Ce n'est donc pas seulement son affaire propre qui va se décider dans ce grand procès ; on y prononcera en vertu de lois (Gesetzen) que, parce qu'il est un esprit rationnel (verniinftiger Geist), il est lui-même capable et autorisé de dicterl. Ce texte n'est pas de Hegel, mais de Schiller. Nous le citons cependant ici parce que, en plus de constituer certainement l'une des principales sources de l'idée formulée par Hegel du «tribunal de l'histoire», il nous renseigne sur les divers aspects de cette comparaison entre la fonction de la « raison dans l'histoire » et celle d'un tribunal. On peut remarquer tout d'abord que Schiller témoigne, comme Hegel 1. Friedrich SCHILLER, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, trad. Robert Leroux, Paris, Aubier- Montaigne, 1943, pp. 74-75. 175 MICHEL LA VOIE le fera quelques années plus tard, du vif sentiment qu'il a de l'importance considérable de son époque car le contexte historique de son discours se révèle un temps « où le grandiose destin de l'humanité est, croit-on, en train d'être débattu». Ce sentiment est facilement compréhensible chez les contemporains de la Révolution française. C'est à partir de cette considération que Schiller peut introduire la métaphore du tribunal. En effet, dans une époque qui se révèle si cruciale, l'histoire qui se joue au niveau de l'effectivité se donne à vivre et à saisir comme décisive. C'est alors au moins dans deux sens qu'elle apparaît comme un tribunal. Elle est d'une part le lieu, Hegel dirait l'élément, dans lequel se déroule le procès (Rechtshandel) qui, selon Schiller, a à décider du sort de l'humanité. D'autre part, en tant que rationnelle, l'histoire se révèle constituer elle-même l'instance à laquelle il appartient de « rendre la sentence ». Pour Schiller, le « tribunal de la pure raison » remplit désormais un office qui ne relevait antérieurement que du « droit aveugle du plus fort ». Le tribunal de la raison se trouve revêtu d'une puissance rationnellement et effectivement supérieure à la force brutale. Cette puissance est celle de l'homme lui-même, mais de l'homme mû par des principes rationnels. Cet homme rationnel, « capable de se placer au centre de l'univers et de se hausser au niveau de l'espèce humaine», est en effet à la fois « assesseur» devant le tribunal de raison qui siège au moment de l'histoire universelle et « partie» dans la cause entendue par ce tribunal au cours du procès se déroulant maintenant. Or, d'après Schiller, cette puissance de la raison, qu'il compare à celle d'un tribunal, serait impensable si l'homme lui-même n'était pas rationnel et si sa rationalité n'était pas celle même au nom de laquelle on le juge : « On y prononcera en vertu de lois que, parce qu'il est un esprit rationnel, il est lui-même capable et autorisé de dicter». Nous nous sommes attardés à commenter ce texte de Schiller parce qu'il a très probablement joué un rôle déterminant dans l'élaboration, par Hegel, de sa propre conception de l'histoire-du-monde comme «tribunal» de raison. Tout d'abord, le fameux « tribunal » dont parle Schiller est bien, comme plus tard chez Hegel, celui de l'histoire-du-monde. «Die Weltgeschichte ist das Weltgericht», écrit Schiller dans le poème Résignation2. Dans les Lettres, Schiller soulignait tout particulièrement le caractère décisif de l'histoire contemporaine, moment privilégié où devait être fixé le sort de l'humanité. Hegel, en revanche, attribue ce caractère absolument décisif plutôt à l'histoire-du- monde entendue dans son universalité en et pour soi qu'à l'un ou l'autre de ses moments, dont la succession constitue simplement une « galerie d'images (eine Galerie von Bildern) » 3 de l'esprit-du-monde. Le poids de l'histoire réside donc moins dans ses moments et ses figures de particularité, si grands qu'ils soient, que dans son universalité même : Elle [l'histoire-du-monde] est un tribunal, parce que, dans son universalité étant en et pour soi, le particulier, les Pénates, la société civile-bourgeoise et les esprits- 2. Cité par DERATHÉ dans Principes de la philosophie du droit, ou Droit naturel et science de l'État en abrégé, traduction, présentation et notes par R. Derathé, Paris, Vrin, 1975, p. 333, note 3. 3. Phénoménologie de l'esprit, HOFFMEISTER, p. 563; HYPPOLITE, t. II, p. 311. 176 HEGEL ET LE « TRIBUNAL DU MONDE » des-peuples (die Vôlkergeister) dans leur effectivité bigarrée sont seulement en tant qu'idéels, et le mouvement de l'esprit dans cet élément est de présenter ceci (dies darzustellen)4. Mais Hegel rejoint Schiller dans la mesure où cette universalité n'est en et pour soi que sous une figure de particularité. L'esprit-du-monde, qui dispose de la fonction de tribunal dans son élément, l'histoire-du-monde, ne peut pourtant jamais exercer cette tâche hors de sa figure d'effectivité présente : l'esprit-du-peuple qui en est actuellement porteur. Celui-ci exerce alors cette puissance sur la particularité qu'il trouve, d'une part, face à lui et, de l'autre, en lui. Et c'est l'esprit-du-monde qu'il porte en lui qui, seul, lui donne le droit d'agir ainsi, c'est-à-dire de constituer par là le royaume d'effectivité de la liberté en sa figure la plus haute : En regard (gegen) de ce vouloir absolu, la volonté des autres esprits-du-peuple particuliers est sans-droit (rechtlos), ce peuple est le [peuple] commandant-le- monde (das weltbeherrschende) ; mais tout aussi bien il marche par-dessus ce qui est chaque fois sa propriété (sein jedesmaliges Eigentum) comme par-dessus un niveau particulier, et l'abandonne ensuite à son sort (Zufall) et [à son] tribunal (Gericht)5. En outre, après Schiller, Hegel insiste fortement sur le fait que c'est sa rationalité absolue qui constitue l'histoire-du-monde comme tribunal. En effet, pour lui, ce tribunal n'est en rien celui d'un destin étranger dont la puissance s'exercerait simplement, du point de vue de l'homme qui la subirait, comme une force aveugle : « L'histoire-du-monde n'est en outre pas le simple tribunal de sa puissance (das blope Gericht seiner Macht), c'est-à-dire la nécessité abstraite et irrationnelle (vernunftlose) d'un destin aveugle » 6. Or, ce tribunal constitué par le devenir de l'histoire-du-monde dans la succession de ses moments particuliers se révèle plutôt comme un mouvement empreint de rationalité. L'histoire-du-monde est en effet le devenir même de l'esprit et, par conséquent, son effectuation en tant que rationnel : Parce qu'il [l'esprit] est en et pour soi raison, et que son être-pour-soi dans l'esprit est savoir, elle [l'histoire-du-monde] est le développement nécessaire, à partir seulement du concept de sa liberté [de l'esprit] (aus dem Begriffe nur seines Freiheit), des moments de la raison et ainsi de sa conscience-de-soi et de sa liberté [de l'esprit], — l'exposition (Auslegung) et [V]effectuation de l'esprit universel1. On peut retenir de ce texte particulièrement difficile une nouvelle affirmation du fait que l'histoire-du-monde est le tribunal de la raison dans le devenir ou, uploads/Litterature/hegel-et-le-quot-tribunal-du-monde-quot-michel-lavoie.pdf
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- Publié le Mai 04, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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