1 Maia Benidze DESE- Doctorat d’études supérieures européennes Littératures de
1 Maia Benidze DESE- Doctorat d’études supérieures européennes Littératures de l’Europe Unie Université d'État Ivané Javakhichvili de Tbilissi Le symbolisme du mythe de Caïn et Abel dans la littérature européenne « tout texte est un texte double, deux mains, deux regards, deux écoutes, ensemble ou séparément ». J. Derrida La littérature puise dans la Bible comme dans un vaste réservoir d’images et de métaphores mythiques. La transformation, le recyclage et la réactualisation des « grands thèmes, des structures narratives s’inscrit dans un mouvement de feed back. « La Bible fonctionne ainsi comme une matrice génératrice du sens qui de la Genese à l’Apocalypse offre des thèmes universels que la littérature reprend, réactive, remodèle litteralement ou allusivement et leur donne sa structure spécifique. Donc, il s’agit du passage, de la transformation du mythe traditionnel au mythe littéraire ». Cette réflexion de W. Blake représente le point de départ de la théorie de Northrop Frye sur les relations entre la Bible et la littérature – « Grand Code » (Son titre est emprunté à William Blake qui notait dans son Laocoön :"The Old & New testament are the Great Cod of Art"). Ainsi, d’après N. Frey, la Bible définie comme « littérature dans la litterature universelle » se voit attribuer d’un statut particulier pour l’écriture littéraire qui trouve sa source d’influence importante dans la mythologie biblique qui procure aux récits littéraires un modèle de structuration spatiale et temporelle.1 Ainsi, le langage littéraire qui se confond avec le langage biblique, tout en articulant son propre discours universel à l’intérieur du texte littéraire, forme, tisse un métatexte mythique, une structure verbale qui existe, se développe indépendamment. Dans cette perspective, la notion du mythe pensée à travers la littérature est vue comme une « unité suffisante », une structure sur laquelle repose une œuvre. Le mythe perd son statut de « social construct », il n’est plus ni vrai ni faux, mais il est ce qui organise, » fonde ce qui autrement resterait dans le chaos primordial ». Dans ce sens, toute invention (littéraire, philosophique, scientifique) est l’expression d’une nouvelle forme, d’une forme qui n’existait pas avant, elle est donc un nouveau mythe. En bref, si pour André Jolies le mythe biblique représente une des « formes simples » de la littérature, Northrop Frye voit dans l'étude des mythes « une des branches essentielles de la critique littéraire ». Selon lui, la mythologie et la Bible sont considérées comme « une 1 Northrop Frye, Le Grand Code. La Bible et la littérature, Seuil, Paris, 1984 2 grammaire des archétypes de la littérature » (Anatomie de la critique, p. 165). Alors que Gilbert Durand va élargir le rapport mythe/littérature en affirmant que : « La littérature, et spécialement le récit romanesque sont un département du mythe »2, une réflexion qui répond à la suggestion de Jacques Derrida « tout texte est un texte double, deux mains, deux regards, deux écoutes, ensemble ou séparément »3. Ainsi, l’impact du passage du mythe biblique en littérature est fort et ses résonances font l’objet d’étude de nombreux critiques littéraires. Comment émerge et se développe l'élément mythologique dans le tissu du texte littéraire ? Comment l’imaginaire des écrivains est-il marqué par cette insertion ? Ce parcours, ce « voyage » des motifs, des figures mythologiques d’un texte à l’autre porte-t-il un caractère conscient ou inconscient ? Ce sont des questions fondamentales auxquelles chaque méthode d’étude littéraire essaie de donner sa propre réponse. Dans cette perspective, afin de montrer le changement du symbolisme du mythe biblique de « Caïn et Abel » à travers la littérature européenne et suivre la transformation qu’il subit dans des différentes époques et chez divers auteurs, on va s’appuyer essentiellement sur la théorie de l’intertextualité, tout en restant dans la logique de l’étude mythocritique. Alors, notre présentation (exposé) va s’organiser autour deux axes principaux : De l’intertextualité à la mythocritique Evolution et interprétation du mythe biblique du premier fratricide dans la littérature européenne. Né au cours des années soixante, le concept d'intertextualité est aujourd'hui un des principaux outils critiques dans les études littéraires. Dès le début, les critiques qui ont retracé l’historique du concept d’intertextualité ont toujours souligné le flou terminologique et la multiplicité des termes du métalangage en concurrence ; on parle ainsi de dialogisme, d’intertextualité, d’hypertextualité ou de récriture, de rhizome. Quant à l’historique du terme, la notion d'intertextualité reste, à son origine, indissociable des travaux théoriques du groupe Tel Quel. La notion a été définie pour la première fois par Julia Kristeva à la base des travaux de M. Bakhtine. D’après Julia Kristeva, le concept d'intertextualité a pour point de départ l’idée qu’aucun texte littéraire ne s’écrit « à partir de zéro ». Tout texte a des précurseurs, de sorte qu'il est d’office un « intertexte », faisant partie 2 Gilbert Durand, Le décor mythique de la chartreuse de Parme. Paris Corti 1961, page 12 3 Jacques Derrida, Marges de Za Philosophie, Ed. de Minuit. Collection Critique, Paris, 1972 3 d’un réseau infini. Quant à J. Derrida, il la définit comme « la dissémination des textes antérieurs » dans un nouveau texte4, alors que B. Dupriez parle de « la présence en tout discours de tant de textes consommés »5. O. Ducrot et T. Todorov donnant leur définition du concept de l’intertextualité, affirment que « le discours est loin d’être une unité clos .Tout texte est absorption et transformation d’une multitude de textes »6 tandis que pour Ph. Sollers : « Tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est à la fois la relecture, l’accentuation, la condensation, le déplacement et la profondeur »7, alors que pour L. Jenny, l’intertextualité désigne non pas une addition confuse et mystérieuse d’influences, mais le travail de transformation et d’assimilation de plusieurs textes, opéré par un texte centreur8. Contrairement à la définition de Kristeva, celle de Genette est assez restrictive. Dans Palimpsestes, Genette envisage la notion d’intertextualité dans une optique différente : elle n’est plus considérée comme un élément central, mais comme une relation parmi d’autres. Il intègre cette notion dans un système de relation qui définit la littérature dans sa spécificité : « la transtextualité ». G. Genette s’attache avec exhaustivité à étudier tous les faits d’inter- textualité, qu’il a rebaptisée du nom plus large de transtextualité. La poétique, selon lui, ne doit pas se borner au texte, mais étudier la transtextualité qui inclut cinq types de relations, dont celle de l’intertextualité ( La citation, le plagiat, l’allusion). Avec ce changement terminologique Genette « nettoie » en quelque sorte le champ de l’intertextualité afin de le rendre plus opératoire. Elle n’est pas un élément central mais une relation parmi d’autres9. L’intertextualité a bien fait dès le début la rupture très nette avec les notions de source et d’influence qui jusqu’alors représentaient les notions clés pour l’étude des relations entre les textes. Ce n’est plus le point de départ qui compte (source), mais le point d’arrivée (texte dans son immanence). Autrement dit, « seuls importent l’aval et les transformations que le texte subit à l’amont ». Alors, on se opte plutôt de parler de l’intertextualité en termes de « réseaux des rapports » que la faire positionner parmi les notions issues tout simplement des différents types d’influences ou d’imitations et c’est au lecteur de les identifier, de les interpréter10. A ce propos, Umberto Eco « parle de la perte d’innocence du lecteur par rapport aux textes qu’il consomme ». En effet, pour lui : « Aucun texte n’est lu indépendamment de l’expérience que 4 Jaques Derrida, De la dissémination, Seuil, Paris, 1972 5 Bernard Dupriez, Gradus, Les procédés littéraires d’expression, Paris, 10/18, 1984. 6 Osvald Ducrot & Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil, Paris, 1972 7 Philippe Sollers, in Tel Quel. Théorie d’ensemble, Seuil, Paris, 1968 8 Laurent Jenny, « La stratégie de la forme », in Poétique, n° 27, 1976 9 Gérard Genette, Palimpsestes, Seuil, Paris 1982 10 Nathalie Piégay-Gros, Introduction à l’intertextualité, Dunod, Paris, 1996 4 le lecteur a d’autres textes », faisant ainsi accent à la capacité herméneutique de tout individu face à un texte11. C’est justement M. Riffaterre qui explore depuis la fin des années 70 sa théorie de l’intertextualité, dans le cadre d’une théorie de la réception. Michaël Riffaterre ne considère plus l’intertextualité comme un élément produit par l’écriture, mais comme un effet de lecture : c’est au lecteur qu’il appartient de reconnaître et d’identifier l’intertexte. Ainsi, dans la pratique concrète de tous les critiques, on constate deux tendances générales plutôt opposées: certains, à l’instar de M. Riffaterre, focalisent leur étude sur un vers, un mot, dont la dissonance avec le reste du texte nécessite le recours à un intertexte. Ils restent donc dans la microstructure. D’autres, sur le modèle de G. Genette, plutôt que d’étudier les microstructures, les fragments, privilégient les macrostructures : les structures ou les traits génériques d’un texte12. Un élargissement du concept d’intertexte, s’est opèré vers les domaines mythique et historique dans les années 80. A ce sujet Marc Eigeldinger uploads/Litterature/histoire-litteraire.pdf
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- Publié le Mai 30, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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