Jacques Rigaut Une introduction à la vie et à l’œuvre d’une légende surréaliste

Jacques Rigaut Une introduction à la vie et à l’œuvre d’une légende surréaliste Mémoire Rédigé par E.L.D. Vette 9501282 Dirigé par Prof. Dr. M.B. van Buuren Doctoraalscriptie Franse taal en cultuur Universiteit Utrecht 3 juli 2007 TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS 3 INTRODUCTION 4 I. LA VIE DE JACQUES RIGAUT 6 1.1. Biographie 6 1.2. Rigaut et le mouvement Dada 16 1.2.1. Les origines de Dada 16 1.2.2. Le ‘groupe Littérature’ 18 1.2.3. La participation de Rigaut à la « Saison dada 1921 » 20 II. L’ŒUVRE DE JACQUES RIGAUT 24 2.1. Le miroir et la personnalité ‘reflétée’ dans Lord Patchogue 26 2.2. La symbolique du miroir 28 2.3. Le problème de l’authenticité et de la conscience 35 2.4. L’ennui et le dilemme ‘être ou ne pas être’ 45 2.5. Rigaut et l’écriture 53 III. LA VOCATION AU SUICIDE 57 CONCLUSION 66 PUBLICATIONS DE / CONCERNANT RIGAUT 67 BIBLIOGRAPHIE 70 2 AVANT-PROPOS Il y a quelques années j’ai découvert, dans la revue littéraire néerlandaise Raster, une figure du dadaïsme et premier surréalisme, qui m’était alors inconnue : Jacques Rigaut (1898-1929). L’article, de la main de Dirk Van Weelden, datait de 1986 dressant le portrait de sa vie en grandes lignes et reproduisant quelques-unes de ses réflexions et aphorismes. Les propos de Van Weelden éveillèrent ma curiosité ; je fus aussitôt fascinée par le personnage. Il s’avéra que mon ignorance à son égard n’avait rien d’étonnant car l’écrivain en question avait commis suicide à l’age de trente ans sans laisser un œuvre littéraire. Pourtant il a su atteindre un statut de légende. Après son suicide il s’avéra que cet homme avait beaucoup plus écrit que la plupart de ses contemporains ne l’auraient cru. Au fil des années, les manuscrits de Rigaut ont suscité l’attention d’un petit groupe d’amateurs, leur dévouement les a préservés de l’oubli : de la publication par un ami de Rigaut de ses Propos Posthumes en 1934, trois ans après son suicide, à une édition scientifique de ses manuscrits intégraux en 1970 en passant par des romans surréalistes inspirés de Rigaut dans les années vingt et une adaptation cinématographique de l’un d’eux par Louis Malle en 1964. Plus récemment, en 2004, une édition spéciale de La Nouvelle Revue Française vit le jour, ornée d’un lacet rouge doté de l’intitulé « Hommage à Jacques Rigaut », et une biographie officielle est en préparation. Considérant l’absence d’une biographie intégrale et d’une étude approfondie des écrits de Rigaut au moment de l’élaboration de ce mémoire, celui-ci se définit nécessairement comme introduction à la vie et à l’oeuvre du personnage mystérieux que fut Jacques Rigaut. Mijn ouders, zusjes, vrienden, en scriptiebegeleider bedankt voor jullie geduld en stimulans. Ik bedank speciaal Noël en Janine voor hun vertrouwen, hulp, en toewijding aan ‘de S’. Sur la page de titre : image de Jacques Rigaut par Man Ray 3 INTRODUCTION Le rôle qu’on attribue à Jacques Rigaut dans l’histoire du surréalisme français est généralement un rôle marginal. Dans les cas rares où il est mentionné, il est décrit en tant que l’un des « précurseurs1 » du surréalisme, par Robert Sabatier, ou « un jeune homme énigmatique2 » ayant le statut d’un légende par Michel Sanouillet dans son travail fondateur sur le dadaïsme parisien. D’autres comme Alain et Odette Virmaux se demandent à juste titre si cette « dimension mythique3 » est méritée. Ne pouvant pas le classer dans une catégorie quelconque, on l’associe parfois aux autres personnages surréalistes disparus jeunes tels que Jacques Vaché, Arthur Cravan, et René Crevel. Nous commençons par esquisser la biographie de Rigaut, puisque les informations de sa vie ne sont généralement pas connues. Et puisque la vie et l’oeuvre sont, dans l’héritage dadaïste, indissociables. Nous esquisserons également l’esprit de l’époque, ainsi que le mouvement dada auquel il participait pendant sa dernière saison parisienne. Pour ce chapitre nous appuierons sur les progrès des recherches sur la vie de Rigaut par Jean-Luc Bitton, son « biographe à l’œuvre ». Dans son blog, Bitton raconte ses avances4. Là où nous n’utilisons pas de références directes, les informations données proviennent de Bitton. Ensuite nous examinerons thématiquement l’héritage littéraire de Rigaut dans le but de structurer sa collection de textes, brouillons, ébauches en aphorismes, cohérence initiée par Martin Kay dans l’édition intégrale des Écrits. Nous étudierons les thèmes que nous jugeons les plus importants des écrits de Rigaut. Une étude détaillée des écrits de Rigaut est bien annoncée par Martin Kay5, mais n’a (à notre connaissance) jamais été publiée. D’abord nous examinerons le thème primordial du miroir et de la personnalité ‘reflétée’, après quoi nous aborderons le problème de l’authenticité. Nous nous appuierons sur l’une des histoires jamais achevée, Lord Patchogue. Ensuite nous traiterons un motif au moins aussi important, celui de l’ennui et de l’homme de l’ennui. Parallèlement nous abordons le dilemme existentiel qui résulte de ce motif. Nous terminerons ce chapitre par un examen des idées de Rigaut sur la littérature et l’écriture. Dans un dernier chapitre, nous étudierons ‘l’œuvre d’art’ qui l’a rendu immortel : son suicide, ainsi que la fascination des surréalistes quant à son suicide et à la question du suicide en général. 1 Robert SABATIER, La poésie du vingtième siècle, T. II : Révolutions et Conquêtes, « Trois précurseurs », Paris, Albin Michel, 1982, p. 254. 2 Michel SANOUILLET, Dada à Paris, Paris, CNRS Éditions, 2005 [1965], p. 157. 3 Alain & Odette VIRMAUX, Cravan, Vaché, Rigaut. Suivi de : le Vaché d’avant Breton, s.p., Rougerie, 1983, p. 7. 4 Cette biographie de Rigaut est projetée pour l’année 2007, et paraîtra chez l’éditeur Denoël. 5 Martin KAY, Écrits, Paris, Gallimard, 1997, p.229. 4 Lorsque nous citons Rigaut, la citation vient toujours des oeuvres complètes éditées par Martin Kay, les Écrits. Cette édition parut pour la première fois chez Gallimard en 1970, nous ferons usage de l’édition de 1997. Pour les références aux propos de Rigaut, nous nous contenterons donc de mentionner le numéro de page dans Écrits. Les citations tirées des Écrits mais qui ne proviennent pas de Rigaut sont l’objet d’une note de bas de page. Les citations en anglais sont conservées dans cette langue. Enfin, pour souligner l’importance des personnages qui ne s’inscrivent pas dans l’histoire de la littérature, nous utilisons la citation de Jan Kott mentionnée par Jeroen Brouwers dans De laatste deur, et qui s’applique à Rigaut : Il y a des vies d’auteurs qui n’appartiennent pas seulement à l’histoire littéraire, mais aussi à la littérature même – comme une reproduction raccourcie du destin humain. De premier abord, ce sont les biographies des poètes qui se sont détournés de la littérature tels que Arthur Rimbaud, qui sont devenus fou tels que Friedrich Hölderlin ou qui ont pris leur vie tels que Heinrich von Kleist et Sylvia Plath. Les expériences de l’existence humaine sont résumées dans ces biographies ; elles révèlent la limite entre la littérature et le domaine du silence.6 I 6 Notre traduction. « Er zijn schrijverslevens die niet alleen tot de literatuurgeschiedenis behoren, maar ook tot de literatuur zelf –als een verkorte weergave van het menselijk lot. Dat zijn in de eerste plaats de levensbeschrijvingen van dichters die zich van de literatuur afkeerden zoals Arthur Rimbaud, die krankzinnig werden zoals Friedrich Hölderlin of die zelfmoord pleegden zoals Heinrich von Kleist en Sylvia Plath. De ervaringen van het menselijk bestaan zijn samengevat in deze levensgeschiedenissen; zij openbaren de grenzen waar de literatuur eindigt en het gebied van de stilte begint. » Jan KOTT, postface à Tadeusz BOROWSKI, Hierheen, naar de gaskamer, dames en heren, cité par Jeroen BROUWERS, De laatste deur, Amsterdam, De Arbeiderspers, 1983, p. 36,37. 5 LA VIE DE JACQUES RIGAUT 1.1 Biographie Jacques Rigaut naît le 30 décembre 1898 à Paris, second fils de Georges-Maurice Rigaut et de Madeleine Berthe-Pascal et frère cadet de Pierre. A propos de son enfance des informations détaillées font défaut. Nous empruntons à Robert Desnos le fait que son père exerce l’emploi de chef de rayon au Bon Marché7. Jean-Luc Bitton nous révèle que la famille vivait aisément grâce à un héritage du grand-père maternel. Ce grand-père se serait suicidé en 1893 après le mariage de sa fille. La famille habitait un appartement bourgeois au boulevard Raspail, près des magasins du Bon Marché. Bitton nous informe à propos du caractère de Madame Rigaut qu’elle arborera un certain dédain auprès de son mari car il n’est que le fils d’une « simple couturière8 ». Mme Rigaut elle-même était pourtant d’origine paysanne. Rigaut fréquente respectivement le Lycée Montaigne, le Collège Stanislas et le Lycée Louis-le-Grand, des établissements scolaires dits prestigieux. Au lycée Montaigne il se lie d’amitié avec René Chomette (le futur cinéaste connu sur le nom de René Clair) et en 1913 au Lycée Louis-le-Grand avec Maxime François-Poncet, ‘Max’, à qui Rigaut se sent particulièrement lié. Il a l’habitude de se promener de temps en temps dans le jardin du Luxembourg avec Max et René au lieu d’aller en classe. Nous ignorons s’il fut un bon élève9. Dans une lettre à René Chomette, écrite à l’age de uploads/Litterature/jacques-rigaut-une-introduction-a-la-vie-et-a-l-x27-oeuvre-d-x27-une-legende-surrealiste 1 .pdf

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