© Éditions Hatier International, 2002. © Hatier, 19 8 2. Reproduction interdite
© Éditions Hatier International, 2002. © Hatier, 19 8 2. Reproduction interdite sous peine de poursuites judiciaires. 9 7 8 27 4 7 3067 37 – 1re publication COLLECTION MONDE NOIR POCHE La carte d’identité, de Jean-Marie Adiaffi (roman) Les tresseurs de corde, de Jean Pliya (roman) Les frasques d’É binto, d’Amadou Koné (roman) Le respect des morts, d’Amadou Koné (théâtre) Jaz z et vin de palme, d’Emmanuel Boundzéki Dongala (nouvelles) C ycle de sécheresse, de Cheikh C. Sow (nouvelles) L’étrangère, d’Anna-Marie Niane, Salima G rira, Patricia Laboukh, Yoka Lyé Mudaba, Jacqueline Lemoine, Abdou Traoré dit Diop, Boubakar Diallo, Étienne G oyémidé, Papa Samba Diop, Nabil Haidar, Sanvee Messan, Babakar Ndao, Brigitte Masson (nouvelles) A nthologie africaine d’expression franç aise, de Jacques Chevrier (volume I : le roman et la nouvelle) A nthologie africaine d’expression franç aise, de Jacques Chevrier (volume II : la poésie) COLLECTION MONDE NOIR POCHE JEUNESSE Les aventures de T ô pé-l’A raignée, de Touré Minan Théophile (roman) P ain sucré, de Mary Lee Martin-Koné (roman) I L’ÉTONNANTE ET DIALECTIQUE DÉCHÉANCE DU CAMARADE KALI TCHIKATI The day w ill not save them And w e ow n the night. LeRoi Jones (Imamu Baraka) Le jour ne les sauvera pas Et la nuit nous appartient. Lorsque j’arrive dans une ville inconnue, j’aime souvent la découvrir le soir, entre ces heures mal définies et fugitives où le jour meurt et où la nuit graduellement émerge pour étaler le voile de son empire. C’est à ces moments-là que l’on capture le mieux les pulsions secrètes d’une ville, ses craintes et espoirs, où l’on surprend tout ce qui hésite encore entre paraître et disparaître, le moment où les hommes et les choses sont le moins sur leurs gardes. C’est l’heure des odeurs particulières, des fumées au goût de bois et de pétrole, des lampes tempêtes et des bougies qui surgissent soudain, clignotantes comme mille lucioles alignées le long des trottoirs où se vendent du manioc, des brochettes, des cacahuètes grillées... Et puis ces rumeurs, propres à chaque ville, faites de voix étouffées, de cris de femmes à la recherche de leur progéniture n’ayant pas encore regagné le gîte familial, d’aboiements de chiens, de bruits de moteurs, de boîtes de nuit hurlant des rengaines à la mode. C’est enfin l’heure où apparaissent au coin des rues les premiers amoureux rendus anonymes par le jour qui s’en va, et les premières belles de nuit, papillons nocturnes transfigurés en odalisques étrangement désirables par le doux velours de la nuit. Qu’ils sont enivrants ces instants intervallaires, prodrome et pressentiment de ces forces qui sourdent des nuits africaines ! Il y avait quelque chose en plus dans la ville où je me trouvais ce soir-là : l’océan et son murmure, son vent léger et salé. Comme dans tous les ports du monde, on y trouvait la faune cosmopolite de marins étrangers attendant la nuit pour quitter la mer, leur élément, afin de jouir des plaisirs de la terre ferme ; on y rencontrait aussi beaucoup de Cubains, arrière-garde de ceux qui débarquèrent ici pour aller combattre en Angola. Je déambulais donc ce soir-là dans les rues de Pointe-Noire avec le plaisir que l’on ressent parfois à se trouver en terra incognita surtout lorsque, comme ici, les rues ne possèdent ni nom, ni numéro ; on vous donnait une adresse en indiquant sa position par rapport à tel commerçant bien connu ou par rapport à telle buvette. Je continuais à me balader ainsi à l’aveuglette jusqu’à ce que la nuit me submerge dans le quartier Ntiétié. Je cherchai alors un taxi pour m’emmener chez « la Veuve Djembo », restaurant que m’avaient recommandé des amis de Kinshasa mais je n’en trouvai point sur le moment. Assoiffé et fatigué, je décidai de m’asseoir un instant chez « Josepha », la buvette située en face, de l’autre côté de la rue, pour me désaltérer et me pénétrer un peu de la chaleur fraternelle de la nuit ponténégrine dans ce bar-dancing populaire. A peine m’étais-je installé que je vis entrer, avec une force que je ne saurais qualifier autrement que comme une force de la nuit, un grand gaillard vêtu d’un ample boubou bariolé, barbe touffue, cheveux abondants mal peignés et portant autour du cou un gri-gri comme ceux que vendent les marabouts sénégalais. Il avait l’air d’un matelot perdu, d’un bateau à la dérive venant chercher le havre d’un port dans ce bar peu chic. Il émanait de lui une impression bizarre faite en même temps de force et de solitude désespérée ; mais le plus curieux était que je trouvais à cet individu quelque chose de familier, et plus je le regardais, plus j’étais convaincu de l’avoir connu. Il ne s’assit pas, alla directement au bar comme s’il voulait s’en jeter une vite fait derrière la cravate afin de pouvoir continuer sa fuite et retrouver cette nuit d’où il avait surgi. Je cherchai dans mes plus lointains souvenirs, je fis défiler sur l’écran de ma mémoire des connaissances qui peu ou prou lui ressemblaient, mais je ne trouvais toujours pas ; j’abandonnai donc mes efforts et me mis à savourer tranquillement ma boisson. * * * Les gens de Pointe-Noire sont de grands buveurs de bière et de vin rouge importé, ce qui fait qu’à cette heure où commence la nuit, ils envahissent les buvettes comme les insectes nocturnes courent à la lumière, afin d’étancher une soif accumulée toute la journée dans cette ville où il fait particulièrement chaud malgré la présence de la mer. Ils ont le vin gai, sont charmants et bons vivants ; et comme tous les peuples du sud dont je suis, ils sont parfois vains, souvent fanfarons mais, trait sympathique, ils aiment les femmes. J’en étais là de mes élucubrations sociologiques lorsque je sentis une tape amicale sur mon épaule droite suivie d’une exclamation : – Tiens, mais c’est Kuvezo ! – Ah ! c’est toi, fis-je, faisant furieusement travailler mes cellules grises car, lui, il m’avait reconnu ; son nom... je l’avais là au bout des lèvres... je brûlais... fiat lux, un éclair : Kali Tchikati ! Mais c’est toi, Kali Tchikati, c’est pas possible, que fais-tu ici ? – C’est plutôt à moi de te poser la question, mon cher Kuku... – Tu continues toujours à m’appeler par ce sobriquet ridicule. Assieds-toi. Que deviens-tu ? Raconte ! Qu’est-ce que tu bois, je t’invite. Il ne se fit pas prier, il était vraiment ravi de me revoir. Pensez- vous, nous ne nous étions pas vus depuis cinq ans, depuis qu’on l’avait exclu du Parti unique qui contrôlait tous les faits, gestes et pensées des citoyens dans notre pays. Il commanda une grande bouteille de vin rouge en digne fils du coin ; nous continuâmes nos salamalecs jusqu’à ce qu’on nous apportât la bouteille. – A notre santé et à nos retrouvailles, mon cher Kali, dis-je, en levant mon verre. – Et pour les ancêtres aussi, répondit-il, en versant par terre quelques gouttes de son vin. J’ai d’abord pensé qu’il continuait à se moquer de ces théoriciens du mythe de l’authenticité contre lesquels il avait, en bon progressiste, milité toute sa vie. Et pourtant il y avait dans son geste quelque chose de plus, de, comment dire, d’authentique, presque un acte de foi. Cela me surprit fort mais je ne m’y attardai pas. Nous bûmes alors, moi ma bière, lui son vin, ce mauvais vin rouge que la France nous envoyait lorsqu’elle nettoyait le fond de ses caves et cuves ; un seul verre suffisait pour me donner une migraine lancinante pendant des heures ; il semblait par contre que l’effet fût inverse sur Kali car, après avoir bu un verre, l’excitation, qu’il avait manifestée tout à l’heure en me voyant, était complètement tombée ; il avait repris son regard inquiet de personnage traqué. Mais qu’avait-il donc ? – Dis-moi, Kali Tchikati, qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as l’air inquiet, on te dirait traqué par tous les démons de la nuit. – Tu ne saurais mieux dire ! En effet, je suis traqué. – Par quoi ? Par qui ? Je croyais tes ennuis avec le Parti terminés. Il ne dit rien pendant un moment, puis vida la moitié de son verre et lâcha : – Mon cher Kuvezo, tu as devant toi quelqu’un qui va bientôt mourir : j’ai été ensorcelé par mon oncle paternel. Ce fut la phrase que me jeta Kali Tchikati à la face. J’ai cru un instant qu’il plaisantait ; j’allais rire en disant qu’on ne me la faisait pas lorsque je fus arrêté par le désespoir lucide que je lus au fond de ses yeux, grandes fenêtres ouvertes sur la profonde détresse de son âme. Je compris que c’était sérieux. Malgré tout, il m’était difficile de croire en sa « conversion », de penser que Kali Tchikati pût croire à la sorcellerie ou du moins aux manifestations mystiques et métaphysiques auxquelles les gens croient dans notre société. Je ne pus donc m’empêcher de le uploads/Litterature/jazz-et-vin-de-palme-dongala.pdf
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- Publié le Nov 06, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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