Milieux bibliques M. Thomas Römer, professeur Enseignement et recherche Cours :

Milieux bibliques M. Thomas Römer, professeur Enseignement et recherche Cours : Le cycle d’Abraham (suite) : alliances, guerres et sacrifice scandaleux La suite du cours sur la formation du cycle d’Abraham a complété l’analyse des textes de Genèse 11,27-25,31 dans le but de reconstruire les contextes socio- historiques dans lesquels les différents récits sur l’ancêtre fondateur du judaïsme ont vu le jour. Rappelons brièvement les résultats obtenus lors de la première partie de ce cours. Nous avons vu qu’il est impossible de reconstruire une « époque patriarcale ». Abraham, comme Isaac et Jacob, sont des ancêtres, des figures de légende qui échappent à l’historien. Cela n’exclut pas la possibilité que certains noms ou des coutumes gardent des « traces de mémoire » de constellations du deuxième millénaire avant notre ère. Mais il faut d’abord se concentrer sur le fait que l’histoire d’Abraham comme celle de Jacob nous renseigne sur un type de religion populaire en Israël et en Juda durant le premier millénaire. Les attestations d’Abraham en dehors de la Genèse (Ez 33,24 ; Es 51,1-3) indiquent que le patriarche fut apparemment un personnage connu au moment de l’exil babylonien. Les références en Ez et Es font apparaître Abraham comme un ancêtre autochtone qui n’est pas venu d’ailleurs mais qui a toujours habité dans le pays. Les deux textes font apparaître les deux thèmes qui structurent le cycle d’Abraham : le problème de la possession du pays et celui du fils ou de la descendance. On peut donc imaginer une première version écrite de l’histoire d’Abraham qui se base sur certains récits pouvant remonter à l’époque de la monarchie. 1. Il est fort possible que les premiers récits sur Abraham soient à chercher à Hébron qui était au viiie/viie siècle la « capitale » du Néguev. Certains récits où Abraham apparaît comme aristocrate rurale, propriétaire et éleveur de bétail, reflètent apparemment la situation socio-économique du ‘am ha’aretz judéen. 516 Thomas römer L’auteur serait alors un représentant de cette couche aisée de paysans éleveurs méfiants vis-à-vis d’un pouvoir central (jérusalémite) et d’une organisation urbaine de la société. 2. À l’époque babylonienne, ces narrations ont été regroupées pour justifier le droit des Judéens non-exilés au pays et à un avenir (descendance). Cette édition exilique comportait sans doute les récits suivants : 12,10-20; 13*; 16*; 18,1-16*; 19*; 21*. Abraham tel qu’il apparaît dans ces textes est une figure autochtone, rien n’est dit d’une provenance extra-cananéenne. Gn 12,10-20 : La descente d’Abram en Égypte peut se comprendre comme un récit d’anti-Éxode. Pharaon est décrit d’une manière positive et Abram fait preuve d’un comportement ambigu. Gn 12,10-20 (comme d’ailleurs Gn 16) correspond dans sa structure à un type de récit folklorique pouvant provenir de la tradition orale. Ce récit a tellement intrigué qu’il a connu deux relectures en Gn 20 et 26 qui tous les deux tentent de répondre à des questions restées ouvertes et à disculper autant que possible le comportement du Patriarche. Sur le plan herméneutique, le choix des derniers éditeurs du Pentateuque de laisser coexister les trois versions est significatif et nous renseigne sur l’intelligence du Pentateuque. C’est une conception dynamique qui inscrit la nécessité de l’interprétation dans le texte même. Gn 16 était peut-être à l’origine conçu comme la suite de 12,10-20, puisque Hagar est expressément présentée comme une servante égyptienne. Le récit primitif (1-2.4-7a.8.11-13) contient une narration étiologique expliquant le nom d’Ismaël. Il reflète une situation du viie siècle si on peut mettre le nom d’Israël en relation avec celui de la confédération de tribus proto-bédouines du nom de Shumu’il attesté dans des documents néo-assyriens. Ce récit est lié à Gn 12,10-20 par sa visée « anti-exodique ». Hagar, selon le texte primitif de Gn 16,13, proclame avoir vu Dieu et être restée en vie, précédant voire dépassant ainsi la figure Moïse. Gn 13 constitue le premier grand récit concernant la relation entre Abraham et Lot. Un récit qui aboutit à la séparation des deux parents. Il est possible qu’à un stade présacerdotal les ch. 13.18-19* aient formé une petite nouvelle d’Abraham et Lot. Le récit dans sa forme primitive (v. 2, 5, 7-11a, 12-13*) traite de la parenté entre les Judéens et leurs voisins à l’est : Moabites et Ammonites, dont Lot est l’ancêtre. Gn 18 : l’histoire de la visite des 3 hommes (dieux ?) se termine sans que l’annonce du fils (allusion au nom d’Isaac par le rire de Sarah) s’accomplisse. Il est donc possible que l’histoire se terminait par la naissance du fils, fin qui aurait dans la suite été remplacée par la version sacerdotale en 21,1 ss. Dans sa forme actuelle c’est le thème de l’hospitalité qui fait le lien entre ce récit et la destruction de Sodome qui a été abordée en ouverture de la deuxième partie de ce cours. 3. Au début de l’époque perse, le milieu sacerdotal rédige la première histoire des origines du monde et d’Israël, allant de la création du monde en Gn 11 jusqu’à l’établissement du culte sacrificiel dans le Lévitique. La version sacerdotale de l’histoire d’Abraham comporte les éléments suivants : 11,27-31; 12,4b-5; Milieux bibliques 517 13,6.11b‑12; 16,3.15s; 17; 19,29; 21,1b-5; 23; 25,7-11a. Si P est le premier à établir un lien littéraire entre les patriarches et les traditions de l’exode et du désert, on comprend bien la transformation du pays d’Abraham en « pays de migrations » (17,8). P donne également à Abraham une origine mésopotamienne (11,27 ss) peut-être pour en faire un modèle pour le retour de Golah babylonienne. 4. Un rédacteur universaliste a peut-être combiné la version P avec les récits non-P sur Abraham. Il a créé avec Gn 12,1-9 une nouvelle introduction, tout en corrigeant d’une certaine manière la présentation sacerdotale : Le départ d’Abraham n’est pas du à la seule décision de son père de quitter la Mésopotamie, mais à un appel de Yhwh, en ajoutant le passage 12,1-4a. Abraham est ici le croyant exemplaire (il exécute l’ordre sans questionner, en cela ce texte a des liens évidents avec le sacrifice de Gn 22). Ce même auteur a aussi mis en parallèle Abraham et Jacob en appliquant l’itinéraire de Jacob (Bethel – Sichem – Harran) à Abraham (Gn 12,6-9 et 13,1.3- 4,14-17). Gn 18,17-19.22b-33 proviennent peut-être des mêmes rédacteurs qui se sont identifiés ici avec un Abraham, paradigme de l’instructeur de la loi (avant sa révélation), ayant comme tâche d’enseigner à Israël le « chemin de Yhwh » (contrairement à Gn 12,1-3 et 22, Abraham parle beaucoup dans ce passage). L’analyse des textes restants a permis de vérifier l’existence de ces différentes strates rédactionnelles. Elle a également nécessité l’hypothèse d’ajouts encore plus tardifs, notamment pour Gn 14 et 15 et aussi 24. Genèse 19 : la destruction de Sodome et Gomorrhe Les allusions à la destruction de Sodome et Gomorrhe en dehors de Gn font de cet épisode le plus cité dans la Bible parmi les histoires de Gn. On les trouve dans les textes suivants : Dt 29,22 ; 32,32 ; Es 1,9s ; 3,9 ; 13,19 ; Jr 23,14 ; 49,18 ; 50,40 ; Ez 16,44-48 ; Am 4,11 ; Soph 2,9 ; Lam 4,6 (voir encore avec les noms d’Adma et Zeboïm Os 11,8 et Dt 29,22). On les retrouve aussi dans le Nouveau Testament en Mt 10,15 parr. ; Lc 9,51-56 (Hb 13,2) ; Mt 11,23-24 ; Lc 17,22‑37 ; Rm 9,29 ; Jude 7 ; 2P 2,6 ; Ap 11,8. Il s’agit probablement d’une tradition plus ancienne que celle d’Abraham, puisqu’aucun de ces textes ne fait le lien entre ce « renversement » et le patriarche Abraham. Lot, le héros principal de Gn 19 est également absent de ces mentions de Sodome et Gomorrhe. Gn 19 est donc une mise en narration de cette tradition d’une destruction d’une ville (d’une civilisation) par le feu. Le récit de Gn 19 parle en général de la destruction d’une seule ville, seulement les v. 24 et 28 mentionnent « Sodome et Gomorrhe » et le v. 25 des villes en général. Il est possible que derrière ces versets se cache une tradition ancienne : un mythe qui raconte comment un dieu solaire détruit au lever du soleil les deux grandes villes de la région de la mer morte, une sorte de déluge par le feu. Tandis que le v. 24 parle d’une destruction par le feu, le v. 25 mentionne le « renversement » ; il a peut-être été ajouté par un rédacteur pour intégrer la tradition très répandue d’un renversement (tremblement de terre ?). 518 Thomas römer Trois versets seulement mentionnent Abraham. Ils ne font pas partie du récit primitif. Le v. 29 appartient à la version sacerdotale qui interprète le sauvetage de Lot par le fait que Dieu s’est souvenu d’Abraham. Les v. 27-28 ont été ajoutés pour rattacher l’histoire de la destruction de Sodome au récit de Gn 18. L’épisode de la fuite de Lot à Tsoar aux v. 18-22.23b et 30a* est également une insertion dans le récit ancien : cet épisode se trouve en tension avec uploads/Litterature/ le-cycle-d-x27-abraham-pdf.pdf

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