IBN ARABÎ ÉPÎTRE SUR LES FACETTES DU COEUR Traduction et notes de MICHEL VÂLSAN

IBN ARABÎ ÉPÎTRE SUR LES FACETTES DU COEUR Traduction et notes de MICHEL VÂLSAN Publiés dans le n° 418 des Études Traditionnelles, 1970 NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE Le petit traité du Cheikh al-Akbar traduit ci-après, qui n'a jamais été imprimé, est attesté par 8 manuscrits des collections de Turquie (Cf. O. Yahya, Histoire et classification de l'œuvre d'Ibn Arabî, R.G. n° 62). Pour notre traduction nous nous sommes servi de trois d'entre ceux-ci : Carullah 2080i, fol. 1b - 2a, établi d'après l'original en 791 H. à Konya ; Aya Sofya 4875, pp. 202 - 204 ; Nafiz 685, pp. 699 - 703, daté de 1098 H. Cette dernière copie porte comme titre « Épître du Cheikh Muhyu-d-Din Ibn Arabi adressée au Cheikh Fakhru-d-Din ar-Râzi, qu'Allah sanctifie le secret de chacun des deux » (Risâlah li-ch- Chaykhi Muhyu-d-Dîn al-Arabî ilâ-ch-Chaykhi Fakhri-d-Dîn ar- Râzi qaddasa-Llâhu sirra-humâ), ce qui est vraisemblablement dû à une confusion du copiste avec l'épître bien connue portant ce titre, publiée dans les Rasâilu-bni-l-Arabî (Hayderabad-Dekkan, 1947) n° 15 et déjà traduite par nous dans Études Traditionnelles N° 366- 367, juillet à octobre 1961. M. Vâlsan Sache1 que le cœur — compte tenu d'une diversité d'avis existante chez les Gens des réalités fondamentales et des dévoilements initiatiques (Ahlu-l-haqâiq wa-l- mukâchafât) — est comme un miroir rond, à six facettes (awjûh, sing wajh) selon certains2, à huit selon d'autres de 1- Dans le ms. Aya Sofya 4875 manque le mot initial A’lam = « sache ». 2- Ceux-ci sont désignés plus loin par le qualificatif des « Gens de la règle prophétique » (Ahlu-s-Sunnah), c'est-à-dire ceux qui sont attachés aux pratiques surérogatoires du Prophète (sur lui le Salut !) ; dans le cas d'espèce ils sont en cause en tant qu'ils s'en tiennent aux notions et à la terminologie prophétique. — A propos de ce même nombre des facettes du cœur on trouve ceci dans les Futûhât (chap. 382) de notre auteur : « ...L'être a vers son extérieur six côtés (correspondant aux six directions de l'espace dont il occupe le centre), et le nombre six possède la perfection, car il est le premier nombre parfait (de la série des nombres entiers) parce que son sixième, son tiers et sa moitié font six (autrement dit, ce nombre est égal à la somme de ses diviseurs 1+2+3 = 6). Or le cœur a six facettes ; à chaque côté spatial correspond une facette du cœur qui est le côté spatial lui-même. Par cet œil il saisit Dieu (al-Haqq) quand il se manifeste à lui dans Son nom « l'Apparent » (azh- Zhâhir). Si la théophanie s'étend à tous les côtés — en tant que « Lui est de toute chose Enveloppant » (Cor. 41, 54) — le cœur ces gens. Or Allah a placé devant chacune des facettes du cœur une présence (hadrah) d'entre les Présences divines fondamentales : et quand3 une de ces facettes se découvre la « présence » qui lui correspond se montre. Lorsqu'Allah — qu'Il soit glorifié et exalté — veut gratifier4 Son adorateur de quelque chose du domaine de ces sciences (intuitives dont nous nous occupons), Il Se charge — qu'il soit glorifié — de la purification5 du miroir de son cœur, y regarde de l’Œil de la Bienveillance et de la Grâce propice (Aynul-Lutfi wa-t-Tawfîq) et lui fait puiser une aide dans la Mer de la Confirmation (Bahru-t- Ta'îd). L'être favorisé par une telle grâce se trouve alors guidé vers la pratique des exercices spirituels et des efforts physiques ; il trouve ainsi dans son cœur le désir (îrâdah) et l'amour (mahabbah). Aussi les membres corporels se pressent-ils à obéir au cœur qui est leur maître et chef. L'adorateur emploie alors les pensées (afkâr) et l'élévation de l'aspiration (himmah), et se caractérise par les « caractères divins » (akhlâqu-llâh)6 : il lave son cœur avec l'eau de la vigilance (murâqabah) jusqu'à ce que s'en détache la « rouille des altérités » (çadâu-l-aghyâr) et que s'y réfléchissent les « enceintes des mystères » (hazhâiru-l-asrâr). La 1ère facette regarde vers la Présence de l'Institution ferme (Hadratu-l-Ihkâm)7 ; son polissage se fait par les efforts physiques disciplinés (mujâhadât). La 2e facette regarde vers la Présence du Choix préférentiel et du libre Gouvernement (Hadratu-l-lkhtiyâr wa-t-Tadbîr) ; son polissage se fait par la rémission de son commandement à Dieu et la résignation devant Lui (at- tafwîd wa-t-taslîm). La 3° facette regarde vers la Présence de l'Invention (Hadratu-l-lbdâ'a) ; son polissage se fait par la réflexion (fikr) et la considération (i’tibâr)8. réunit avec ses facettes tout ce qui lui apparaît de la part de Dieu de chaque côté et il est alors tout entier « lumière » (nûr) ». - A cette idée de « perfection » est rattaché le symbolisme hexagonal des alvéoles mellifères, dont il est question au chap. 332 du même ouvrage. 3- Dans Nafiz 685 au lieu de fa-mâta = « et quand », on a fautivement fa-man = « et qui », leçon qui introduit un désaccord dans la phrase. 4- Dans Carullah 2080, au lieu de an yamnaha = « qu'il le gratifie », on a an fataha = « qu'Il lui a ouvert », ce qui n'assure pas l'accord. 5- Les trois mss. ont ici nettement bi-tawfîqi-Hi = « par Sa grâce opportune », ce qui apparaît cependant en double emploi dans les mots qui suivent. Mais le ms. Carullah 2080 (qui est, rappelons-le, copié sur l'original) à propos de cette expression peu commode, présente en marge par scrupule du copiste, le « dessin » sans points diacritiques du mot de l'original (l'écriture habituelle d'Ibn Arabî étant sans points diacritiques), où il nous a semblé pouvoir lire taçfiyat = « de la clarification ». La phrase que nous reconstituons et traduisons dans le texte est donc : « …tawallâ – subhâna-Hu - taçfiyata mir'âti qalbi-hi ». 6- Cf. le hadith : Takhallaqû bi-akhlaqi-llâh = « Caractérisez-vous par les caractères d'Allah ! ». 7- Dans la terminologie technique des théologiens l'ihkâm désigne « l'art de faire parfaitement les choses », ce qui est considéré, en outre, comme une preuve logique de la Science divine. 8- La notion de al-lbdâ’a se rattache au nom divin Badî'u-s- Samâwâti wa-l-Ard (Cor. 2, 117 et 6, 101) = « l'Inventeur des Cieux et de la Terre », c'est-à-dire le Créateur original qui ne prend modèle sur rien et dont toute création est unique en son espèce. La relation avec le fikr et l'i’tibâr réside dans le fait que l'aspect d' « originalité » apparaît à la suite des actes de réflexion et de considération. Le Coran invite souvent à réfléchir sur la création La 4° facette regarde vers la Présence du Propos adressé (Hadratu-l-Khitâb) ; son polissage se fait par la rupture d'avec les choses et les êtres du monde (khal’u-l- akwân wa-l-aghyâr)9. La 5° facette regarde vers la Présence de la Vie (Hadratu-l-Hayàt) ; son polissage se fait par le rejet de soi-même et l'extinction (at-tabarri wa-l-fanâ). La 6° facette — qui est la 8° chez ceux qui affirment qu'il y en a 8 — regarde vers la Présence de Ce-qu'on-ne- dit-pas (Hadratu Mâ lâ yuqâl) ; le polissage de cette facette se fait par : « O ! Gens de Yathrib, pas d'arrêt » (Cor. 33, 13)10. Quant aux deux autres facettes qui constituent le point de la divergence mentionnée au début (à savoir la 6° et la 7° chez ceux qui parlent de 8), les Gens attachés à la règle prophétique (ahlu-s-Sunnah) les ramènent à la Présence de l'Institution ferme (Hadratu-l-lhkâm), alors que les autres disent que l'une de ces facettes regarde la Présence de la Contemplation (Hadratu-l-muchâhadah), dont le polissage se fait par la vente de l'âme (bayu-n- nafs), et l'autre vers la Présence de l'Audition (Hadratu-s- Samâ’) dont le polissage se fait par le silence et la politesse (aç-çamt wa-l-adab). Il n'y a pas de 9e facette, et Allah — qu'il soit glorifié — n'a pas à dévoiler une autre « présence » en plus de ces 8 susmentionnées qu'Il a instituées ; le cœur n'a pas de facette dans laquelle se révèle la Sagesse divine (al-Hikmatu-l-ilâhiyyah) prévue par le Vouloir éternel (al-Irâdatu-l-qadîmah) c'est là le point de contestation entre les Acharites (théologiens ésotéristes) et les Soufis, et cela est une chose très subtile que ne peut comprendre qu'un être jouissant de l'expérience directe (çâhibu dhawq). Ensuite sache que ces « Présences » ont des « portes » qui font face à ce qu'il y a comme « rouille » sur la surface du miroir, et qui s'appellent les « portes de la Volonté divine » (abwâbu-l-Machîah). Dans la mesure où il y a polissage il y a la théophanie (at-tajallî), et dans la mesure où l'on ouvre des « portes » il y a la vue à découvert (al-kachf). Mais tout miroir poli n'a pas nécessairement le dévoilement : il est seulement préparé à recevoir des formes. De même tout être qui chemine sur cette Voie (at-Tarîq) n'obtient pas nécessairement la vue à découvert ; uploads/Litterature/ epitre-sur-les-facettes-du-coeur-ibn-arabi 1 .pdf

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