66 LA DOUBLE DIMENSION DE L’APPRENTISSAGE AUTODIRIGÉ CONTRIBUTION À UNE THÉORIE
66 LA DOUBLE DIMENSION DE L’APPRENTISSAGE AUTODIRIGÉ CONTRIBUTION À UNE THÉORIE DU SUJET SOCIAL APPRENANT Philippe Carré Université Paris X – Nanterre Résumé Cet article jette les bases d’une conceptualisation de l’autodirection à partir du débat sur cette notion en Amérique du Nord et en Europe. Le modèle théorique proposé est enracine dans deux dimensions conceptuelles : la volonté autodéterminée d’apprendre d’un côté et les capacités d’autorégulation de l’apprentissage de l’autre. Le sentiment d’efficacité personnelle à apprendre est sous-jacent à ces deux dimensions dans le modèle proposé de l’autodirection. Abstract In this article the author lays the foundation for a conceptualization of self-direction from an analysis of its place in the debates occurring in both Europe and North America. The proposed model is grounded in two meanings of the concept: the self-determined will to learn and the abilities of learning self-regulation. Self-efficacy to learn underlies these two meanings in the proposed conceptualization of self-direction. Bien que polysémique, paradoxale et donc ambiguë, la notion d’autoformation représente l’un des objets les plus vivaces de la recherche et des discours en formation des adultes aujourd’hui. Depuis les travaux originaux des « grands fondateurs » francophones de ce courant de recherche et d’action (Dumazedier, 1985, Pineau 1983, Schwartz 1973, Tremblay 1986), six colloques nationaux et/ou européens, deux rencontres « mondiales » (Montréal 1997, Paris 2000), des dizaines d’ouvrages et de numéros de revues, des centaines d’articles sur ce thème ont scandé les années 90. Le mouvement semble en voie de se pérenniser, voire de prendre de l’ampleur eu égard aux enjeux de l’apprentissage autonome des adultes en ce début de millénaire dominé par les enjeux de l’information et de la connaissance. L’essor des usages des technologies de l’information et de la The Canadian Journal for the Study of Adult Education/ La Revue canadienne pour l’étude de l’éducation des adultes 17, 1 May/mai 2003 66-91 ISSN 0835-4944 © Canadian Association for the Study of Adult Education/ L’Association canadienne pour l’étude de l’éducation des adultes CJSAE/RCÉÉA 17, 1 May/mai 2003 67 communication à fins de formation, le développement de l’intérêt des acteurs du débat social, économique et pédagogique pour les formations à distance (et leur version modernisée, le e-learning) ont certes permis à l’union « naturelle » des notions d’autoformation et de formation ouverte de se consommer. Venus d’autres horizons professionnels et scientifiques, les thèmes de l’organisation apprenante, de l’apprentissage informel et du knowledge management concrétisent également ces liens qui s’organisent un peu partout entre l’autoformation et les grandes problématiques du développement des compétences et des savoirs à l’ère des sociétés de l’information qui se veulent « cognitives » ou « apprenantes ». En regard de ce contexte favorable à son développement, la notion d’autoformation, qualifiée ici de « nébuleuse », là d’ « écran de fumée », voire de « tautologie », souffre il est vrai, de quelques infirmités. Puissamment chargée d’idéologie, elle divise généralement les professionnels et les chercheurs en deux camps : pour ou contre. Pour ses défenseurs, c’est une notion utile parce qu’elle « colle » aux besoins d’accès et d’appropriation des savoirs dans toutes les sphères et tous les temps de la vie sociale. Elle aurait également le mérite d’interroger frontalement les paradigmes dominants de la transmission pédagogique, hérités du modèle scolaire, et la toute-puissance du formateur sur ceux que l’on qualifie de façon révélatrice de « formé(e)s » … avant même leur entrée en formation. De ce point de vue, l’autoformation servirait de sain antidote aux néfastes habitus qui risquent d’entraîner formateurs et pédagogues dans cette « folie du projet de la fabrication d’autrui » si habilement dénoncée par Meirieu (1996). Pour ses détracteurs, en revanche, l’autoformation représente alternativement le bras armé du libéralisme en formation, un néologisme inutile pour parler d’apprentissage, la caricature d’une « soloformation » renvoyant le sujet apprenant aux affres de la responsabilité de ses compétences, ou celle d'une cyberformation futuriste et aussi déshumanisée qu’inquiétante. En définitive, si la notion d’autoformation apparaît à certains comme superflue, c’est alors pour citer Voltaire, sans doute de ce « superflu, chose très nécessaire » qu’il s’agit (Carré, 2003). Il ne fait plus de doute aujourd’hui qu’il convient de regarder l’accès, la transmission et l’appropriation des savoirs avec les yeux du sujet social, si l’on souhaite que la société de demain soit plus « apprenante » qu’aliénante, tant les enjeux individuels, économiques et sociaux de l’accès aux savoirs risquent d’être 68 Carré, «La double de l’apprentissage » cruciaux. L’autoformation, notion superflue, notion indispensable, demande sous ce postulat, à être déconstruite pour mieux en tirer l’utilité pour demain. Déconstruire la notion d’autoformation : trois jalons Déconstruire la notion d’autoformation commence par en dévoiler les différents sens possibles. Nous avons proposé une lecture des approches de ce phénomène de la « formation par soi-même » en cinq grandes catégories théorico-pratiques, formant autour du « foyer flou » de l’autonomie en formation, une « galaxie » de notions plus précises. Ces cinq approches ont servi d’organisateurs des pratiques et des théories qui s’organisent autour du terme d’autoformation, autorisant la clarification des « points de vue », des « perspectives » d’où s’initient les échanges de chercheurs et de praticiens autour de cette notion aujourd’hui populaire, mais ambiguë. x L’approche « intégrale » de l’autoformation recoupe très largement la notion d’autodidaxie et vise les pratiques d’apprentissage indépendantes des institutions d’éducation formelles. x L’approche « socio-organisationnelle » concerne les phénomènes d’autoformation déployés à travers les réseaux, les groupes sociaux ou professionnels institués, mais non explicitement pédagogiques (organisation dite « apprenante », syndicats, associations …) x L’approche « éducative » traite des problématiques de conception et d’animation des dispositifs et des moyens pédagogiques dits « d’autoformation » (formations ouvertes, APP, centres ressources, etc.) x L’approche « cognitive » analyse les processus d’apprentissage autodirigés vus sous l’angle des processus psychologiques à l’œuvre ; le présent article s’inscrit dans cette optique. x L’approche « existentielle » traite de la construction de soi à travers les parcours de vie et l’expérience personnelle, en particulier sous l’angle biographique. Malgré ses fragilités théoriques, cette première catégorisation s’est révélée pertinente et validée par les usages, posant un premier jalon dans l’appréhension progressive des spécificités de l’autoformation. Elle a permis, par exemple, la structuration des interventions et des échanges lors des deuxièmes rencontres mondiales de l’autoformation à partir des thèmes résumés ci-dessus (Carré & Moisan, 2002 ; Moisan & Carré, 2002). Un second jalon a été importé des Etats-Unis avec la définition due à H. Long de l’autoformation à travers la notion de contrôle du sujet sur sa CJSAE/RCÉÉA 17, 1 May/mai 2003 69 formation, aux plans psychologique, pédagogique et sociologique. Cet auteur affirme que le caractère distinctif de l’autodirection des apprentissages réside dans la dimension psychologique du contrôle du sujet sur sa formation. D’après lui, « la distinction principale est la variable psychologique, c’est-à- dire le degré auquel l’apprenant, ou le soi (self), maintient un contrôle actif du processus d’apprentissage » (Long, 1989). Ce postulat est en harmonie avec les positions constructivistes en psychologie et en pédagogie, et recoupe l’émergence d’un nouveau paradigme du sujet social plus indépendant des contraintes institutionnelles dans la construction de son identité et la gestion de sa vie, pour le meilleur et pour le pire (Dubar, 2000 ; Carré, Moisan & Poisson, 1997). Un troisième jalon nous semble aujourd’hui posé dans cette même direction, quand les spécialistes de la question des formations ouvertes et à distance, et plus généralement de l’ingénierie pédagogique, intègrent progressivement à la conception de leurs dispositifs un souci de plus en plus affirmé de l’autonomie, du choix et du contrôle du sujet apprenant. Ce mouvement, débuté avec les travaux de R. Hiemstra aux Etats-Unis, puis de H. Prévost, A. Jézégou, D. Poisson, B. Blandin, D. Paquelin, etc. en France, culmine à travers la déclaration consensuelle de 15 experts réunis en conférence de consensus (Collectif de Chasseneuil, 2000). L’ensemble de ces travaux fait de la compétence à l’autoformation une clé majeure de l’efficacité finale des nouvelles modalités de formation... Simultanément, le domaine plus directement psychologique de l’autoformation « cognitive » est le lieu, à la fin des années 90, d’un développement rapide et convergent de théorisations de l’autodirection. G. Straka en Allemagne, G. Confessore aux Etats-Unis, R. Foucher au Québec, développent, tout comme nous-même en France, des conceptualisations de plus en plus précises des dimensions de l’apprentissage autodirigé. Ces conceptualisations s’inscrivent toutes, peu ou prou, dans un cadre théorique sociocognitif faisant une large place aux aspects conatifs de l’engagement en autoformation. Elles sont également menées, le plus souvent, avec un sens pragmatique tout anglosaxon, en parallèle de la construction d’instruments d’appréciation de l’autonomie, de l’autodirection, des motivations ou des attitudes et du rapport au savoir qui s’inscrivent dans la tradition ouverte par L. Guglielmino en 1977. Cette double maturation des recherches et des réflexions, dans le champ des formations ouvertes d’un côté, de la psychologie de l’autodirection de l’autre, met la notion de dispositif au coeur des enjeux actuels, et la situe à 70 Carré, «La double de l’apprentissage » l’interface entre une théorisation uploads/Management/ 2003-la-double-dimension-de-l-x27-autodirection.pdf
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- Publié le Jan 11, 2022
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