1 LES STRATEGIES DISCURSIVES DANS LE RAP IVOIRIEN Dr Aimée Danielle E S KOFFI-L

1 LES STRATEGIES DISCURSIVES DANS LE RAP IVOIRIEN Dr Aimée Danielle E S KOFFI-LEZOU koffidanielle@yahoo.fr Université de Cocody Abidjan UFR LLC/Département de Lettres Modernes RESUME Tout discours est symptomatique d’un vouloir dire quelque chose. Il a donc une dimension argumentative. Certains discours, par leur forme, par les choix thématiques et langagiers des locuteurs transforment cette dimension en visée. Le discours rap qui revendique une fonction de critique, de dénonciation des travers de la société s’inscrit dans cette veine. L’analyse se propose de mettre en exergue les outils linguistiques qui réalisent la visée du discours du rap en Côte d’Ivoire. Mots clés : discours, rap, argumentation, visée argumentative ABSTRACT Any discourse is symptomatic of a seeking to say something. It therefore has an argumentative dimension. Some types of discourse, by their shape, through the thematic and basic choices of speakers, transform this dimension in purpose. Rap discourse claiming a function of criticism, the whistleblowing of the shortcomings of society fits in here. The analysis proposes to highlight the language tools that make the purpose of the rap discourse in Côte d'Ivoire. Keywords: discourse, rap, argumentation, argumentative purpose 2 INTRODUCTION Le rap, selon Boucher, c’est « l’écriture directe du chroniqueur social, l’écriture visuelle du cinéaste de la vie1. » Les rappeurs fonctionnent comme une grande famille avec des codes qui indiquent leur appartenance à un groupe social. Ces codes sont aussi bien vestimentaires que langagiers et délivrent un message tant sur le plan social que sur le plan culturel. Les jeunes ivoiriens auteurs des textes qui composent ce corpus, se réclament de ce courant musical. Le groupe Garba 50 dit pratiquer « du rap abidjanais » quand Billy Billy dit « Voilà, din visage du rap de Côte d’Ivoire (…) Le mouvement est debout, on dirait bangala dans côtes, dans les reins dans côtes ça picote, mon rap laisse des traces comme pôtô pôtô, Billy Billy, tu connais pas ou bien ? » Notre objectif n’est pas la mise en œuvre d’une poétique du rap (cela exigerait d’ailleurs une étude des canons sociaux, culturels, symboliques et esthétiques de ce genre musical). Le but ici, est d’étudier dans le discours du rap, des phénomènes discursifs suffisamment récurrents pour interpeller le linguiste. En effet, des éléments de rhétorique, de stylistique, et de linguistique-et en général les mêmes-sont régulièrement convoqués dans les textes. Pourquoi ? Sont-ils de simples ornements, ou participent-ils réellement à la compréhension du message, à la dynamique de la construction du sens ? Pourrait-on parler de stratégies discursives spécifiques au rap ivoirien? La présence de ces phénomènes linguistiques semble augmenter la force illocutoire et la saillance des énoncés qui troublent, surprennent, perturbent et interpellent fortement. L’analyse va d’abord revenir sur les différentes acceptions des stratégies discursives, puis mettre en relief ces formes d’expression que nous avons identifiées comme des moyens et enfin montrer comment ces stratégies participent à la construction du sens. LES STRATEGIES DISCURSIVES Notion devenue transversale - l’on entend souvent parler de stratégies commerciales de stratégies politiques ou encore de stratégies électorales- la stratégie appartient au domaine militaire. Du point de vue étymologique, le mot « stratégie » est issu du grec stratêgos qui signifie « chef d’armée ». Le verbe stratêgein, qui signifie « commander une armée » a donné stratagêma « manœuvre de guerre », dont dérive le mot « stratagème ». La stratégie peut 1Manuel Boucher, Rap ; Expression Des Lascars; significations et enjeux du rap dans la société française, Paris, L’Harmattan, 1998, pp13/14. 3 alors être appréhendée comme étant une partie de l’art militaire consistant à organiser l’ensemble des opérations d’une guerre, la défense globale d’un pays. C’est également l’art de combiner des opérations pour atteindre un but et de ce point de vue, la stratégie s’assimile à la ruse. Toujours est-il que selon que l’on s’appuie sur la méthode ou sur l’expérience, « la stratégie est la science ou l’art de l’action humaine finalisée, volontaire et difficile2. » Cette définition implique un objectif final de même que des règles et une succession de choix conduisant justement au but visé. D’ailleurs, la théorie des jeux la présente comme un « ensemble de règles déterminant la conduite d’un joueur dans toute situation de jeu possible3. » Des différentes acceptions du terme, il ressort que les stratégies discursives sont le fait d’un sujet (individuel ou collectif) qui est conduit à choisir (de façon consciente ou non), un certain nombre d’opérations langagières ; parler de stratégie n’a de sens que par rapport à un cadre de contraintes qu’il s’agisse de règles, de normes ou de conventions(…) il faut un but, une situation d’incertitude et de calcul4. En analyse du discours, le locuteur qui use de stratégies a une fin. Il a des buts rigoureusement identifiés, avec la volonté comme condition sine qua non pour la réalisation de ses ambitions. Lesquelles ambitions ne pourront se réaliser qu’en transcendant les stratégies antagonistes. L’incertitude traduit la méconnaissance de l’issue de la confrontation. A ce sujet, plusieurs tendances se dégagent. La première porte un intérêt particulier aux relations qu’entretiennent l’activité verbale et le contexte. Dans ce cadre, les marques du second sont inscrites dans le discours et ont une influence sur celui-ci. Le sociolinguiste John J. Gumperz soutient que le contexte est donné par le discours, par les participants à la situation de communication en tenant compte de leurs objectifs. Pour ce faire, il identifie différents éléments pour une stratégie discursive. D’abord, la compétence communicative qui permet aux interlocuteurs de procéder à leurs choix stratégiques dans une situation donnée. Ensuite, le principe de cohérence stratégique et enfin, le processus d’interprétation qui repose sur les inférences conversationnelles. Le principe de l’inférence dans ce cas, tient compte des attentes du locuteur. En effet, le dit est négocié en fonction des interprétations possibles et oriente l’interlocuteur dans la direction souhaitée. Par exemple, les choix lexicaux, selon Gumperz, s’opèrent dans le cadre de la négociation. Les phénomènes linguistiques tels le 2 Simunic Zrinka, Une approche modulaire des stratégies discursives du journalisme politique, Thèse de Doctorat, Université de Genève, Juin 2004, p15 3 Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau (cité par), Dictionnaire d’Analyse Du Discours, Seuil, Paris, 2002, p548. 4 Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, Dictionnaire d’Analyse Du Discours, Seuil, Paris, 2002, p549. 4 code, le style, la prosodie, les variations phonétiques et morphologiques, les choix lexicaux et syntaxiques seraient donc le socle des stratégies discursives. Dans la perspective de la pragmatique intégrée d’Anscombre et de Ducrot, dire un énoncé, c’est argumenter dans un sens ou dans un autre vu que le sens n’est pas statique. Il est déterminé à partir d’un calcul des valeurs sémantiques qui le sous-tendent. Et le sens d’un énoncé est déterminé par les raisons, le pourquoi de sa production. Or, ces raisons elles- mêmes poussent l’énonciateur à opérer des choix linguistiques tels la convocation de certains connecteurs qui vont provoquer une réponse chez l’interlocuteur. L’énonciation est un événement historique unique. De ce point de vue, elle confère à l’énoncé trois qualités essentielles : celui-ci est le produit d’un énonciateur, il met en présence un personnage autre que l’énonciateur à savoir l’énonciataire ou allocutaire, et enfin, l’énonciation a des pouvoirs. Un ordre, une interrogation, une menace, etc. produiront certainement des effets. Ainsi s’inscrivent dans chaque énoncé, les potentialités argumentatives qui pourraient être assimilées à des stratégies discursives. Celles-ci sont indépendantes du contenu informatif des énoncés même si elles l’influencent. Le sens d’un énoncé, selon Charaudeau, tient compte de l’énonciateur, du choix de la configuration de l’énoncé et du matériau linguistique utilisé pour sa construction. La prise en compte de ces éléments permet alors son interprétation, la construction de son sens. Or, pour que le message contenu dans l’énoncé parvienne à son destinataire, pour qu’il le comprenne, la configuration de l’énoncé ainsi que les choix linguistiques sont nécessairement issus d’un savoir que les acteurs de l’énonciation ont en commun. Ses choix donnent ainsi au récepteur, la possibilité d’interpréter le message par un mécanisme de déconstruction et de reconstruction des mécanismes langagiers mis en œuvre dans le discours. Ces mécanismes s’assimilent aux stratégies discursives qui découlent des divers processus ci-après : le processus de transaction qui consiste en l’échange d’informations entre l’énonciateur et le récepteur ; le processus de transformation consiste pour l’énonciateur à construire du sens en proposant sa construction du monde à l’énonciataire et enfin le processus d’interprétation qui prend en compte la reconnaissance mutuelle et réciproque des partenaires de la communication à une co-construction du sens social de l’énoncé. Cette co-construction met en œuvre divers phénomènes linguistiques que le linguiste classe en stratégies de captation, de légitimation et de crédibilité pour attirer l’attention de l’interlocuteur et l’influencer en modelant ses croyances, pour justifier la prise de parole et, enfin, pour témoigner d’une position de supériorité. 5 En somme, les stratégies discursives concernent des phénomènes linguistiques dont les interlocuteurs feront usage pour partager leur vision du monde, agir sur l’auditoire et l’influencer. Le rappeur a un message à partager. Il critique, il dénonce et, surtout, souhaite l’adhésion du public. En dehors de la musique, son uploads/Management/ aimeedanielleeskoffi-lezou.pdf

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  • Publié le Sep 02, 2021
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