MESURER LES COMPORTEMENTS DE MOBILISATION AU SEIN DES ÉQUIPES DE TRAVAIL : UNE
MESURER LES COMPORTEMENTS DE MOBILISATION AU SEIN DES ÉQUIPES DE TRAVAIL : UNE APPROCHE EXPLORATOIRE Arnaud Bichon1 Pour de nombreux auteurs et praticiens en organisation, il y aurait actuellement un accroissement du nombre des équipes de travail en entreprise. Afin d’être capable de s’adapter en temps réel aux modifications d’un environnement instable et imprévisible, les firmes seraient poussées à développer des formes de configuration organisationnelle plus souples et créatives (Trognon et Dessagne, 2003, p. 452). En fait, à travers des dispositifs collectifs comme les équipes semi- autonomes ou les équipes projet, on souhaite renforcer la coopération entre les salariés, le partage des connaissances et les prises d’initiatives, et focaliser les énergies vers la réalisation d’un objectif collectivement partagé. Au-delà d’une simple coordination des tâches ou d’une relation d’entraide, expression d’une solidarité, les attentes managériales vis-à-vis des équipes de travail paraissent plus ambitieuses : il s’agit de modifier les représentations des salariés à l’égard de leurs contributions, c’est-à-dire de leur faire prendre conscience que celles-ci s’inscrivent dans une œuvre collective qui nécessite un travail synergique en équipe. « Une compétence nouvelle est maintenant exigée des employés, des ouvriers aux décideurs : celle de travailler coopérativement dans des équipes » (Glaser, 1994, p. 282). Ce sont donc les comportements de « mobilisation » déployés par les salariés au sein des équipes de travail qui paraissent être au cœur des dynamiques collectives, impliquant une convergence des efforts individuels vis-à-vis des projets collectifs. Mais suffit-il d’insérer les salariés dans des équipes de travail pour qu’ils coopèrent ? Si une structure spécifique favorise le développement des 1 Jeune chercheur, doctorant, CERAG, Université Grenoble II, France. Courriel : arnaud.bichon@iut2.upmf-grenoble.fr coopérations, elle ne crée pas par elle-même ces pratiques coopératives, chaque individu restant maître de son degré d’engagement collectif. Il semble donc important pour la fonction Ressources humaines d’appréhender la nature de la « mobilisation collective » afin d’identifier les éléments favorables à son émergence, pour pouvoir ensuite évaluer et stimuler les comportements qui vont dans ce sens. Or, si depuis quelques années, le concept de « mobilisation des ressources humaines » est fréquemment utilisé par les professionnels de la fonction Personnel, un examen de la littérature académique montre que les sciences de gestion sont peu préoccupées par cette notion : les rares travaux actuels se limitent à une définition du concept (Wils et al., 1998, p. 32 ; Guerrero et Sire, 2001, p. 86) et à une démarche typologique des différentes pratiques de GRH susceptibles de favoriser la mobilisation (Lawler et al., 1992 ; Rondeau et al., 1993; Barraud, 1999). Nous estimons qu’il y a lieu d’effectuer une analyse spécifique de la mobilisation afin de la distinguer de l’implication, notion voisine, car ce sont surtout les comportements que les salariés déploient volontairement entre eux dans les équipes de travail qu’il s’agit d’appréhender, de mesurer et d’encourager. L’objet de cette communication est précisément de contribuer à l’enrichissement du concept de mobilisation collective. Dans un premier temps, nous nous efforcerons de clarifier la notion de « mobilisation collective », en la distinguant des concepts proches (section 1). Puis, une revue de la littérature consacrée au fonctionnement des équipes nous aidera à dessiner les contours de la mobilisation collective (section 2), avant d’en repérer les principales dimensions, via des entretiens semi-directifs (section 3). 1. PROPOSITION D’UNE DÉFINITION DE LA MOBILISATION COLLECTIVE Pour Wils et al. (1998, p. 30), le concept de mobilisation peut se comprendre de deux manières2. Selon une approche purement managériale, il correspond au processus organisationnel de mobilisation, c’est-à-dire à l’ensemble des pratiques de GRH mises en place par le management ; il désigne alors une démarche essentiellement prescriptive et descendante visant à « mobiliser le personnel » dans le sens des priorités organisationnelles. Ainsi, pour Louart et Beaucourt (1992, p. 55), la mobilisation est un « moyen de faire converger les efforts individuels, en les intégrant à une dynamique globale qui réponde aux objectifs de l’organisation. » Selon une optique individuelle, elle renvoie aux 2 Compte tenue de l’ambiguïté de la langue française, le substantif « mobilisation » désigne à la fois l’« action de mobiliser » et l’« action de se mobiliser ». comportements de mobilisation déployés par le salarié ; on s’intéresse alors à la manière dont celui-ci manifeste sa mobilisation. Autrement dit, on cherche à définir ce que signifie « se mobiliser » pour le personnel. En privilégiant ici cette deuxième acception du terme mobilisation, nous souhaitons nous placer du côté de l’acteur afin de cerner les comportements discrétionnaires3 qu’il adopte volontairement au sein des collectifs de travail. Nous désignons par mobilisation collective l’acte manifesté volontairement et intentionnellement par le salarié qui le conduit à faire des efforts dans le sens du travail d’équipe. Quelques précisions peuvent être apportées à cette définition. Tout d’abord, le terme de mobilisation contient une double signification en désignant simultanément une intensité d’action et une visée4. - En effet, comme le signalent Wils et al. (1998, p. 31), un employé « mobilisé » caractérise avant tout quelqu’un qui déploie délibérément beaucoup d’énergies. L’action du salarié ne résulte plus d’une prescription, ni de la reproduction de modes opératoires, mais repose au contraire sur l’adoption de comportements discrétionnaires. Ces comportements volontaires, qui consistent à produire des efforts particuliers, renvoient à la liberté d’action et à l’initiative de l’individu. A contrario, un employé démobilisé n’est pas une personne qui manque d’énergie en soi, mais quelqu’un qui a volontairement choisi de réduire au maximum les énergies mises dans le travail. Il s’agit d’un employé désillusionné qui a démissionné intérieurement et qui se met en retrait (Guérin et al., 2002, p. 65). - Par ailleurs, la mobilisation est une notion à perspective finalisante, les énergies déployées étant canalisées vers un objectif à atteindre. Ainsi, Guerrero et Sire (2001, p. 84) insistent sur la visée collective propre à la notion de mobilisation. Pour eux, « un salarié mobilisé se caractérise par des actions orientées vers les objectifs du groupe et de l’entreprise. » Avec plus de précision, Wils et al. (1998, p. 31) distinguent trois types d’efforts : ceux tournés vers une amélioration continue du travail par des prises d’initiatives individuelles, ceux fournis pour aligner le travail sur les priorités organisationnelles, et enfin ceux qui ont trait à la coordination spontanée entre les membres d’une équipe (voir tableau 1 ci-dessous) 3 Un comportement discrétionnaire est un comportement à l’initiative de l’employé qui va au-delà des attentes de l’organisation. Diverses formes de comportements discrétionnaires ont été identifiées dans la littérature : extra-role behaviors, prosocial behaviors, organizational citizenship behaviors (Brief, Motowidlo, 1986, p. 711 ; Organ, 1994, p. 465). 4 Pour le Petit Larousse, « se mobiliser » consiste à « rassembler toute son énergie pour l’accomplissement de quelque chose ». – c’est cette dernière catégorie d’efforts qui va nous intéresser plus particulièrement ici. Tableau 1 : Les trois orientations de la mobilisation (d’après Wils al., 1998, p. 30-39) Orientations Conduites Attitudes (bases psychologiques de la mobilisation) Individuelle Efforts d’amélioration continue (Travail de qualité) Implication au travail (Work Involvement) Collective Efforts de coordination spontanée (Travail d’équipe) Engagement collectif Organisationnelle Efforts d’alignement stratégique (Travail avec valeur ajoutée dans le sens des priorités organisationnelles) Implication organisationnell e (Organizational Commitment) La mobilisation collective d’un employé correspond donc, selon nous, à l’ensemble des conduites individuelles orientées vers le collectif de travail, la notion de conduite allant beaucoup plus loin que le terme de comportement en exprimant une autonomie de choix et une intentionnalité. Alors que les comportements peuvent être objectivables ou résulter d’apprentissages conditionnés, les conduites sont discrétionnaires en ce sens qu’elles résultent d’une liberté d’action de l’individu. En effet, l’idée de conduite renvoie à un sujet acteur et auteur de son comportement. Le salarié qui se construit une conduite ne va plus simplement se conformer à un modèle de référence mais va, au-delà, faire délibérément le choix d’adopter un comportement particulier que nous pourrions définir avec Boutinet (1993, p. 5) comme « un comportement orienté intentionnellement vers un but ». Parmi ces conduites de mobilisation, certaines peuvent contribuer au bon fonctionnement de l’organisation, notamment lorsque le salarié centre ses efforts dans le sens des objectifs de l’entreprise. Pour les anglo-saxons, cette mobilisation, focalisée sur les priorités organisationnelles, peut s’exprimer par des « comportements de citoyenneté organisationnelle »5 (Organ, 1994, p. 465). D’autres conduites traduisent les efforts déployés par le salarié dans son travail personnel. Celui-ci mobilise alors ses énergies pour satisfaire des objectifs individuels : prises d’initiative pour améliorer son travail, efforts pour progresser et développer ses compétences, etc. Ces différentes formes de mobilisation sont à distinguer de celle déployée dans le sens d’un travail d’équipe et que nous nommons « mobilisation collective ». En outre, il convient également de bien distinguer la mobilisation du processus psychologique qui conduit à cet état (voir tableau 1). Alors que la mobilisation renvoie à la notion de conduite, les bases psychologiques de la mobilisation sont des attitudes qui poussent l’individu à fournir intentionnellement ces efforts6. Ainsi, l’implication au travail7 ou l’implication organisationnelle8 du salarié le prédisposent à des conduites de mobilisation individuelle uploads/Management/ bichon.pdf
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- Publié le Nov 15, 2021
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