didactique et formation 7 Évaluer des compétences, ou ne pas se tromper de cibl
didactique et formation 7 Évaluer des compétences, ou ne pas se tromper de cible Jamil est enseignant de français (langue seconde d’en- seignement) en 9e année de l’enseignement de base. Pour évaluer les acquis de ses élè- ves en langage oral, il organise une séance d’“exercices struc- turaux oraux”. Il a construit une cinquantaine de phrases très proches de celles qui ont été travaillées préalablement en classe: il tire au sort une phrase, la lit devant tous les élèves et demande à l’un d’entre eux de la transformer selon certains paramètres cor- respondant aux objectifs visés. Chaque élève doit ainsi trans- former oralement trois phrases. L’épreuve d’évaluation construite par Jamil est inté- ressante: elle porte sur l’oral alors que ce domaine fait rare- ment l’objet d’évaluation, elle se fonde sur une démarche systématique en fonction des objectifs poursuivis, elle offre aux élèves plusieurs possibili- tés de montrer ce qu’ils savent faire, elle évalue des perfor- mances sur lesquelles un ap- prentissage a réellement été effectué, l’aspect “tirage au sort” garantit une certaine ob- jectivité, etc. Néanmoins, elle présente différentes difficultés qui font qu’au bout du compte on peut émettre certaines réserves, à partir d’une triple question: cette épreuve est-elle perti- nente, valide et fiable? Suite à notre demande à Monsieur Xavier ROEGIERS directeur du BIEF, cet article a été envoyé de Bruxelles par Monsieur Fran- çois-Marie GERARD, directeur ad- joint. Il s’agit de trois caractéristiques essentielles, différentes mais com- plémentaires, de toute épreuve d’évaluation: ! la pertinence est le caractère plus ou moins approprié de l’épreuve, se- lon qu’elle s’inscrit dans la ligne des objectifs visés (DE KETELE et alii, 1989); ! la validité est le degré d’adéquation entre ce que l’on déclare faire (éva- luer telle ou telle dimension) et ce que l’on fait réellement; ! la fiabilité est le degré de confiance que l’on peut accorder aux résultats observés: seront-ils les mêmes si on recueille l’information à un autre moment, avec un autre outil, par une autre personne, etc.? Pour comprendre l’importance de ce triple questionnement, il est in- téressant de se référer à l’exemple du tir à l’arc proposé par LAVEAULT et GREGOIRE (1997, 2002) et adapté par DE KETELE et GERARD (2004). Imaginons qu’on souhaite évaluer la compétence d’un trappeur à chasser du gibier grâce à son arc. Il doit pour ce faire être capable de réa- liser un tir groupé sur une cible mouvante. Deux épreuves sont mises en place: d’une part, un tir de 5 flèches sur une cible classique, et d’autre part, un tir de 5 flèches sur une cible mouvante semblable à du gibier. Les situations suivantes peuvent dès lors exister: Dans la situation A, le tir est non fiable parce que dispersé sur toute la surface de la cible fixe. Il est non valide, parce que la mesure manque de précision et ne peut attester l’atteinte de l’objectif. Il est enfin non perti- nent puisqu’il ne correspond pas à l’objectif recherché et ne mesure donc de toute façon pas ce que je déclare vouloir mesurer. Dans la situation B, le tir est groupé mais rate systématiquement la cible. Il est fiable (la mesure montre que le tireur sait faire un tir groupé), mais non valide parce que 8 didactique et formation cette mesure ne me permet pas de vérifier qu’il est capable d’atteindre la cible. Dans la situation C, le centre de la cible, c’est-à-dire l’objectif, est atteint et la mesure est donc valide, mais elle n’est pas fiable parce qu’on ne peut certifier que ce sera toujours le cas. Dans la situation D, le tir est groupé et touche le mille, mais la cible n’est pas la bonne (par rapport à la compétence visée). La mesure est donc fiable et valide, mais non pertinente. Les situations E à H présentent des situations pertinentes par rapport à la compétence visée. Les situations E, F et G ont cependant des problèmes de validité et/ou de fiabilité, alors que la situation H détermine une mesure à la fois fiable, valide et pertinente. Elle seule permet de certifier que le trappeur est compétent. Ces derniers mots sont importants: l’évaluation a pour objectif de certifier que le trappeur est com- pétent pour chasser du gibier, tout comme Jamil voudrait certifier, grâce à son épreuve d’évalua- tion, que les élèves sont compétents pour s’expri- mer oralement dans une conversation. Quelle est cette compétence? Au terme de la 9e année de l’enseignement de base dans l’apprentis- sage du français, la compétence suivante pourrait être visée: Dans une situation de communication orale (exposé, conversation) et à partir d’un support, produire un message oral correspondant aux divers actes de parole de la vie courante. Caractéristiques du support: - écrit: documents authentiques (courts, clairs et accessibles) - oral: document sonore de courte durée document audio et/ou visuel Si Jamil évolue dans un système d’enseigne- ment qui a adopté une telle compétence comme objectif de formation, on voit tout de suite que l’épreuve d’évaluation qu’il a conçue n’est pas pertinente par rapport à cette compétence: ce n’est pas parce que les élèves seraient à même de trans- former les phrases proposées qu’ils pourraient pro- duire des actes de parole dans une situation de communication. La maîtrise de tels exercices oraux structuraux peut bien sûr être un passage pour pouvoir produire des actes de parole: c’est une ressource au service de la compétence. Mais si Jamil souhaite évaluer la compétence, il ne peut se contenter d’évaluer une ressource. Il doit - pour pouvoir avoir une évaluation pertinente - présenter une situation d’évaluation qui correspond à la compétence, c’est-à-dire ici une situation de com- munication complexe qui permettra aux élèves de produire le message oral attendu. Par exemple, l’élève est invité à participer à un débat à la radio sur le développement urbain. Il devra présenter oralement durant 5 minutes sa position en tenant compte de son contexte de vie. Ensuite, un débat aura lieu pendant lequel il devra interagir avec d’autres intervenants (d’autres élèves). L’épreuve élaborée par Jamil n’est donc pas pertinente, du moins s’il s’inscrit dans une ap- proche par les compétences, qui cherche à déve- lopper la possibilité par les apprenants de mobiliser un ensemble intégré de ressources pour résoudre une situation-problème appartenant à une famille de situations (LE BOTERF, 1994; REY, 1996; PERRENOUD, 1997; FOUREZ, 1999; DE KETELE, 2000, 2001 a et b; ROEGIERS, 2000, 2003, TILMAN, 2000; DOLZ & OLLAGNIER, 2002; JONNAERT, 2002; REY, CARETTE, DEFRANCE & KAHN, 2003, AUBRET, J. & GILBERT, P., 2003). Cette épreuve présente également des difficul- tés en termes de validité, c’est-à-dire qu’elle ne permet pas d’évaluer pleinement ce qu’elle déclare vouloir évaluer, à savoir la maîtrise de la transfor- mation de phrases. En effet, les phrases proposées sont “très proches de celles qui ont été travaillées préalablement en classe”. Il est important de n’évaluer que des objectifs qui ont été préalable- ment appris, mais cela ne signifie pas que les maté- riaux doivent être identiques à ceux utilisés durant l’apprentissage. Si c’est le cas, l’évaluation porte sur des “savoir-reproduire” et non pas des “sa- voir-faire”. En d’autres termes, l’épreuve ne per- met pas de certifier que les élèves sont capables de “transformer des phrases”, mais bien de “redire les transformations de phrases telles qu’elles ont été apprises”. Pour toute évaluation, il importe que les situations proposées soient nouvelles, sauf bien sûr si l’objectif est d’évaluer la restitution de défini- tions, de propriétés, de dates... Dans une approche par les compétences, cet objectif de restitution ne sera jamais au cœur de l’évaluation, car la compé- tence se situe à un niveau de résolution de problè- mes et non pas de reproduction. L’épreuve proposée par Jamil présente égale- ment des difficultés de fiabilité, ce qui signifie qu’on ne peut pas avoir une confiance totale dans les résultats auxquels elle conduira. Chaque phrase didactique et formation 9 tirée au sort est lue devant toute la classe et l’élève concerné effectue les transformations. Avec de tel- les conditions de passation, être le premier élève qui répond ou le dernier n’est pas indifférent: il est vraisemblable que le dernier élève aura eu l’occa- sion de s’entraîner mentalement. Comme il n’est pas possible de certifier que sa production serait identique s’il avait été le premier élève, on peut af- firmer que l’épreuve n’est pas fiable. C’est une des difficultés des épreuves orales: pour assurer leur fiabilité, il faudrait mettre en place un dispositif qui évite l’influence des autres sur la production, ce qui implique dans la plupart des cas une passa- tion individuelle de l’épreuve orale. C’est vrai que cela alourdit le processus, mais à quoi bon évaluer si l’évaluateur ne peut pas faire confiance aux ré- sultats de l’évaluation! L’épreuve discutée est donc à la fois non perti- nente(1), non valide et non fiable. Elle correspond à la situation Ade l’exemple du trappeur chassant du gibier. Il n’est certes pas facile d’élaborer des épreuves entièrement pertinentes, valides et fiables. L’ap- proche par les compétences ne facilite certainement pas les choses: elle amène à évaluer les acquis des uploads/Management/ cible-070220.pdf
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- Publié le Jan 17, 2021
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- Langue French
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