LE DIPLÔME D'ÉTAT D'INGÉNIERIE SOCIALE. ENJEUX ET PERSPECTIVES Patrick Dubéchot

LE DIPLÔME D'ÉTAT D'INGÉNIERIE SOCIALE. ENJEUX ET PERSPECTIVES Patrick Dubéchot Érès | « Vie sociale » 2011/1 N° 1 | pages 61 à 78 ISSN 0042-5605 DOI 10.3917/vsoc.111.0061 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-2011-1-page-61.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Érès. © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Érès | Téléchargé le 20/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 93.23.250.89) © Érès | Téléchargé le 20/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 93.23.250.89) Vie Sociale – n° 1/2011 61 Le Diplôme d’État d’ingénierie sociale Enjeux et perspectives Patrick Dubéchot∗ En hommage à Thierry Rivard sociologue, directeur du LERFAS, décédé le 7 mai 2010 à l’âge de 50 ans, deux mois après la parution de notre ouvrage sur le DEIS1 e Diplôme d’État d’ingénierie sociale (DEIS) est – parmi tous les diplômes préparant à une profession sociale – celui pour lequel les travailleurs sociaux et leurs employeurs ont quelques difficultés à se représenter les types d’emploi auxquels il prépare. Le DEIS est en avance sur son temps et peine, comme tous les précurseurs, à faire coller ses ambitions de transformation de la réalité de l’intervention sociale avec des fonctions ou des emplois correspondants. UNE FORMATION EN AVANCE SUR SON TEMPS À cela, Olivier Cany2 distingue trois raisons principales. Tout d’abord, le DEIS a été envisagé par ses promoteurs comme l’un des instruments d’accompagnement de l’évolution des modes d’inter- vention sociale. Cet instrument – a priori pertinent – se révèle, encore aujourd’hui, en décalage avec les pratiques gestionnaires ou règlemen- taires majoritairement en vigueur dans les collectivités territoriales et ∗ Responsable du Centre de recherche et d’études en action sociale (CREAS) à l’ETSUP Paris. 1. Thierry RIVARD, Patrick DUBÉCHOT, Tout en un. DEIS, Paris, Vuibert, coll. Itiné- raires Pro, 2010. 2. Olivier Cany a rédigé la préface de l’ouvrage sur le DEIS. Il fut directeur de l’AFORTS, et il est aujourd’hui directeur général adjoint de l’ITS de Tours. L © Érès | Téléchargé le 20/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 93.23.250.89) © Érès | Téléchargé le 20/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 93.23.250.89) Patrick Dubéchot Vie Sociale – n° 1/2011 62 dans les établissements et les services sociaux et médico-sociaux qui favorisent les emplois liés à l’encadrement. Les responsables associa- tifs, d’établissements ou de services préfèrent encore confier les activi- tés d’ingénierie et les missions d’expertise à des cabinets extérieurs. Il manque du côté de ces opérateurs une politique de gestion des emplois et des compétences ayant pris la mesure des changements en cours et à venir et de la nécessité de créer, comme dans d’autres secteurs d’activité, un corps professionnel d’experts intégrés au fonctionnement même des organisations. Enfin, compte tenu de sa jeunesse, le DEIS ne bénéficie pas d’un corpus autonome de savoirs et de méthodes qu’aurait pu légitimer une activité spécifique de production de connaissances des établissements de formation en travail social3 et donc les professions d’expert qui y seraient afférentes. Sur le marché des diplômes, il se trouve en concur- rence avec le foisonnement des masters pro qui s’inscrivent sur des champs proches. Et pourtant… un contexte favorable Les politiques publiques en faveur de la cohésion sociale s’efforcent en effet aujourd’hui d’inscrire l’action sur des réalités sin- gulières relatives à des territoires. Cette inscription requiert une série d’opérations nécessaires à la compréhension des questions sociales, à la définition des actions visant à neutraliser les problèmes sociaux ou à renforcer les atouts singuliers des populations de ces territoires. Les travailleurs sociaux sont ainsi invités à dépasser les approches descen- dantes et sectorielles pour inscrire leurs interventions dans un cadre d’action collaboratif, explique Olivier Cany. Dans ces nouvelles con- figurations (groupement de coopération…), les interrelations sont plus souples, plus complexes, plus diverses, voire plus conflictuelles, parce que négociées avec les parties prenantes de l’action et non plus préala- blement mises en forme par des règlementations ou des normes d’action. Le contexte est désormais plus incertain, voire imprévisible, ce qui donne sens à la nécessité de doter un certain nombre de professionnels des compétences nécessaires à la compréhension de ces nouvelles formes d’intervention mais aussi et surtout développer chez ces pro- fessionnels une capacité d’agir et de modeler cet environnement au bénéfice de la cohésion sociale. Il s’agit dès lors – comme le dessine le Cadre européen des certifications – de « former des professionnels capables de gérer et transformer des contextes professionnels ou 3. Qui sont, rappelons-le, des établissements d’enseignement supérieur professionnel et/ou universitaires. © Érès | Téléchargé le 20/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 93.23.250.89) © Érès | Téléchargé le 20/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 93.23.250.89) Le Diplôme d’État d’ingénierie sociale : enjeux et perspectives Vie Sociale – n° 1/2011 63 d’études complexes, imprévisibles et qui nécessitent des approches stratégiques nouvelles et de prendre des responsabilités pour contri- buer aux savoirs et aux pratiques professionnelles et/ou pour réviser la performance stratégique des équipes4 ». Les organisations sociales et médico-sociales sont désormais inci- tées à une sorte de transformation qui les rende capables de s’ajuster, de se transformer dans un environnement instable auquel elles doi- vent en permanence donner sens. Les dirigeants de ces nouvelles organisations ne pourront à eux seuls produire l’intelligibilité de leur environnement, prendre la mesure des atouts et faiblesses de leur organisation et penser les réponses sociales que les équipes éduca- tives et sociales mettront en œuvre. Les cadres titulaires du DEIS – par les spécificités de leur formation structurée par les principes de la recherche-action – constitueront sans aucun doute les nouveaux pro- fessionnels de cette ingénierie capables tout à la fois d’apporter du conseil aux équipes de direction, de manager des projets complexes, de piloter les dispositifs d’évaluation, de concevoir des modes d’organisation et de coopération, et aussi d’intégrer des écoles de formation en travail social. UN DÉVELOPPEMENT DU BESOIN D’INGÉNIERIE SOCIALE La notion d’ingénierie sociale trouve une nouvelle expression en France après la « crise économique » de 1973, à la fin des Trente Glo- rieuses. Vincent de Gaulejac relève dans la seconde édition de son ouvrage intitulé L’ingénierie sociale : « Lorsque nous avons écrit la première édition de cet ouvrage, dans les années 1985, la notion d’ingénierie sociale était peu utilisée. Nous avions un débat sur la pertinence de ce terme au parfum technocratique. Nous étions cepen- dant soucieux de crédibiliser les nouvelles démarches d’intervention sociale5. » Il est donc nécessaire de revenir sur cette évolution des modes d’intervention, conséquences des mutations économiques et sociales à l’œuvre dans notre société après le début des années 1980, à travers les caractéristiques des politiques publiques qui se donnent pour objet de faire face à une « nouvelle question sociale ». Si le terme « ingénierie » est le même, l’objet et la finalité peuvent être sensible- ment différents. En tout état de cause, la notion ne recouvre pas la même chose. 4. Olivier CANY, op.cit. p. 6. 5. Vincent de GAULEJAC, Michel BONETTI, Jean FRAISSE. L’ingénierie sociale, Paris, Syros, coll. Alternatives sociales, 1995. © Érès | Téléchargé le 20/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 93.23.250.89) © Érès | Téléchargé le 20/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 93.23.250.89) Patrick Dubéchot Vie Sociale – n° 1/2011 64 L’approche globale des questions sociales La transformation des politiques publiques, en France, et en parti- culier dans le domaine des politiques sociales, est généralement située à l’orée des années 1980, avec un changement de paradigme rompant avec des logiques d’action qualifiées de traditionnelles6. La rupture avec le modèle qui prévaut depuis la seconde guerre mondiale, s’opère à partir des constats de la complexité des problèmes qui se présentent, que ce soit celui de la délinquance, de l’habitat social ou encore de l’insertion des jeunes... La conclusion des commissions7 qui ont été installées entre 1981 et 1982 est que les interventions s’accordent dif- ficilement d’un traitement séparé, sectoriel. Le mot d’ordre est de dé- velopper une approche « globale ». La recherche d’une globalité repose donc sur la critique d’une spé- cialisation et préconise un élargissement des intervenants, en allant au- delà des seuls professionnels patentés. Deux logiques d’action seront constamment mobilisées : une logique de coordination des interven- tions et la recherche d’une « transversalité ». Cette question trouvera une traduction aussi dans les organisations. Un développement de politiques publiques territorialisées Cette émergence du paradigme d’approche globale a largement contribué à l’émergence des logiques de développement territorialisé. Les problèmes auxquels sont confrontés les groupes sociaux les plus défavorisés, nécessitent de trouver des réponses adaptées à des pro- blèmes collectifs comme le chômage, l’insertion professionnelle, le logement, etc. Par ailleurs, les habitants, les usagers des services sont des acteurs uploads/Management/ deis-enjeux-et-perspectives.pdf

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  • Publié le Nov 01, 2021
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