13 Les concessions Portuaires Avant-Propos Par Dr Yann ALIX, délégué général de
13 Les concessions Portuaires Avant-Propos Par Dr Yann ALIX, délégué général de la Fondation Sefacil et ancien directeur de l’IPER – Le Havre Jean Grosdidier de Matons entame en 1999 son ouvrage Droit, Economie et Finances Portuaires par un avertissement « (…) un traité, qui vieillit vite, est moins utile par ce qu’il contient que par les perspectives qu’il ouvre ». Ce vœu résume en quelque sorte la carrière visionnaire d’un professionnel qui préfère s’exiler sous les bons auspices américains de la Banque Mondiale plutôt que de tomber dans un consensus intel lectuel hexagonal. Pendant plus d’un demi-siècle, Jean Grosdidier de Matons s’est imposé comme un démiurge du savoir portuaire mondial, faisant profiter de son ex périence et de son audace les autorités portuaires de tous les continents. A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la (re)construction ouest-européenne constitue un terreau idéal pour tous les praticiens du secteur portuaire. L’édification des quais, digues, enrochements et autres épis portuaires relèvent d’une compétence d’obédience régalienne sous la férule des diplômés de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. A cette époque, les modalités de la relation entre une autorité publique et des entreprises privées n’entretiennent aucune littérature. Le port jouit d’une souveraineté publique inaliénable. Son rôle stratégique se couple d’une ambition socio-économique pour défendre des intérêts nationaux. Les ports regardent alors exclusivement vers la mer puisque la puissance des nations contemporaines relève de la maitrise des mers et des océans. Comme le rappelle le professeur André Vigarié en 1979 en évoquant la définition générique d’un port « (…) une aire de contact entre les deux domaines de la circulation terrestre et de la circulation maritime ; son rôle est donc d’assurer une solution de continuité entre deux schémas de transports adaptés à la traversée de deux espaces aux caractéristiques différentes ». Finalement, 14 Les concessions Portuaires l’organisation des systèmes de transport maritime internationaux demeure sensiblement identique aux premières formalisations techniques et commerciales des thalassocraties méditerranéennes décrites par Fernand Braudel. Les ports relèvent d’une politique publique nationale qui investit, planifie, contrôle et commande. A l’époque, Jean Grosdidier de Matons s’émeut du manque de vi sions économiques de l’ensemble. Il n’hésite pas à relever le « caractère primitif des statistiques » tout en dénonçant l’absence de contrôle financier de la dépense pub lique, sans parler de l’ignorance des règles élémentaires de gestion. Il faut dire que les « Trente Glorieuses » ont de part et d’autre de l’Atlantique gavé les interfaces portuaires de marchandises de toutes natures et de tous gabarits. L’opulence des trafics n’aiguise de nulle manière l’appétence d’une concurrence entre grands ports ; chacun finalement trouvant son trafic à son établissement, sa filière de produits à sa route maritime. Les considérations juridiques portuaires se testent seulement avec les premières ré formes institutionnelles. En 1962, le rapport de la Commission Rochdale en Grande- Bretagne met en avant le manque effarant d’investissements dans les infrastructures portuaires. Il pointe du doigt les dérives d’une gestion corsetée dans un cadre ju ridique totalement obsolète. Cela aboutit au Harbour Act de 1964 qui accouche du National Port Council en charge de repenser, notamment, la législation portuaire bri tannique. Le processus de décolonisation, notamment des anciens territoires sous contrôle français, aiguise les débats sur les cadres légaux et réglementaires de gestion des interfaces portuaires. Les ports francophones ouest-africains dupliquent fidèlement le « modèle » de l’ancienne colonie avec des tâtonnements qui font et défont des Con seils d’administration, des Commissions de surveillance, des directions générales ou des statuts centralisateurs de Sociétés d’Etat. Dès 1954, Jean Grosdidier de Matons officie au Port de Douala où il initie une informatisation unique en son genre avec l’introduction des cartes perforées ! A Douala, puis à Abidjan, il innove en modernisant les capitaineries, en développant leurs compétences, en renforçant la qualité de leurs personnels dans un modèle bien adapté aux besoins locaux. A la même époque en France, la réforme des ports autonomes de 1965 génère une intense vague de « négociations » où les éléments juridiques portuaires sont au cœur des enjeux. Les espaces portuaires expérimentent de profondes transformations sous l’impulsion des investisseurs industriels. Une recomposition des fonctions portuaires s’adosse sur des installations lourdes qui connectent physiquement des réseaux de stockage, de transformation et de distribution. Dans les tribunes spécialisées anglo- saxonnes, le professeur James Bird parle alors de gateway pour irriguer des hinter land qui se superposent dans une nouvelle dimension concurrentielle. La limite des aires de chalandise ne se restreint plus à la frontière politique d’un Etat. La nature 15 Les concessions Portuaires des produits manutentionnés conditionne le portfolio des services et des fonctions offertes par un établissement portuaire. La spécialisation et le gigantisme des navires impliquent la construction de nouveaux sites portuaires avec des terminaux aux di mensions inusitées, nécessitant la mobilisation de capitaux publics… et privés. La loi de 1965 sur l’autonomie des grands ports français a pour impérieuse ambition d’équiper les appareils portuaires nationaux. Les besoins de financement appellent à modifier les modes d’administration pour permettre l’intégration progressive des investisseurs privés. Ces derniers revendiquent de manière légitime des sièges dans les organes de décision, aux côtés des représentants légaux de l’administration fran çaise. Face aux pragmatismes hanséatiques, les cadres réglementaire et législatif français apparaissent en retard même si les premières autonomies portuaires datent de 1920 ! La création de conseils d’administration et la gestion des affaires par des di rections portuaires redonnent du pouvoir aux intérêts locaux/régionaux, et notamment aux forces entrepreneuriales privées ainsi qu’aux municipalités. Le professeur Pierre Bauchet rappelle justement : « (…) dans le passé, les établissements portuaires étaient principalement tournés vers des activités maritimes ; d’autres activités, commerce, banque et logistique étaient assurés par la communauté urbaine de façon relativement indépendante ». Or, les destinées portuaires sont entrées dans une économie indus trielle mondialisée ou, comme le qualifiait alors le professeur italien Adalberto Vallega, dans une phase d’« expansione rapida delle economia neoindustriale ». Néanmoins, les enjeux économiques, financiers et industriels ne trouvent toujours que très peu d’échos encore du côté des sciences juridiques ! Jean Grosdidier de Matons travaille alors sa thèse de doctorat qui est défendue en 1969 sous un titre explicite « Le régime administratif et financier des ports maritimes », suivi à peine 2 ans plus tard par un document qui ne laisse guère de place à l’interprétation : « Ports as a public service: the evolution in France and in the United States ». Cette approche comparée du droit français et du Common Law britannique n’aura de cesse d’animer la réflexion de l’exilé d’Outre-Atlantique qu’a toujours été Jean Grosdidier de Ma tons. Les Etats-Unis, sûrement plus décomplexés que les autres nations sur la respon sabilité du secteur privé, jouent un rôle moteur dans le processus de déréglemen tation et l’émergence de nouvelles relations entre les sphères publiques et privées au niveau portuaire. Paradoxe de l’histoire, ce sont pourtant ces mêmes contraintes réglementaires sur la circulation des poids lourds entre Etats américains qui obligent le trublion Malcom MacLean à transgresser les usages du transport des marchan dises. L’histoire est en marche avec des remorques sans boggies qui se déposent sur le deck de l’Ideal X, ancien pétrolier converti pour assurer ce qui sera la première liaison « conteneurisée » de l’histoire. Nous sommes alors en 1956 et le défi de la con teneurisation n’est pas encore cerné par les autorités portuaires. Anecdote oubliée 16 Les concessions Portuaires de l’histoire, c’est paradoxalement une compagnie ferroviaire canadienne (Canadian National Railway) qui avait, dès 1953, lancé un navire construit pour transporter des boîtes réfrigérées standardisées (les fameuses Canex) entre les provinces du New foundland et de la Nouvelle-Ecosse ! La conteneurisation accélère la transformation des modalités de gestion des ter minaux portuaires. Les plus concernées par cette « mise en boîte » des marchan dises générales diverses restent les forces de travail œuvrant sur les terminaux. La mécanisation des manutentions fait planée une menace sur les débardeurs alors que les productivités explosent. Le ratio entre le nombre d’hommes mobilisé et le tonnage manutentionné est sublimé. Dorénavant, les escales des navires se comptent en jours en non en semaines. Autre paradoxe de l’histoire, cette fois-ci, les travailleurs de l’espace portuaire disposent d’un arsenal juridique spectaculaire pour protéger leurs ententes corporatistes et autres accords syndicaux tacites hérités des luttes ouvrières historiques. Le droit est « en avance » pour contrer les révolutions opérationnelles que la systématisation du conteneur impose sur tous les continents et dans tous les ports généralistes du monde. En France, le slogan « les ports, patrimoine français » résume les revendications avec en écho le droit et les acquis écrits de la Loi du 6 septem bre 1947. Loïc Hislaire parle même de « lutte contre la privatisation des quais » par la très puissante Fédération Nationale des Ports et Docks, particulièrement experte dans la connaissance des textes réglementaires régissant le travail sur les terminaux métropolitains. Aux Etats-Unis, « The battle for NewYork’s port » comme l’écrit Marc Levinson marque les esprits portuaires planétaires. Les avocats défenseurs des lois passent uploads/Management/ extrait-concessions-portuaires.pdf
Documents similaires










-
31
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 29, 2021
- Catégorie Management
- Langue French
- Taille du fichier 0.2445MB