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10/29/2014 Des sons et des esprits-maîtres en Amazonie amérindienne http://ateliers.revues.org/8546#ftn3 1/14 Ateliers d'anthropologie Revue éditée par le Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative 34 | 2010 : L'agentivité Des sons et des esprits­maîtres en Amazonie amérindienne Sounds and master­spirits in native Amazonia JEAN-PIERRE CHAUMEIL Résumés Français English Partant d’un examen comparatif des terminologies concernant la notion d’esprits-maîtres et l’agentivité dans diverses régions des basses terres amazoniennes, l’article s’attache ensuite à décrire plus précisément les formes particulières — essentiellement sonores — de communication et de contrôle des esprits chez les Yagua de l’Amazonie péruvienne. Cet examen permet de saisir l’importance du champ sonore et de la maîtrise des sons dans ces cultures comme l’un des éléments constitutifs des formes de contrôle et de communication avec les non-humains. Beginning with a comparative examination of terminology related to the notion of master- spirits and agency in diverse regions of the Amazonian lowlands, the article then attempts to more precisely describe the particular, essentially sonorous forms of spirit communication and control used among the Yagua of the Peruvian Amazon. This examination enables an understanding of how the sound field and sound mastering are important elements constituting forms of control and forms of communication with non-humans. Entrées d’index Mots­clés : agentivité, champ sonore, communication avec les esprits, musique, Yagua Keywords : agency, communication with spirits, music, sound field, Yagua Géographique : Amazonie Texte intégral Ce texte — qui réunit un ensemble de réflexions encore à l’état très largement embryonnaire — comprend deux parties1. La première tente de brosser un rapide 1 10/29/2014 Des sons et des esprits-maîtres en Amazonie amérindienne http://ateliers.revues.org/8546#ftn3 2/14 La figure des esprits­maîtres : la même pour tous ? tour d’horizon comparatif des formes variées de la terminologie concernant les esprits-maîtres et l’agentivité à partir des données disponibles dans la littérature sur les basses terres amazoniennes2. La seconde partie examine plus précisément le cas des Yagua d’Amazonie péruvienne. Cet exemple présente un intérêt pour notre propos en ce qu’il met en œuvre des formes particulières — sonores davantage que linguistiques — de communication et de contrôle des entités de la forêt, notamment par la maîtrise de registres vocaux ou acoustiques. L’objectif sera alors de s’interroger sur la valeur du champ sonore et la maîtrise des sons comme l’un des traits constitutifs des formes spécifiques de communication et de contrôle des esprits. Parallèlement, nous nous intéresserons au code chromatique comme indicateur de puissance, les couleurs correspondant ici à des degrés de pouvoir qualitativement définis. Notre recherche s’est appuyée au départ sur un certain nombre d’ouvrages de synthèse — déjà relativement anciens pour la plupart3 — ainsi que sur plusieurs monographies récentes (cf. infra). Un grand profit a également été tiré de la lecture du mémoire de DEA de C. Yvinec (2004) qui indique de nouvelles pistes concernant directement notre domaine. 2 Si l’on s’en réfère à la littérature consultée, la figure des « esprits-maîtres », sous des formes variées, est omniprésente dans les basses terres amazoniennes — le prototype pourrait être le « maître du gibier ». Ces esprits ont généralement pour fonction de protéger la forêt et les entités qui y vivent : ils en sont soit les « propriétaires », soit les chefs, les guides, les détenteurs ou tout simplement les protecteurs contre la prédation des humains, plus rarement les géniteurs ou les procréateurs4. Dans certains cas, cette catégorie de maîtres englobe toutes les entités de la forêt sous un seul terme générique. Le plus souvent cependant, chaque espèce — animale, végétale ou autre — possède son propre esprit tutélaire, voire plusieurs (Zerries, 1962). Les membres de chaque espèce sont alors perçus comme leurs progénitures, leurs « enfants », leurs « domestiques » ou encore leurs « employés ». 3 Chaque classe d’esprits-maîtres dispose souvent de sa propre langue et de certaines prérogatives. Certaines peuvent faire l’objet de représentations matérielles — sous forme de masques, de flûtes ou de statuettes — qui les incarnent en totalité ou en partie. Elles peuvent également être localisées ou confinées dans des espaces limités ou dans des objets (hutte, hochet, pierre, quartz, etc.), renforçant sans doute l’idée de « contrôle » ou celle d’être « possédé » : la plupart de ces entités peuvent en effet se convertir en auxiliaires chamaniques et sont censées être contrôlées voire « nourries » par leurs possesseurs humains. 4 Si l’on voulait à tout prix trouver un équivalent andin de la catégorie des esprits- maîtres, il faudrait probablement se tourner vers la figure des apu, les esprits de la montagne, les « chefs », « ceux qui commandent », ceux qui « ordonnent » (kamachiy) le monde, au sens de donner des ordres mais aussi de mettre en ordre, d’organiser (Ricard, 2004). Ce sont les protecteurs des villages, les maîtres et les possesseurs des terres, des troupeaux. Les apu possèdent également des animaux domestiques (les renards sont leurs chiens, les cervidés leurs mules, les condors leurs poules, etc.). Tout comme les esprits-maîtres des basses terres, ils sont hiérarchisés et différenciés en une multitude d’entités, chacune possédant une personnalité 5 10/29/2014 Des sons et des esprits-maîtres en Amazonie amérindienne http://ateliers.revues.org/8546#ftn3 3/14 particulière qui se distingue bien souvent par un type de voix et une intonation singulière. On entrevoit ici l’intérêt qu’il y aurait à réaliser un travail comparatif sur ce sujet entre les hautes et les basses terres. Mais revenons aux esprits-maîtres amazoniens à l’endroit desquels les humains maintiennent différents types de relations ou d’interactions selon qu’ils sont perçus en « partenaires » — d’un certain type — ou, à l’inverse, comme des « autres » irréductibles n’autorisant guère de dialogue ou d’échange. 6 Dans le premier groupe, l’exemple disons « classique » du modèle échangiste avec les esprits-maîtres est illustré par la littérature sur les Desana (Reichel-Dolmatoff, 1973). On se souvient en effet des longues tractations entre les chamanes desana et les maîtres des animaux afin que ces derniers consentent à libérer le gibier en échange d’âmes humaines, âmes que sont précisément censés leur fournir les chamanes en question en les prélevant de préférence chez les groupes ennemis. Reichel-Dolmatoff s’est également longuement étendu sur le statut particulier du jaguar (et de ses équivalents aquatique et céleste) par rapport aux esprits-maîtres et sur la multitude d’entités intermédiaires entre les espèces. Chez les Araweté (Viveiros de Castro, 1992 : 345-346, notes 33 et 34), la notion de « maître » est rendue par le terme ñã qui véhicule les idées de leadership, de contrôle, de représentation, de responsabilité et la détention de certaines ressources (à distinguer des divinités célestes Maï). Le ñã est toujours un humain ou un être anthropomorphisé. Le ñã de quelque chose est quelqu’un qui possède cette chose en abondance. Avant tout, le ñã est défini par quelque chose dont il est le maître : il est à la fois le « représentant » et le « représenté » de cette chose. Ce qui le caractérise, c’est qu’il ne peut manger les espèces dont il doit précisément prendre soin et contrôler la reproduction (op. cit.). Le rôle de ñã — maître, propriétaire — est également dévolu aux maîtres des rituels. 7 Chez les Achuar (Descola 1986 : 317-321), la figure du maître est en quelque sorte dédoublée. D’un côté, les « mères » du gibier exercent « sur le gibier un contrôle identique à celui que les Achuar exercent sur leurs enfants ou leurs animaux domestiques » (p. 317). Ces « mères » sont réparties en plusieurs classes clairement distinguées : les unes apparaissent sous l’aspect de personnages portant leur cœur en bandoulière sur la poitrine, tandis que d’autres prennent l’apparence d’un homme blanc barbu, cannibale et polyglotte, doté d’une bouche sur la nuque (rappelant la figure andine de l’askay) et engoncé dans un costume évoquant celui des conquistadors. Par ailleurs, chaque espèce est dotée d’un « chef », amana. Les amana constituent de fait les interlocuteurs privilégiés des chasseurs : on leur adresse des incantations (anent) qui les placent en position d’affins (« beaux- frères ») (p. 321). 8 Chez les Sharanahua (Déléage, 2005), la notion de « maître », rendue par le terme ifo, désigne la relation qu’entretient un propriétaire vis-à-vis de ses possessions : pushu ifo est le « propriétaire de la maison ». Le maître de fête est également ifo. Selon P. Déléage, cette notion est caractérisée par trois traits : 1) avoir autorité sur. Posséder quelque chose, c’est avoir autorité sur elle : les parents sont ifo de leurs enfants ; 2) créer, engendrer. On a autorité sur ce que l’on a fabriqué soi-même : ifo est celui qui a créé quelque chose, dont il connaît donc la genèse (connaître l’origine d’une chose permet ainsi d’exercer un contrôle sur cette chose) ; 3) domestiquer, « nourrir » : l’idée de partage de nourriture est très présente dans le rapport entre le maître et sa « propriété » (cf. par exemple la figure du « patron » amazonien et le rapport paternaliste qu’il entretient avec ses employés, op. cit.). Dernier exemple, chez les Trumai, uploads/Management/ j-p-chaumeil-des-sons-et-des-esprits-mai-tres-en-amazonie-ame-rindienne 1 .pdf

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  • Publié le Aoû 18, 2022
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