FABRICE FLIPO L’Accord de Paris a établi en 2015 que 1,5°C de réchauffement cli

FABRICE FLIPO L’Accord de Paris a établi en 2015 que 1,5°C de réchauffement climatique serait le seuil à ne pas dépasser pour ne pas perturber de manière dangereuse le système climatique, suivant les mots de la Convention- cadre signée en 1992 à Rio. Avec le European Green Deal (« Pacte Vert pour l’Europe»), qui vise la neutralité carbone d’ici 30 ans, l’Europe paraît prendre ses responsabilités, en termes d’objectifs. Le programme présente toutefois des faiblesses importantes, en particulier son pilier numérique. LES NOTES DE LA FEP NOTE N°24 - FÉVRIER 2021 UN PACTE BASÉ SUR UNE PROMESSE DE DÉCOUPLAGE MAL ÉTAYÉE Le Pacte Vert pour l’Europe vise rien de moins que l’absence d’émission de gaz à effet de serre nette d’ici 2050 (Pacte p.2). L’adoption de cet objectif est une avancée dont le sérieux est attesté par une feuille de route documentée1, qui va bien au-delà des simples mesures d’efficacité énergétique et de croissance des énergies renouvelables (l’ancien « pa­ quet énergie-climat »2). De plus le Pacte pense parvenir à établir une société « juste et prospère, dotée d’une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive » (Pacte p.2). Dans le même temps, il pense parvenir à établir une société « juste et prospère, dotée d’une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive » (Pacte p.2). L’Europe se positionnerait en leader mondial dans le domaine de « l’économie verte ». Les citoyens et leur participation active seraient placés au cœur du dispositif. Des investissements initiaux seraient « l’occasion de mettre résolument l’Europe sur une nouvelle voie, celle d’une croissance durable et inclusive. Le Pacte Vert pour l’Eu­ rope accélérera et étaiera la transition nécessaire dans l’ensemble des secteurs » (Pacte p.2). La fameuse croissance verte serait donc à portée de main. Fabrice Flipo est professeur de philosophie, épistémologie et his­ toire des sciences et techniques à l’Institut Mines-Télécom ; cher­ cheur au Laboratoire du change­ ment social et politique de l’Uni­ versité de Paris. Il est membre du comité de rédaction de la revue Écologie & Politique. Il vient de faire paraître aux Éditions Maté­ riologiques l’ouvrage L’impératif de la sobriété numérique. L’en­ jeu des modes de vie (novembre 2020). 1 Commission Européenne, Le pacte Vert pour l’Europe, COM(2019)640 final. 2 https://ec.europa.eu/clima/policies/strategies/2020_fr PAR FABRICE FLIPO LE GREEN DEAL EUROPÉEN ET L’ENJEU DU NUMÉRIQUE RETOUR SUR UN IMPENSÉ 2 LE GREEN DEAL EUROPÉEN ET L’ENJEU DU NUMÉRIQUE // NOTE N°24 - FEVRIER 2021 Comment un tel tour de force est-il possible ? Le Pacte Vert s’appuie sur un ensemble de politiques qu’il convient de replacer dans une dynamique de directives européennes dont la construction s’étend sur plusieurs décennies, por­ tant principalement sur l’efficacité énergétique, les déchets, l’écoconception, l’économie circulaire, l’achat public et l’information des consommateurs. On ne reprendra pas le détail ici : l’essentiel est rappelé dans la Communication « Une planète propre pour tous - Une vision européenne stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat » (2018).3 Le Pacte Vert déborde même du cadre étroitement énergétique, en incluant la diversité biologique dans l’analyse. Grâce à ses politiques, l’UE pense avoir déjà réalisé le découplage tant attendu, ou espéré : « en conséquence [des réglementations déjà adoptées], entre 1990 et 2016, la consommation d’énergie a diminué de près de 2% et les émissions de gaz à effet de serre de 22%, tandis que le PIB a progressé de 54% […] La part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie est passée de 9% en 2005 à 17% aujourd’hui » (COM2018/773 p.5). La solution est donc d’aller plus loin : plus de renouvelables, plus d’efficacité matière et énergie, plus de pro­ duits « verts ». Le Pacte Vert vise -50 % d’ici 2030 par rapport à 1990 (COM/2019/640 p.5), contre -40 % dans la précédente communication (COM/2018/773 p.5), qui estimait déjà que « le statu quo n’est pas envisageable » (COM2018/773 p.6). Les secteurs du textile, de la construction et de l’électronique sont désormais ciblés au titre de l’économie circulaire (COM/2019/640 p.9), avec une attention à la réparation et au réemploi. L’ensemble repose d’un côté sur des incitations pour les entreprises et de l’autre sur des incitations pour les consomma­ teurs ; combattre l’écoblanchiment est au menu (COM/2019/640 p.9). Les mesures d’efficacité énergétique devraient réduire la consommation d’énergie de moitié ; le modèle explicite est l’étiquette-énergie et les gains assez énormes qu’elle a permis d’apporter, dans la réduction évoquée plus haut, avec des effets à l’échelle mondiale ; les bâtiments sont également à l’agenda (COM/2018/773 p.9). Le déploiement des renouvelables réduirait la part des fossiles à 20 % et la facture de 2000 à 3000 milliards d’euros sur 2031-2050. La part de l’électricité augmenterait, et serait à 80 % renouvelable en 2050. La consommation d’énergie serait réduite de 28 %, par rapport aux niveaux actuels. L’hydrogène, le stockage de carbone et divers procédés de conversion chimique de l’électricité en matériaux combustibles seraient utilisés en complément, permettant de conférer des capacités de flexibilité et de stockage. Le jeu de rôles est identifié : d’un côté les producteurs de produits propres, de l’autre des citoyens qui les achètent ; et comme ce n’est pas encore le cas ni d’un côté ni de l’autre, des réglementations et des incitations vont permettre d’atteindre le but. La réglementation permet de sortir de la position « d’attente », évoquée dans l’Eurobaromètre4, sur laquelle nous concluions nos travaux en 20095 : le consommateur attend une ga­ rantie de « vertitude » de la part des pouvoirs publics, étant soumis à un greenwashing intense ; l’entreprise « attend » également que ses produits les plus verts trouvent un débouché, et en attendant elle se tourne vers les acheteurs publics ; les pouvoirs publics attendent quant à eux que les moyens de la croissance verte soient disponibles. Pour l’Europe, cette fois-ci, « l’engagement du consommateur, notamment par l’intermédiaire d’associations, sera un élément clé dans ce processus. » (COM/2018/773 p10). 3 Commission Européenne, Une planète propre pour tous - Une vision européenne stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat, COM(2018)773 final. 4 https://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/flash/fl_367_en.pdf Eurobaromètre p46 5 Flipo, Fabrice et al., Technologies numériques et crise environnementale : peut-on croire aux TIC vertes ? Rapport final Projet Ecotic, Rapport, 2009, p. 149. 3 LE GREEN DEAL EUROPÉEN ET L’ENJEU DU NUMÉRIQUE // NOTE N°24 - FEVRIER 2021 À cette mobilisation des producteurs et des consommateurs s’ajoutent la mobilisation des budgets nationaux, du budget européen et de la finance « verte », privée, dont le cadre est attendu pour la fin de l’année 2020. 75 % des gaz à effet de serre (GES) viennent de l’énergie (COM2018/773 p.7), qui est donc le premier secteur visé. Efficacité, renouvelables, courbe avec une forte décroissance de la consommation d’énergie, promesses importantes d’emploi : tout indique que les partisans du scénario négawatt ont remporté un combat historique, culturel (sur les valeurs, sur la manière de cadrer les enjeux) et politique (textes officiels à la clé). Source : Flipo & al., 2009, p. 1495 Source : COM/2018/773 p28. Figure 1 : Mécanisme de report de responsabilité entre acteurs socio-économiques Figure 2 : Trajectoire des émissions de GES dans un sénario de réchauffement de 1,5° C 4 LE GREEN DEAL EUROPÉEN ET L’ENJEU DU NUMÉRIQUE // NOTE N°24 - FEVRIER 2021 Source : negawatt, 2017. Pour quels coûts ? Quels bénéfices ? Les économies évoquées sur les fossiles s’élèveraient entre 150 et 200 milliards d’euros par an, à quoi s’ajouterait une facture sanitaire évitée de 200 milliards par an ; à quoi s’ajou­ terait la perspective d’exportation de produits « verts ». Enfin des millions d’emplois seraient à la clé, avec des mécanismes d’aide à la reconversion pour les secteurs touchés, et un soutien pour les plus bas revenus. L’affaire serait donc rentable, sur le papier, sans même tenir compte des dégâts climatiques. Et l’on remarque qu’une large partie de la justification repose sur des coûts sanitaires qualitatifs, monétisés (« prix fantômes »). Victoire finale ? Tout l’indique, sur le papier. Ce n’est pas si simple. Car l’Union reconnaît dans le même temps qu’elle connaît une « récente stagnation des améliorations dans le domaine de l’efficacité énergétique et des réductions d’émissions de gaz à effet de serre » (COM2018/773 p.5). Stagnation ? Alors qu’il faudrait accélérer ? Que les politiques seraient déjà bonnes ? Pourquoi ? Les raisons de l’arrêt de la baisse de la consommation d’énergie observée entre 2005 et 2014 sont pour le moins surprenantes, en regard, la cause première est la croissance économique, avant la décroissance tendancielle des gains en efficacité énergétique, notamment dans le transport aérien, la forte croissance des SUV et l’ajustement réalisé suite aux révélations de l’écart entre les normes GES imposées sur l’automobile et les émissions réelles des véhicules (+30%!)7. Rappelons que les SUV sont nés d’une tentative réussie de contournement des règles de pollution, aux Etats-Unis, où la réglementation sur les « camions légers » est moins contraignante que celle sur les uploads/Management/ le-green-deal-europeen-et-l-x27-enjeu-du-numerique-retour-sur-un-impense.pdf

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  • Publié le Nov 09, 2021
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