20 Revue suisse de pédagogie spécialisée, 4 / 2017 N EUR O S CI E NCE S E T P É
20 Revue suisse de pédagogie spécialisée, 4 / 2017 N EUR O S CI E NCE S E T P É DAG O G I E S PÉCI ALI SÉE Introduction: les émotions Qu’est-ce qu’une émotion ? Dans l’histoire, les définitions ont été nombreuses et elles ont mis l’accent sur les différents aspects de l’émotion comme ses dimensions corpo- relle, personnelle, sociale et cognitive. Ces définitions ont lié nos émotions à notre bien-être, nos ressentis, nos interactions sociales, nos réactions physiologiques, nos décisions, nos pensées ou nos actions. Ac- tuellement, une définition dite multi-com- ponentielle de l’émotion est typiquement utilisée dans la recherche en sciences affec- tives. Selon cette approche (voir Sander, 2016a), l’émotion est définie comme une modification d’état rapide et transitoire en deux temps : (1) un déclenchement initial dû à la pertinence d’un événement (réel ou imaginé) menant à (2) une réponse dans plusieurs composantes (système nerveux périphérique, tendance à l’action, expres- sion motrice et ressenti conscient). Les émotions dans le cerveau Une vision très répandue est que les émo- tions et la cognition ont des localisations et des rôles différents au sein même du cer- veau, qui se reporteraient aussi dans nos comportements. Ainsi, certaines régions du cerveau seraient responsables de nos émo- tions (comme le système dit limbique) et les régions corticales plus évoluées seraient dé- diées à la cognition (Sander, 2013). Cepen- dant, notamment grâce aux technologies d’imagerie cérébrale récentes, il semble que non seulement les structures cérébrales liées aux émotions ou à la cognition ne sont pas isolées, mais qu’une même région est souvent caractérisée de « cognitive » ou d’ « émotionnelle » selon les études (Pes- soa, 2008). Par exemple, l’amygdale, logée au cœur du cerveau, est considérée comme émotionnelle, car impliquée dans la détec- tion des événements ayant une pertinence affective pour l’individu, mais elle est aussi Solange Denervaud, Martina Franchini, Edouard Gentaz et David Sander Les émotions au cœur des processus d’apprentissage Résumé Cet article s’intéresse aux émotions comme processus qui, étant donné leurs implémentations cérébrales en lien avec les systèmes impliqués dans la motivation, l’attention et la mémoire, sont au cœur des apprentissages. Des recherches suggèrent que les compétences émotionnelles sont bénéfiques à la fois au bien-être et aux performances scolaires. Nous discutons de l’importance de comprendre les émotions pour tout élève ayant un développement typique et pour des élèves ayant un trouble du développement tels que ceux présentant des troubles du spectre autistique. Zusammenfassung Unser Artikel befasst sich mit Emotionen als Prozess. Diese stehen – insbesondere aufgrund ihrer zerebralen Imple- mentation in Verbindung mit den für Motivation, Aufmerksamkeit und Gedächtnis zuständigen Systemen – im Zent- rum jeder Lernleistung. Forschungen gehen davon aus, dass sich emotionelle Kompetenzen sowohl auf das Wohlbe- finden wie auf schulische Leistungen positiv auswirken. Vorliegend diskutieren wir die Wichtigkeit des Verständnisses von Emotionen bei Schülerinnen und Schülern mit typischer Entwicklung, aber auch bei jenen mit Entwicklungsstö- rungen wie etwa aus dem Autismus-Spektrum. 21 Revue suisse de pédagogie spécialisée, 4 / 2017 NE UR O S CI E NCE S ET PÉDAG O G I E SPÉCI ALI SÉE considérée comme un élément clé pour les processus cognitifs que sont l’attention et la mémoire. Un autre exemple est le cortex préfrontal dorso-latéral qui est classique- ment considéré comme étant impliqué dans les fonctions exécutives, notamment l’inhi- bition, mais qui est aussi une région clé dans les processus de régulation des émotions. Les modèles actuels suggèrent donc que les émotions et les fonctions cognitives agissent de pair et de manière diffuse, avec un sou- bassement cérébral fortement distribué au sein de réseaux de neurones. C’est notam- ment la raison pour laquelle les processus dits « cognitifs» et « affectifs» sont typi- quement touchés de manière conjointe lors de pathologies. Les émotions au cœur des apprentissages Cette vision nous informe que les émotions soutiennent l’attention, la mémoire de tra- vail, l’encodage, la consolidation en mé- moire ou encore des processus liés au contrôle exécutif (p. ex. l’inhibition). Ces processus cognitifs sont également néces- saires aux apprentissages scolaires. Les émotions accompagnent donc les élèves au sein de la classe, et peuvent interférer avec les apprentissages ou les faciliter (Sander, 2013). Le rôle des émotions dans l’éduca- tion est de plus en plus étudié (Cuisinier, Tornare, & Pons, 2015 ; Pekrun & Linnen- brink-Garcia, 2014). Par exemple, il a été proposé de caractériser certaines émotions comme étant des émotions dites « d’accom- plissement » car elles sont liées aux buts de réussite des élèves ; ces émotions sont pré- sentes durant la réalisation d’activités d’ap- prentissage en tant que telles (p. ex., plaisir, intérêt, relaxation, colère, frustration et en- nui) et en lien avec les réussites (joie, espoir, fierté, gratitude, soulagement) ou les échecs (anxiété, honte, colère, tristesse, dé- ception, détresse) scolaires (Pekrun, Goetz, Frenzel, Barchfeld, & Perry, 2011). D’autre part, des émotions dites «épistémiques» (Silvia, 2010) telles que l’intérêt, la confu- sion, la surprise, ou l’admiration sont sup- posées sous-tendre l’exploration de la nou- veauté, l’apprentissage et, plus générale- ment, l’acquisition de connaissances. Les compétences émotionnelles La notion d’intelligence émotionnelle (San- der, 2016b) est souvent étudiée sous la forme d’une série de compétences, en par- ticulier : 1) la compréhension des émotions ; 2) la reconnaissance de ses propres émo- tions ; 3) la reconnaissance des émotions d’autrui ; 4) la capacité à ressentir des émo- tions appropriées aux situations; 5) l’ap- prentissage de la valeur émotionnelle de nouvelles situations ; 6) la régulation de ses propres émotions ; et 7) la gestion des émo- tions d’autrui, par exemple en groupe. La vie socio-émotionnelle de l’enfant âgé de quatre à seize ans se passe majori- tairement en contexte scolaire et est en lien direct avec sa capacité d’apprendre. En ef- fet, la composante sociale serait à l’origine même de nombreux apprentissages; notre connaissance se car nous imitons les per- sonnes observées et entrons en interaction non seulement parce que nous sommes aptes à identifier nos ressentis, mais égale- ment ceux d’autrui. Nous anticipons le plai- sir de la récompense sociale et des nou- veaux acquis, que nous pourrons utiliser à notre tour au sein d’un groupe. Les émotions accompagnent donc les élèves au sein de la classe et peuvent interférer avec les apprentissages ou les faciliter. 22 Revue suisse de pédagogie spécialisée, 4 / 2017 N EUR O S CI E NCE S E T P É DAG O G I E S PÉCI ALI SÉE Pour ce faire, l’enfant doit être capable d’identifier et reconnaître ses propres émo- tions et celles des autres. Cela s’acquiert de pair avec l’apparition de la conscience de soi, l’acquisition du langage et le dévelop- pement de la théorie de l’esprit (Gentaz, De- nervaud, & Vannetzel, 2016). Les subtilités et niveaux des compétences individuelles découlent des expériences vécues et de l’ac- compagnement reçu. Parallèlement, les émotions se doivent d’être régulées. Ainsi, l’enfant développe et entraîne son contrôle inhibiteur, sa capacité de mémoire de tra- vail, sa flexibilité mentale, qui seront autant d’outils nécessaires à sa régulation. En contexte scolaire, cette régulation est mul- tifactorielle : d’abord ce que ressent et pense l’enseignant influencera le contexte d’apprentissage. Un exemple type est celui de l’enseignant passionné qui inspirera les élèves, même les moins concernés initiale- ment. Et il y a également un aspect indivi- duel qui va résulter d’un réel apprentissage, l’utilisation de ses propres émotions. Des résultats suggèrent que plus l’élève tend à s’auto-réguler, plus ses perfor- mances académiques seront élevées (McClelland & Cameron, 2011). Cela néces- site l’apprentissage de plusieurs stratégies de régulation. Bien que les effets à court terme soient plus confortables pour l’entou- rage, la stratégie de régulation visant à sup- primer ses expressions émotionnelles est considérée comme maladaptive et ayant des conséquences néfastes sur le long terme (comportements agressifs, tendance à la passivité et problèmes cardiovascu- laires potentiels). Une autre stratégie, vi- sant à réévaluer la situation (reappraisal) peut demander un investissement tout par- ticulier de l’adulte et nécessiter d’accompa- gner le raisonnement de l’enfant pour iden- tifier et comprendre la situation dans son ensemble, mais a des effets plus bénéfiques sur le bien-être (Nyklí ek, Vingerhoets, Zeelenberg, 2011). Pour qu’il y ait transfert de connaissance, et donc une généralisa- tion de la régulation émotionnelle, il est cer- tainement important que l’enfant ait acquis la compréhension des événements vécus. Le fait qu’un enfant puisse s’auto-réguler résulte d’un processus lent, lié à la réalité biologique de la maturation cérébrale, et ne s’opérera qu’au travers d’une mise en pra- tique quotidienne. Différents entraîne- ments ont été mis en place et évalués scien- tifiquement comme significativement posi- tifs (Theurel & Gentaz, 2015 ; Nathanson, Rivers, Flynn & Brackett, 2016), prouvant le fait qu’il ne s’agit pas simplement d’un trait de personnalité, mais implique le résultat de connaissances qui peuvent être trans- mises et apprises. Il est intéressant de pré- ciser que ce transfert de connaissances peut être médiatisé par un adulte bienveillant, comme par des pairs, et que la verbalisation et la recherche de solutions positives en sont des points essentiels. De uploads/Management/ les-emotions-au-coeur-des-processus-d-x27-apprentissage.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2022
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