Discours, mémoires et contextes : à propos du fonctionnement de l’allusion dans
Discours, mémoires et contextes : à propos du fonctionnement de l’allusion dans la presse Publié en ligne le 01 novembre 2007 Auteurs : Par Sophie Moirand Résumé L'analyse du discours française, portant à l'origine sur des discours politiques, s'est construite dans les années 1970-1980 en dehors du paradigme cognitiviste. Les mots cognition ou cognitif semblent cependant avoir été inscrits « en creux », dès qu'il s'est agi de théoriser le fonctionnement du discours, en particulier derrière les notions de mémoire et d'oubli et dans leurs liaisons implicites avec les notions de contexte, de pensée et d'expérience humaine : l'existence du préconstruit, de l'interdiscours et de la théorie des deux oublis (Pêcheux), les notions de discours transverses et de mémoire interdiscursive (Courtine et Lecomte), le mot « qui n'oublie jamais son trajet », et donc les discours qu'il a déjà rencontrés (Bakhtine) ainsi que la notion de mémoire collective (Halbwachs) renvoient sans le dire explicitement à du cognitif. On essaie ici de démêler d'abord ce qu'on entend par mémoire en analyse du discours, depuis Courtine et Lecomte, et dans le cadre actuel d'une sémantique discursive renouvelée par la prise en compte des relations entre le sujet (social) et la réalité (sociale) telle qu'il la perçoit, qu'il l'interprète et qu'il la catégorise avant de la représenter pour d'autres. On s'interroge ensuite, à la lumière des analyses effectuées sur des corpus de la presse quotidienne française, sur ce que les mots et les dires transportent avec eux (fils verticaux du discours) lorsqu'ils s'inscrivent dans la matérialité discursive (fil horizontal du discours).Ce qui permettra de discuter des formes de mémoire (mémoires épisodique, perceptive, procédurale, sémantique et mémoire de travail) qui sont alors convoquées et du rôle de l'allusion dans la mémorisation et le rappel, voire la construction, des savoirs. On montre enfin comment l'appel à la mémoire des mots et des dires intervient dans l'éclairage proposé par l'énonciateur au fil du déroulement du texte, en particulier dans des configurations discursives comme l'explication médiatique ou l'argumentation, c'est-à-dire dans le cadre de la schématisation élaborée par J.-B. Grize : une organisation raisonnée de contenus de pensée visant à modifier les représentations cognitives des destinataires. Abstract French discourse analysis, which originally centered on political discourse, developed during the seventies and eighties outside the cognitive paradigm. The words "cognition" and "cognitive" seem nonetheless to have been reintroduced implicitly as soon as the question arose of theorizing the functioning of discourse, in particular behind the notions of memory and forgetting and in their implicit links with ideas of context, thought and human experience: the existence of the pre- constructed, of inter-discourse and Pêcheux's double forgetting theory, notions of transverse discourse and inter-discourse memory (Courtine and Lecomte), the idea of the word "that never forgets where it has been" and thus the discourses it has already encountered (Bakhtine) as well as the notion of collective memory (Halbwachs) point, although not explicitly, to the cognitive. This article attempts first of all to unravel what is meant by memory in discourse analysis since Courtine and Lecomte and within the present framework of a discursive semantic theory which has been renewed by the taking into account of the relations between the (social) subject and (social) reality as he perceives, interprets and categorizes it before representing it for others. We then examine, in the light of analyses carried out on a corpus from the French daily press, what words and speech bring with them (vertical threads of discourse) when they are inscribed in the materiality of discourse (horizontal thread of discourse). This will allow us to talk about the forms of memory (episodic, perceptive, procedural, semantic and working memory) which are evoked and the role of allusion in the memorization and recall, or even in the construction, of knowledge. Finally we show how the appeal to the memory of words and speech can be used by the speaker to modify the perception of a text as it unfurls, in particular in discursive configurations like media explanation of argumentation, in other words within the framework of the model elaborated by J.-B. Grize: a reasoned organization of thought content, the aim of witch is to modify the cognitive representations of those addressed. Mots-clés : représentation, dialogisme, interdiscours, allusion, analyse du discours française, intertexte, intratexte, mémoire collective, mémoire interdiscursive, presse quotidienne Keywords : dialogism, interdiscourse, allusion, collective memory, daily press, french discourse analysis, interdiscursive memory, intertext, intratext Sommaire 1. Mémoire et discours : les lieux d’une rencontre 1.1. La mémoire discursive dans l’ADF 1.2. La mémoire discursive « revisitée » 2. Du rôle de l’allusion dans la mémorisation et le rappel des savoirs 2.1. Des lieux d’inscription de la mémoire 2.2. Quelles mémoires ? Éléments pour un débat 3. Retour à l’ordre du discours Bibliographie 1 L’analyse du discours française (ADF), essentiellement centrée à l’origine sur les discours politiques, s’est construite dans les années 1970-1980 en dehors du paradigme cognitiviste (voir 1.1. infra). Ce qui explique peut-être l’absence de référence aux activités cognitives des locuteurs/interlocuteurs dans un certain nombre de travaux en France, comme celle de l’entrée « cognition » dans le Dictionnaire d’analyse du discours paru en 2002 (Charaudeau et Maingueneau éds)1. Ce qui n’est pas le cas d’autres courants d’analyse, plus proches de la pragmatique anglo-saxonne, qui ont pris rapidement un tour cognitif, avec H.P. Grice d’abord, puis D. Sperber et D. Wilson, ainsi que A. Reboul et J. Moeschler dans le champ francophone. Ce qui n’est pas non plus le cas du courant de la Critical Discourse Analysis, représenté par T.A. van Dijk, dont les objets d’étude rejoignent ceux de l’ADF, par exemple les discours politiques. 2 T. van Dijk, en se démarquant des courants sociolinguistiques et interactionnistes qui posent une relation directe entre les énoncés et les contextes situationnels (ou situations), postule en effet, dans la reconstruction du contexte par les participants de la communication à partir des éléments dits pertinents de la situation, une « interface cognitive », c’est-à-dire la médiation du cognitif entre la situation de communication (d’ordre social) et les structures de surface du discours (ce que l’on peut assimiler à la « matérialité discursive » de la tradition française : les formes de la langue). Il n’est d’ailleurs pas étonnant que van Dijk, qui s’est intéressé dans les années 1975-1980 à la modélisation de la compréhension et de la production des textes avec W. Kintsch, propose aujourd’hui un « modèle de contexte » qui repose sur les représentations sociocognitives que les participants se font de la situation et non pas sur la situation « concrète », telle que pourrait l’appréhender un observateur extérieur. 3 Je ne commenterai pas le modèle de van Dijk2 dont je partage la conception de l’interface cognitive. Je voudrais plutôt montrer ici que si les mots cognition ou cognitif semblent absents des textes principaux de l’analyse du discours française originelle, ils me paraissent cependant avoir été inscrits « en creux », dès qu’il s’est agi de théoriser le fonctionnement du discours, en particulier derrière les mots « mémoire » et « oubli » (mais pas seulement) et dans leurs liaisons implicites avec les notions de contexte (historique, social ou culturel) et celles de pensée et d’expérience humaine : qu’il s’agisse de postuler le rôle de la mémoire cognitive (à court et à long terme), dans le cadre d’une linguistique textuelle qui s’intéresse aux phénomènes de coréférence ou dans le cadre d’une logique naturelle qui étudie la transformation des objets de discours au fil du texte (dans l’intratexte) ; qu’il s’agisse de la mémoire de l’histoire fortement présente dans l’analyse du discours française et dans la sémantique discursive théorisée par M. Pêcheux, à savoir que si le sujet n’est pas la source du sens, c’est que « le sens se construit dans l’histoire à travers le travail de la mémoire, l’incessante reprise du déjà-dit » (Maldidier 1990) ; qu’on pense en termes de dialogisme, avec M. Bakhtine, notion omniprésente actuellement en AD mais déjà présente dans les travaux de J. Authier-Revuz (1982 par exemple), celui du mot « qui n’oublie jamais son trajet » et donc les discours qu’il a déjà rencontrés (Moirand 2004c, 2005), ou en termes de pré-construit, d’interdiscours et de la théorie des deux oublis (Pêcheux), et donc en termes de discours transverses et de mémoire interdiscursive (Courtine et Lecomte, voir infra) ; qu’on pense enfin en termes de « mémoire collective » vs « mémoire individuelle » (Halbwachs), et en relation (ou non) avec les travaux actuels en psycholinguistique, en sciences cognitives ou en biologie (Petit 2006 pour une synthèse récente), les mémoires épisodique, perceptive, procédurale, sémantique et la mémoire de travail (les cinq mémoires de Tulving 1995, par exemple). 4 On essaiera ici de démêler d’abord ce qu’on entend par mémoire en analyse du discours, depuis Courtine et Lecomte, et dans le cadre actuel d’une sémantique discursive renouvelée par la prise en compte des relations entre le sujet (social) et la réalité (sociale) telle qu’il la perçoit, qu’il l’interprète et qu’il la catégorise avant de la représenter uploads/Management/ memoire-discursive-moirand.pdf
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