L’école française et les notes : je t’aime… moi non plus. 6 avril 2021En débat,

L’école française et les notes : je t’aime… moi non plus. 6 avril 2021En débat, Lectures, Ressources utilescompétences, évaluation, noteDiane Béduchaud La publication en mars 2021 sur la webradio de l’Institut Français de l’Éducation Kadékol, du podcast En Quête d’École : Faut-il supprimer les notes ? nous a donné envie d’approfondir ce sujet, déjà bien traité dans un Dossier de veille en 2014. Sommaire  Avant les notes : une évaluation par la compétition et le classement  L’invention de la notation sur 20 : un progrès pédagogique ?  Une mesure scientifique et précise ? La note remise en question  Les effets (négatifs) de la notation sur les apprentissages  Les notes et les classements: une passion française ?  La fièvre de l’évaluation et des classements à tous les niveaux  Des pistes d’amélioration ?  Bibliographie Le 21 janvier 2021, le ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, a annoncé l’annulation des épreuves de spécialité du baccalauréat général, remplacées par un contrôle continu sur la base des moyennes annuelles dans ces deux enseignements. Dans le « guide de l’évaluation » publié à l’occasion du réaménagement des épreuves, le ministère précise les modalités requises pour « garantir la robustesse des moyennes », et insiste en particulier sur un minimum de trois évaluations par trimestre. L’importance fondamentale que tiennent les notes et l’évaluation chiffrée dans les discours politiques et institutionnels en France, malgré un contexte exceptionnel du point de vue sanitaire et social, mérite réflexion. Les moyennes, les notes, les coefficients, font partie du vocabulaire courant des enseignant.e.s, des parents et des élèves, et sont des éléments de haute importance dans la carrière scolaire. Cette relation qui semble naturelle demande cependant à être questionnée et déconstruite. D’abord, parce que les notes, aujourd’hui incontournables dans le parcours scolaire d’un.e élève et dans les pratiques professionnelles quotidiennes des enseignant.e.s, sont une invention récente dans l’histoire du système éducatif français (Merle, 2015). Ensuite, parce que la notation chiffrée, telle qu’elle est pratiquée en France, n’est pas la seule modalité d’évaluation des élèves ; elle fait même figure d’exception dans certains pays, au moins jusqu’à la fin du collège. En France, si la suppression des évaluations chiffrées est majoritairement actée dans l’enseignement primaire, il semble plus difficile de l’imaginer dans le secondaire ou le supérieur. Pourtant, la question de la suppression des notes à tous les niveaux revient régulièrement sur le devant de la scène pédagogique, mais aussi politique et médiatique. Côté anti on critique le caractère aléatoire, peu fiable voire destructeur, de la notation, côté pro, on fait valoir le caractère méritocratique, utile, mais aussi symbolique de la note dans l’enseignement. Comme l’a montré le refus de certain.e.s correcteurs.rices de diffuser les notes du baccalauréat en 2019, les notes sont aussi un objet hautement politique et symbolique. Questionner la suppression des notes revient donc à interroger les pratiques, les représentations et les pouvoirs. D’où vient cette passion française pour la notation ? Comment s’inscrit-elle dans notre système éducatif ? Pourquoi les débats autour de la question des notes sont-ils toujours aussi vifs ? Quelles alternatives existent à l’international et en France ? Comment les notes peuvent-elles être mises au service des apprentissages des élèves ? Avant les notes : une évaluation par la compétition et le classement Retour au sommaire Si la note, et en particulier celle sur 20, a un caractère d’évidence et de naturalité, cette apparence est trompeuse. « L’attachement à la note chiffrée tiendrait à des vertus pédagogiques sacralisées par la tradition. L’analyse historique montre que le recours à la note chiffrée est globalement absent des pratiques d’évaluation jusque dans les années 1880- 1890. » (Merle, 2015) Dans les collèges jésuites fondés par Ignace de Loyola au XVIème siècle et organisés selon les règles du Ratio Studiorum (1599), les élèves ne sont pas notés mais classés en fonction de leurs performances. L’évaluation de leurs performances est fondée sur une compétition intense qui a pour fonction de distinguer les meilleurs et de sélectionner une élite. Dans L’évolution pédagogique, E. Durkheim précise ainsi la priorité de placer les élèves en compétition constante : « L’aiguillon dont se servaient les Jésuites, c’était exclusivement l’émulation […] Les élèves étaient divisés en deux camps, les Romains d’une part et les Carthaginois de l’autre, qui vivaient, pour ainsi dire, sur le pied de guerre, s’efforçant de se devancer mutuellement. » (Durkheim, 1938) Cette concurrence leur permet d’obtenir des points et ultimement de rapporter la victoire dans leur camp. Les élèves situés tout en haut du classement (optimi) sont gratifiés de titres honorifiques (imperator, tribun, sénateur,…), leur donnant des pouvoirs et des responsabilités sur leurs camarades. Le système scolaire se construit alors autour de la distinction individuelle d’élèves considérés comme « meilleurs » , par la distribution de prix ou l’affichage des meilleures copies aux portes des classes. Le classement et la hiérarchie apparaissent comme partie prenante des apprentissages scolaires. Selon Durkheim, l’école suit ainsi le mouvement d’individualisation pris par la société humaniste de l’époque : « Ce n’est pas sans raison que la concurrence devient plus vive et joue un rôle plus considérable dans la société, à mesure que le mouvement d’individualisation y est plus avancé. Puisque donc l’organisation morale de l’École doit refléter celle de la société civile, puisque les méthodes qui sont appliquées à l’enfant ne peuvent différer en nature de celles qui, plus tard, seront appliquées à l’Homme. » (Durkheim, 1938). La concurrence et le classement des élèves- piliers du système jésuite- sont des héritages importants qui ont contribué à construire le système éducatif français. L’invention de la notation sur 20 : un progrès pédagogique ? Retour au sommaire Cette volonté de distinction trouve son achèvement avec l’invention de la note sur 20, créée non pas pour mesurer les apprentissages des élèves, mais pour hiérarchiser et sélectionner les candidats se présentant à un concours. Depuis 1795, l’Ecole polytechnique recrute des jeunes gens issus de l’aristocratie, et pendant longtemps l’évaluation des candidats se fait par le biais d’une interrogation orale ; 22 examinateurs sont mandatés dans les quatre coins de la France pour classer les candidats. Mais lorsqu’il s’agit de dresser une liste nationale des admis, la manœuvre devient plus compliquée… des contestations émergent de la part de candidats se sentant lésés, arguant du différentiel de jugement entre deux examinateurs. Une première solution est proposée : envoyer un seul examinateur dans l’ensemble des villes, mais, face au nombre croissant des candidats, cela est rendu impossible. C’est pour répondre à cette situation qu’en 1852 Gaspard Monge – mathématicien et directeur de l’Ecole polytechnique – propose d’introduire un barème chiffré, une note sur 20, avec des pondérations selon les épreuves pour départager les candidats (une solution déjà utilisée dans les examens internes à la scolarité de l’Ecole polytechnique depuis 1808 (Belhoste 2003)). « L’introduction de l’évaluation chiffrée dans le concours marque un basculement du verdict d’un régime de sentence à un régime de mesure. Alors qu’auparavant, l’examinateur déterminait en son âme et conscience la valeur relative des candidats, sans avoir à faire montre de ses procédés d’évaluation, il doit dorénavant placer chacun des candidats examinés sur une échelle de notation commune et uniforme » (Merle, 2015). Quelques années auparavant, alors qu’il était examinateur pour l’entrée à l’Ecole de la Marine, Monge avait déjà tenté d’appliquer un barème pour les examens avec une échelle de lettres allant de A à G. Les carnets qu’il tient à l’époque montrent qu’il évalue non seulement la manière dont les candidats répondent aux questions : « il a répondu sur les équations techniques du 3ème et 4ème degré », mais qu’il émet également des jugements sur leur capacités : « ce jeune homme qui n’a que 13 ans est d’une intelligence extraordinaire. Il a dans l’esprit toute la sûreté d’un homme de 25 ans. » (Julia, 1990). La mise en œuvre de la note sur 20 est alors considérée comme un progrès pédagogique permettant un jugement de tous les candidats sur la même échelle ; mais elle est critiquée dès ses débuts, notamment par l’Inspecteur Général Pécaut, dans la première édition du Dictionnaire de Pédagogie de F. Buisson paru en 1911. « […] L’usage des chiffres avait généralement prévalu, et on adoptait l’échelle de 20 : de si nombreux degrés intermédiaires ne suffisant pas à rassurer la conscience des examinateurs, on recourait à des fractions, à des dixièmes, à des vingtièmes pour exprimer toutes les nuances. Cet abus est en train de disparaître […] L’échelle de 10, si l’on adopte les chiffres, nous semblerait suffisante : 5 et 6 exprimant le passable, 7 et 8 l’assez bien, 9 le bien ; 10 le très bien ; 4 et 3 le très faible ; 2 et 1 le mal. » (Pécaut In Buisson(dir) 1887). Une mesure scientifique et précise ? La note remise en question Retour au sommaire Rapidement, la justesse du barème, ainsi que la fiabilité de la note chiffrée sont remises en cause. Inventée pour départager des candidat.e.s à un concours national, la note sur 20 s’est répandue dans uploads/Management/ noter-evaluer-ife-avril-202 1 .pdf

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  • Publié le Mai 05, 2022
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