Philippe Blanchet Discriminations : combattre la glottophobie PETITE ENCYCLOPÉD
Philippe Blanchet Discriminations : combattre la glottophobie PETITE ENCYCLOPÉDIE CRITIQUE COLLECTION « PETITE ENCYCLOPÉDIE CRITIQUE » Comité éditorial : Manuel Cervera-Marzal, Sébastien Chauvin, Milena Jaksic, Lilian Mathieu, Sylvain Pattieu Graphisme de la couverture : offparis.fr © photographie de couverture : iStock © éditions Textuel, 2017 4 impasse de Conti 75006 Paris www.editionstextuel.com Version numérique : 2017 978-2-84597-623-8 Sommaire Partie I • Introduction : Les pratiques linguistiques, un domaine de discrimination largement ignoré 1 - Une absence dans les textes juridiques français 2 - Une certaine négligence dans les travaux érudits sur les discriminations 3 - Une présence inégalement condamnée dans les grands textes internationaux relatifs aux Droits humains 4 - Une pratique massive d’après les observateurs des dynamiques sociales et linguistiques 5 - Objectif de ce livre 6 - Remerciements Partie II • Voir les choses autrement… 1 - Les pratiques linguistiques sont des pratiques sociales 2 - Les langues sont des moyens et des enjeux de domination et de pouvoir 3 - Pratiques spontanées et normes prescrites 4 - Les discriminations linguistiques sont des discriminations 5 - Glottophobie : un terme pour insister sur les dimensions humaines et sociales des discriminations linguistiques 6 - Le cercle vicieux de la minoration et de la majoration socio-linguistiques ou le trio infernal glottophobie, glottophilie, glottomanie 7 - L’hégémonie impose la croyance dans une idéologie 8 - Diversité linguistique et communication 9 - La communication linguistique et le mythe de la maitrise de la langue commune Partie III • Comment s’est déployée et se maintient la glottophobie ? 1 - Les rôles des agents et des instances glottopolitiques dans la diffusion de la glottophobie 2 - Désocialisation et déshumanisation des « langues » : la responsabilité des grammairiens et des linguistes 3 - Contrôle linguistique et contrôle social 4 - Standardisation, diglossie et insécurité linguistique 5 - Enseignement, insécurité linguistique et glottophobie 6 - L’élaboration des langues standard comme procédé d’exclusion sociopolitique 7 - Quand les dominés veulent devenir dominants à la place des dominants Partie IV • La glottophobie en pratique : étude d’exemples 1 - Discours et comportements glottophobes 2 - Exemples de glottophobie institutionnelle 3 - Exemples de glottophobie institutionnelle et individuelle 4 - Exemples de glottophobie individuelle Partie V • Des pistes et des principes pour combattre la glottophobie 1 - Réaffirmer le caractère profondément humain, social et culturel des « langues » 2 - Demande sociale et mise en œuvre d’une glottopolitique autogestionnaire de la pluralité 3 - Repenser l’éducation linguistique et les aspects linguistiques de l’éducation 4 - Commencer par une pratique personnelle consciente et vigilante 5 - Réinsérer la question linguistique dans un projet de société Bibliographie Collection « Petite encyclopédie critique Notes « Le pouvoir sur la langue est une des dimensions les plus importantes du pouvoir » L. Boltanski et P. Bourdieu, Le Fétichisme de la langue, 1975, p. 12 « You must be the change you want to see in the world. An ounce of practice is worth more than tons of preaching » 1 M. Gandhi Qu’un pople toumbe esclau Se tèn la lengo tèn la clau Que di cadeno lou deliéuro 2 F. Mistral Aquèstou libre es dedica à FC Partie I • Introduction : Les pratiques linguistiques, un domaine de discrimination largement ignoré 3 Quand on s’intéresse à la fois à la question des discriminations et à celle des pratiques linguistiques, notamment en France, on constate très vite que les discriminations linguistiques sont généralement ignorées, au double sens d’« inconnues » (on ne sait pas que ça existe, on ne les voit pas) et de « négligées » (on n’y accorde aucune attention quand on en voit). Très peu de liens sont faits entre ces deux questions, à part quelques vigilances de militants ou de chercheurs spécialisés. Et pourtant, on constate aussi rapidement que les discriminations linguistiques sont très fréquentes, ordinaires, banales, dans la vie quotidienne de beaucoup de gens et de beaucoup de sociétés 4. 1 - Une absence dans les textes juridiques français Ainsi par exemple, la loi française, qui réprime la discrimination en tant que délit pouvant entrainer de lourdes amendes et des peines de prison, la définit de cette façon : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non- appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée »5 Un second paragraphe porte, dans les mêmes termes, sur les personnes morales (c’est-à-dire les organismes collectifs, associations, entreprises, partis, institutions, etc.) qui subiraient une discrimination via celle de leurs membres. Cette définition inclut la discrimination indirecte, c’est-à-dire une discrimination non intentionnelle et/ou apparemment neutre, dont l’effet négatif est le même que celui d’une discrimination intentionnelle, dite directe. La ou les langues et autres variétés linguistiques utilisées (de façon « vraie ou supposée ») par ces personnes n’apparaissent pas dans cette loi de 2001 qui a pourtant été complétée en 2006 par les « motifs » de discrimination suivants : l’orientation sexuelle, l’apparence physique, le patronyme et l’âge, puis en 2014 par celui d’identité sexuelle. L’occasion s’est donc présentée deux fois d’y ajouter les « motifs » linguistiques, mais personne n’y a pensé – ou trop peu de gens et pas assez influents. Du point de vue légal, en France, les discriminations linguistiques, ça n’existe pas, c’est donc autorisé. Le fait même de punir les discriminations est d’ailleurs très récent, comme on le voit, et constitue en France les suites d’une impulsion venue de l’Union Européenne. La création de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE) date de 2004 et ce n’est qu’en 2011 qu’elle a été intégrée à la mission du Défenseur des Droits. Comme l’a montré F. Dhume (2014, 20), l’idéologie stato- nationale française fondée sur l’évacuation des différences oppose une contradiction et une réticence fortes à envisager la question des discriminations puisque cette question met en lumière l’existence effective de différences et leur utilisation condamnable : « La question des discriminations fait l’objet d’une reconnaissance-limite, tant dans le champ politique et institutionnel que dans le champ scientifique. Si, en France, le terme est de plus en plus utilisé, la légitimité de cette problématisation politique demeure faible ». Et comme l’unification linguistique est un, voire le, pilier central de la construction stato-nationale française, la question des discriminations linguistiques, donc de l’utilisation condamnable de différences linguistiques censées ne pas exister, constitue un point doublement aveugle pour la société française. 2 - Une certaine négligence dans les travaux érudits sur les discriminations Si l’on regarde maintenant du côté d’un ouvrage érudit, de référence, on constatera non pas une ignorance au premier sens (celui de la loi : ça n’existe pas comme phénomène répréhensible) mais au deuxième : ça n’a pas grande importance. Dans le très bon Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations (Benbassa, 2010), on trouve un article d’une page (429-430) intitulé « Langues et oppressions linguistiques ». Celui-ci ne pose pas, malgré son titre, la question en termes d’oppression, et encore moins en termes explicites de discrimination. Il souligne néanmoins, en des termes très prudents, que : « la constitution des États-Nations suppose ordinairement l’hégémonie d’une langue nationale et s’accommode mal de la persistance de langues minoritaires (…) peut induire une politique (…) de purification de la langue nationale (…) susciter des réactions fortement négatives : pression exercée pour l’assimilation linguistique complète et exclusive, dévalorisation des langues d’origine, etc. » Le même ouvrage consacre un court article à l’abbé Henri-Baptiste Grégoire (p. 386-387), qui met en avant cette « grande figure de la Révolution française, artisan de l’émancipation des Juifs et de l’abolition de l’esclavage (…) ses cendres ont été transférées au Panthéon à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, en ٩٨٩١ ». Rien n’est dit de ses discours et de son action continue pour détruire les langues de France autres que le français, notamment pendant la période de la Terreur, avec son célèbre Rapport sur la Nécessité et les Moyens d’anéantir les Patois et d’universaliser l’Usage de la Langue française (1794) dans lequel les créoles des esclaves, dont il défend parallèlement la liberté, sont qualifiés d’« idiome pauvre (…) qui ne connaît que l’infinitif » et d’autres langues locales de « jargons lourds et grossiers ». Pour l’abbé Grégoire, comme pour ceux qui deux siècles plus tard ont décidé de lui octroyer l’honneur national en grande pompe, ou encore ceux et celles qui ont élaboré le Dictionnaire (…) des exclusions et des discriminations, l’exclusion et la discrimination linguistiques n’en sont pas vraiment, ou pas du tout, et n’entachent en rien l’image de ce personnage 6. 3 - Une présence inégalement condamnée dans les grands textes internationaux relatifs uploads/Management/ petite-encyclopedie-critique-philippe-blanchet-discriminations-combattre-la-glottophobie-textuel.pdf
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- Publié le Aoû 01, 2021
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