CHAPITRE PREMIER LE PREMIER STADE : L'EXERCICE DES REFLEXES Si, pour préparer l
CHAPITRE PREMIER LE PREMIER STADE : L'EXERCICE DES REFLEXES Si, pour préparer l'analyse des premiers actes d'intelligence, il nous est nécessaire de remonter jusqu'aux réactions organiques héréditaires, notre effort doit consister, non pas à en étudier pour elles-mêmes les différentes formes, mais simplement à ca- ractériser globalement de quelle manière elles se répercutent sur le comportement de l'individu. Il convient donc que nous cher- chions avant tout ici à dissocier le problème psychologique des réflexes du problème proprement biologique. Biologiquement, les comportements qui s'observent durant les premières semaines de la vie de l'individu sont d'une grande com- plexité. D'abord il existe des réflexes d'ordres bien différents, inté- ressant la moelle, le bulbe, les couches optiques, l'écorce même ; du réflexe à l'instinct, il n'y a, d'autre part, qu'une différence de degré. A côté des réflexes du système nerveux central, il y a ceux du sys- tème autonome et toutes les réactions dues à la sensibilité « proto- pathique ». Il y a surtout l'ensemble des réactions posturales, dont H. Wallon a montré l'importance pour les débuts de l'évolution mentale. Enfin, il est difficile de concevoir l'organisation de tels mécanismes sans faire leur part aux processus endocriniens, dont le rôle a été invoqué à propos de tant de réactions, instructives ou émotionnelles. Il est donc actuellement une foule de problèmes posés à la psychologie physiologique et qui consistent à déterminer les effets, dans le comportement de l'individu, de chacun des méca- nismes ainsi dissociés. C'est en particulier l'une des plus importan- tes de ces questions qu'analyse H. Wallon dans son beau livre sur l'Enfant turbulent : « Existe-t-il un stade de l'émotion, ou stade de réactions posturales et extra-pyramidales, antérieur au stade sensori- moteur ou stade cortical ? » Rien ne saurait mieux que la dis- cussion si fouillée de M. Wallon, au cours de laquelle un matériel pathologique d'une très grande richesse vient appuyer sans cesse l'analyse génétique, nous montrer la complexité des conduites élémentaires et la nécessité de distinguer des étages successifs dans les systèmes physiologiques concomitants. Mais, si séduisants que soient les résultats ainsi obtenus, il nous paraît difficile de dépasser aujourd'hui la description globale lorsqu'il s'agit de saisir la continuité entre les premières conduites du nourris- son et les futures conduites intellectuelles. C'est pourquoi, bien que sympathisant entièrement avec l'effort de M. Wallon d'identifier les mécanismes psychiques avec ceux de la vie elle-même, croyons- nous devoir nous borner à souligner l'identité fonctionnelle, sans sortir du point de vue de simple comportement extérieur. A cet égard, le problème qui se pose à nous, à propos des réac- tions des premières semaines, est simplement celui-ci : comment les réactions sensori-motrices, posturales, etc. données dans l'équipe- ment héréditaire du nouveau-né, préparent-elles l'individu à s'adap- ter au milieu externe et à acquérir les conduites ultérieures, caractéri- sées précisément par l'utilisation progressive de l'expérience? Le problème psychologique commence donc à se poser dès que les réflexes, postures, etc., sont envisagés, non plus dans leur rapport avec le mécanisme interne de l'organisme vivant, mais dans leurs relations avec le milieu extérieur tel qu'il se présente à l'activité de l'individu. Examinons, de ce point de vue, les quel- ques réactions fondamentales des premières semaines : les ré- flexes de succion et de préhension, les cris et phonations 1, les gestes et attitudes des bras, de la tête ou du tronc, etc. Ce qui frappe à cet égard, c'est que, dès leur fonctionnement le plus primitif, de telles activités donnent lieu, chacune en elle- même et les unes par rapport aux autres, à une systématisation qui dépasse leur automatisme. Presque dès la naissance il y a donc « conduite », au sens de la réaction totale de l'individu, et non pas seulement mise en jeu d'automatismes particuliers ou locaux reliés entre eux du dedans seulement. Autrement dit, les manifestations successives d'un réflexe, tel que celui de la succion ne sont pas comparables à la mise en marche périodique d'un moteur que l'on utiliserait toutes les quelques heures pour le laisser reposer entre temps, mais constituent un déroule- ment historique tel que chaque épisode dépende des précédents et 1 Nous reviendrons sur la préhension, la vision et la phonation au cours du chapitre II. EXERCICES DES RÉFLEXES 27 Extrait de La naissance de l'intelligence chez l'enfant (Delachaux et Niestlé, 1936) La pagination du présent document correspond à la 2ème édition parue en 1948 et aux suivantes. Version électronique réalisée par les soins de la Fondation Jean Piaget pour recherches psychologiques et épistémologiques. Fondation Jean Piaget conditionne les suivants en une évolution réellement organique : en effet, quel que soit le mécanisme intense de ce processus his- torique, on peut en suivre les péripéties du dehors et décrire les choses comme si toute réaction particulière déterminait les au- tres sans intermédiaires. C'est en quoi il y a réaction totale, c'est- à-dire début de la psychologie. § 1. LES RÉFLEXES DE SUCCION. — Prenons pour exemple les réflexes ou l'acte instinctif de la succion, réflexes d'ailleurs compliqués, intéressant un grand nombre de fibres centripètes du trijumeau et du glossopharyngien, ainsi que des fibres centri- fuges du facial, de l'hypoglosse et du masticateur, le tout ayant pour centre le bulbe rachidien. Voici d'abord quelques faits : Obs. 1. — Dès la naissance on observe une esquisse de succion à vide : mouvements impulsifs des lèvres s'accompagnant de leur protrusion et de déplacements de la langue, pendant que les bras se livrent à dès gestes désor- donnés plus ou moins rythmiques, que la tête remue latéralement, etc. Lorsque les mains viennent à frôler les lèvres, le réflexe de succion se déclenche aussitôt. L'enfant suce par exemple ses doigts un instant, mais ne sait naturellement ni les maintenir dans sa bouche ni les suivre des lèvres. Lucienne un quart d'heure et Laurent une demi-heure après leur naissance avaient ainsi déjà sucé leur main. Chez Lucienne, la main étant rendue im- mobile grâce à sa position, la succion des doigts a duré plus de dix minutes. Quelques heures après la naissance, première tétée de collostrum. On sait combien les enfants diffèrent les uns des autres au point de vue de l'adaptation à ce premier repas. Chez les uns, dont Lucienne et Laurent, il suffit du contact des lèvres et sans doute de la langue avec le mamelon pour que la succion et la déglutition s'ensuivent. Chez d'autres, comme Jacqueline, la coordination est plus lente : l'enfant lâche le sein à chaque instant sans le reprendre de lui-même, ni s'y appliquer avec la même vigueur lorsqu'on lui remet le mamelon dans la bouche. Il en est, enfin, pour lesquels il faut une véritable contrainte : maintenir la tête, mettre de force le mamelon entre les lèvres et en contact avec la langue, etc. Obs. 2. — Le lendemain de sa naissance, Laurent saisit de ses lèvres le mamelon sans qu'il soit besoin de le lui maintenir dans la bouche, il le cher- che immédiatement lorsque le sein lui échappe à la suite de quelque mouve- ment. Durant la seconde journée, également, Laurent recommence à esquisser une succion à vide entre les repas en répétant ainsi ses mouvements impul- sifs du premier jour : les lèvres s'entrouvrent et se referment comme pour une tétée véritable, mais sans objet. Ce comportement est devenu de plus en plus fréquent dans la suite et nous ne le relèverons plus. Le même jour, on observe chez Laurent le début d'une sorte de recher- che réflexe, qui se développera les jours suivants et qui constitue sans doute l'équivalent fonctionnel des tâtonnements caractéristiques des stades ulté- rieurs (acquisitions des habitudes et intelligence empirique). Couché sur le dos, Laurent a la bouche ouverte, les lèvres et la langue remuant légèrement, esquissant le schème de la succion, et la tête remuant de gauche et de droite comme pour chercher un objet. Ces gestes sont soit silencieux, soit entre- coupés de grognements avec mimique d'impatience et de faim. Obs. 3. — Le troisième jour, Laurent fait de nouveaux progrès dans son adaptation au sein : il lui suffit d'avoir heurté des lèvres le mamelon ou les téguments environnants pour tâtonner, la bouche ouverte, jusqu'à la réussite. Mais il cherche aussi bien du mauvais que du bon côté, c'est-a-dire du côté où le contact s'est établi. Obs. 4. — Laurent à 0; 0 (9) est couché sur un lit et cherche à téter, oscillant de la tête à gauche et à droite. Il frôle plusieurs fois ses lèvres de la main et suce celle-ci aussitôt. Il heurte un duvet, puis une couverture de laine : à chaque reprise il suce l'objet pour le lâcher après un instant et se remettre à pleurer. Lorsque c'est sa main qu'il suce, il ne s'en détourne pas, comme il semble le faire avec les lainages, mais la main elle-même lui échappe faute de coordination : il recommence alors immédiatement à cher- cher. Obs. 5. — Des que sa joue entre en contact avec le sein, Laurent à 0; 0 (12) se met à chercher jusqu'à ce qu'il trouve uploads/Management/ piaget-1936-la-naissance-de-l-x27-intelligence-chez-l-x27-enfant 1 .pdf
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- Publié le Mai 25, 2021
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