Jacques Moeschler Pragmatique du discours 1 Pragmatique du discours : passé, pr

Jacques Moeschler Pragmatique du discours 1 Pragmatique du discours : passé, présent, futur Jacques Moeschler Département de linguistique, Université de Genève Envoi J’aimerais remercier les organisateurs de m’avoir invité à ce colloque, mais surtout remercier Liana. Nous nous sommes rencontrés à Zurich, à son initiative, en 1992, et depuis, je suis venu à Cluj 6 fois au moins. Non seulement Liana m’a permis de trouver un public ici à Cluj, mais elle a surtout initié un travail impressionnant de traduction, notamment du Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, et aussi de la Pragmatique aujourd’hui (écrits avec Anne Reboul) et de l’Introduction à la linguistique contemporaine avec A. Auchlin. J’aimerais surtout féliciter Liana pour son travail de chercheur. L’une des raisons pour lesquelles nous nous sommes tout de suite bien entendu est qu’elle a toujours cherché, ailleurs que de son cercle académique, des références nouvelles et des domaines de recherche situés dans l’actualité. Elle a trouvé en partie des réponses lors de ses contacts avec l’unité de linguistique française de l’Université de Genève. Mais la qualité principale de Liana est qu’elle a su tracer sa propre voie dans la recherche. Lorsqu’elle était à Genève pour son DEA en 1995, elle a développé son approche plurinivellaire du discours, en apportant des questions et des réponses nouvelles à une approche linguistique du discours. Ses publications, l’étendue de ses domaines de recherche, sa contribution constante à l’étude du roumain et du français, sont les preuves que son travail a une surface qui va bien au-delà de Cluj et de la Roumanie. Merci de ton travail, Liana, et surtout, continue. Les meilleurs moments d’un universitaire – pouvoir faire uniquement de la recherche – vont bientôt arriver. Profites-en bien ! Résumé En 1998, Anne Reboul et Jacques Moeschler ont écrit un livre contre l’ANALYSE DE DISCOURS1, intitulé Pragmatique du discours (Reboul & Moeschler 1998). Dans cet ouvrage, outre une critique radicale de l’analyse du discours, nous avons proposé un programme de recherche, alternatif, ayant pour objet la question de l’interprétation des énoncés et l’application des stratégies d’interprétation au discours, tant monologal que dialogal. Dix ans plus tard (Moeschler & Reboul 2009), les auteurs ont fait le bilan de leurs propositions à l’aune des recherches en pragmatique et surtout de leur agenda de recherche. Aujourd’hui, il est crucial, pour les recherches en linguistique du discours, de comprendre les orientations actuelles dans ce domaine. De fait, peu de choses ont changé, car les idées Jacques Moeschler Pragmatique du discours 2 nouvelles n’ont pas été nombreuses. En revanche, des méthodes nouvelles ont été engagées, venant notamment des méthodes empiriques et expérimentales. Cet article voudrait contribuer de manière positive au débat actuel en linguistique du discours en montrant que la perspective pragmatique est la seule qui permette un agenda de recherche cohérent, innovant, pertinent et faisable. 1. Introduction Les recherches en analyse du discours sont toutes basées sur le même présupposé : le langage est un instrument de communication et les locuteurs l’utilisent dans des actes de communication qui prennent la forme de discours. Ce constat, trivial, a cependant donné lieu à un programme de recherche, l’ANALYSE DE DISCOURS, que nous avons critiqué de manière radicale dans Pragmatique du discours (Reboul & Moeschler 1998). Ce programme affirme que le lieu d’investigation pertinent pour comprendre le langage est le discours, dans ses diverses manifestations : écrites, orales, monologales, dialogales. Ce programme, basé sur des prémisses non validées par une méthode scientifique, a cependant été confronté à deux questions théoriques inévitables : (i) Du point de vue de la linguistique, comment expliquer l’existence de structures au niveau de la langue et non au niveau du discours ? (ii) Du point de vue de la communication, comment expliquer que la communication verbale est un processus à haut risque, et se manifeste dans des formes qui échappent souvent au discours ? La première question a trouvé une solution dans la distinction entre micro- et macro-syntaxe, position notamment développée dans les travaux de Berrendonner (1990, 2002), et aussi dans une certaine mesure dans ceux de Roulet (1999). Cependant, cette opposition suppose que l’on admette deux niveaux d’organisation linguistique, l’un pour la syntaxe au sens étroit, l’autre pour le discours. Mais des questions collatérales se sont posées : si ce qu’on appelle micro-syntaxe est reconnue comme ayant une pertinence et un fondement cognitif (de plus en plus de travaux expérimentaux confortent l’idée de la théorie de la syntaxe autonome, cf. Moro 2008), la justification du niveau macro-syntaxique en termes cognitifs ne s’est pas imposée : aucun travail empirique ou expérimental n’a permis de monter que le cerveau humain est équipé d’un dispositif équivalent et complémentaire au LAD (linguistic acquisition devise) proposé par Chomsky (1965). En d’autres termes, il n’y pas d’équivalent, au niveau du discours, de ce que Chomsky a appelé une compétence linguistique, et les quelques travaux ayant argumenté pour une compétence discursive ont fait long feu : on sait Jacques Moeschler Pragmatique du discours 3 en effet que cette notion, si elle a quelque fondement empirique, fait l’objet d’un apprentissage normé et n’est pas le résultat de règles abstraites2. La seconde question a trouvé une solution plus radiale dans les travaux de pragmatique cognitive, et notamment dans ceux de la théorie de la pertinence (Sperber & Wilson 1986, 1995, Wilson & Sperber 2012). La communication verbale est en effet non seulement codique (ou linguistique), elle est inférentielle. Le succès théorique de la pragmatique ces trente dernières années est principalement lié à ce nouveau programme de recherche : comment expliquer la compréhension des énoncés si elle n’est pas réductible à des informations encodées linguistiquement ? Si la réussite de la communication verbale est inférentielle, alors elle n’est pas déterminée, à quelque niveau que ce soit, par des structures de discours. L’idée de macro-structure syntaxique est donc étrangère à la perspective pragmatique3. Dans cet article, j’aimerais rappeler les principes axiomes de la pragmatique du discours, montrer quels sont les résultats empiriques que ce programme de recherche a permis de produire et quel pourrait être l’agenda de recherche pour les années futures de la pragmatique du discours. 2. Pragmatique du discours : axiomes et principes d’analyse La pragmatique du discours est un programme de recherche qui vise à appliquer, au niveau du discours, le programme de recherche de la pragmatique inférentielle et cognitive. Ce programme de recherche, qui a vu le jour à partir des travaux de Grice, sur l’intention et la signification non naturelle, a produit des concepts qui ont changé le cours des recherches sur l’interprétation des énoncés. Le paradigme de la pragmatique est intervenu en linguistique essentiellement pour des raisons qui portent sur les concepts permettant de décrire la signification. Globalement, les premiers travaux de pragmatique sont venus des philosophes du langage, comme Austin (1962), Strawson (1971), Grice (1989), Searle (1969, 1979). La théorie des actes de langage a joué dans un premier temps un rôle important, pas simplement parce que la théorie de la signification contredisait la thèse principale de la philosophie du langage, ce qu’Austin a qualifié d’ « illusion descriptive », mais parce qu’elle a permis d’engager la linguistique dans des directions de recherche nouvelles (cf. Cole & Morgan 1975, Cole 1978, Cole 1981), comme par exemple les actes de langage indirects, la pragmatique des tag-questions, la montée de la négation, les modalités, etc. La publication en 1975 de « Logic and conversation » (Grice 1975) a changé l’orientation des recherches en pragmatique. Alors que la pragmatique s’intéressait surtout aux marqueurs linguistiques de force illocutionnaire, la théorie des implicatures conversationnelles a orienté Jacques Moeschler Pragmatique du discours 4 la pragmatique principalement vers la communication implicite et le rôle du contexte dans l’interprétation des énoncés. L’hypothèse centrale de la pragmatique est, pour comprendre la communication implicite, que les participants à une communication recourent à des principes généraux, comme le principe de coopération (« Faites votre contribution telle que requise, au moment auquel elle apparaît, par le but accepté ou la direction de l’échange dans lequel vous êtes engagé », Grice 1975, 45) et des 9 maximes de conversation regroupées en quatre catégories (quantité, qualité, relation, manière). Dans la théorie de la pertinence, la réussite de la communication verbale est déterminée par la reconnaissance par l’interlocuteur de l’intention informative du locuteur, qui a pour condition la reconnaissance de son intention communicative. La communication, ostensive-inférentielle, est déterminée par deux principes, le principe cognitif de pertinence (« la cognition humaine tend à être orientée vers la maximisation de la pertinence », Wilson & Sperber 2004, 610) et le principe communicatif de pertinence (« chaque stimulus ostensif communique la présomption de sa propre pertinence optimale », ibid., 612). Si le programme de recherche de la pragmatique s’est considérablement développé ces dernières années en allant au-delà des questions liées aux implicatures conversationnelles et conventionnelles, en s’interrogeant sur l’interface sémantique-pragmatique, notamment sur la différence entre contenus explicites et implicites, il est aussi revenu sur des questions traditionnellement réservées à la sémantique comme les présuppositions (cf. Potts 2005, Beaver 2001, Beaver et al. 2013, Moeschler 2015a et à paraître pour une uploads/Management/ pragmatique-du-discours.pdf

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  • Publié le Jul 16, 2021
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